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Chroniques de l’ordinaire bordelais – Episode 25

Publié le 24 juin 2012 par Antropologia

Visite guidée

Je prends le train par une fin de semaine ensoleillée pour me rendre à B. Des sexagénaires portant des clubs de golf descendent de la première classe. Une dame en manteau avec un tout petit chien cherche le bus pour A. B. est une ville de bord de mer réputée « bourgeoise ». J’y ai rendez-vous dans une maison d’enfants à caractère social, pas loin du front de mer, avec deux jeunes mineurs demandeurs d’asile, Samuel et Gil[1]. On mange ensemble, on parle. Leurs trajectoires, leurs difficultés administratives, leur peur ne de pas être crus, leur amitié qui leur permet de rester debout. Un récit d’anniversaire par Gil, qui n’avait jamais reçu de cadeau, pour qui personne n’avait jamais cuisiné de gâteau. B., l’endroit où il a vécu des moments précieux qu’il n’oubliera jamais. « B., notre ville d’échecs » dit-il ensuite. A quoi sert de se lever le matin, d’aller à l’école, de manger, de vivre, si dans quelques mois tout peut s’arrêter ? « Je préfère me suicider que de retourner là-bas », soupire Samuel, le visage dans ses mains. Des images de leur pays défilent, des fantômes passent et repassent autour de la table où nous sommes assis. Ils sortent à peine de l’enfance mais de leur avenir, il n’est jamais question. « Nous, on n’a pas une vie comme les autres… », m’explique Gil.

Nous sortons dans la ville, ils me font visiter car je ne connais pas B. Sur la plage, des surfeurs, des familles qui lèchent des esquimaux, des couples en talons et mocassins. Samuel dit : « On est les seuls Noirs de la ville, t’as vu d’autres Noirs ici ? ». Une Ferrari démarre bruyamment. Les gens du bord de mer rient et se prennent en photo devant les rochers. Mes compagnons n’arrivent plus à sourire. « Ça me dit rien cet endroit, je préfère rester au foyer » déclare Samuel, l’air dégoûté, les mains dans les poches. Leurs histoires résonnent comme un univers étranger à ce monde radieux. Comme un paradoxe au milieu de la promenade dominicale de l’insouciance. Au centre ville, nous passons devant la boutique « qui vend des montres à douze mille euros ». Nous nous y arrêtons, incrédules, regardons les prix en comptant les zéros. Nous disons en rigolant qu’elles ne sont pas si belles que ça ces montres, et puis si ça se trouve, c’est même pas de l’or. Des clients potentiels, habillés élégamment, étudient plus sérieusement la vitrine. Alors nous prenons le bus vers la gare, d’où je vais bientôt quitter B. Un de ces bus rempli de personnes âgées où selon Gil, personne ne vient jamais s’asseoir à côté d’eux. Je les remercie pour la promenade, promets de revenir les voir bientôt. Et Samuel dans un sourire d’adieu : « Je ne sais pas si on sera encore là… ».


[1] Les noms ont été changés afin de préserver l’anonymat des personnes.

Stéphanie Gernet



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