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Max | Temps, piafs, merles, pies et dame de Beauté

Publié le 03 juillet 2012 par Aragon

Berry_octobrebis.jpgTout à l'heure je glandais au jardin après avoir sué dense. Un peu de repos bien mérité à l'ombre d'un pommier qui ne paie pas de mine tant il est moche, noueux bizarrement branchu, plus mort que vif enfin non, j'exagère, certaines branches ont été sciées, elles étaient sèches et vides de sève. Mais faut voir les pommes à la saison. Mon père qu'à quatre-vingt-dix balais se souvient que son grand-père Jules disait qu'il était là et déjà haut, bien chargé de pommes, quand il avait acheté le jardin aux alentours de la guerre de 14. J'étais donc assis contre le pommier quand un merle s'est posé sur ma tête. J'ai pensé immédiatement aux "Très Riches Heures du duc de Berry". Je pense régulièrement à elles.

Les_Très_Riches_Heures_du_duc_de_Berry_févrierbis.jpg
C'est mon premier "tableau" comme "Un Homme se penche sur son passé" est mon premier roman comme "le Blé en herbe" est mon premier film... Les corbeaux, les merles, les pies me semblaient extraordinaires en ces peintures, ces enluminures, car c'est de "l'illustration" d'un bouquin qu'il s'agit.

Môme, je trouvais criantes de vérité les pies en particulier. J'étais fasciné !!! Tôt, je me disais : "Ainsi donc à la Renaissance tout était comme maintenant" ; ça me laissait noyé/perdu pendant des heures dans des abîmes de perplexité, de réflexion. Je découvrais le temps, la notion de temps. Ce que je voyais a six cents ans aujourd'hui !!!

Puis, j'aimais bien investiguer quand je pouvais, armé d'une loupe je regardais des heures durant les détails des Riches Heures - pour d'autres oeuvres je faisais de même aussi - mais le bouquin du duc de Berry me fascinait par sa "modernité", sa compexité, la multitude des détails, la complexité de sa symbolique qui me titillait... Je voulais savoir : ces zodiaques qu'est-ce qu'il y avait dedans, qu'y avait-il derrière les murs de ces châteaux ?

Et puis les vaches étaient les mêmes que celles que je voyais dans les champs, les étables, les gestes des paysans idem... Dans le travail, dans l'amusement idem-idem : se laver, nager dans une rivière, pêcher... Les pies, les sangliers, les tronches des "pécores" et de ceux de la "haute" itou. Il m'émoustillait aussi ce bouquin, premiers troubles, premiers questionnements sexuels quand sur l'enluminure de "Février", je devinais très nettement - incroyable mais vrai - les sexes des deux ados garçon/fille, frère/soeur, qui se chauffaient au coin du feu, frusques retroussées, sans honte, sans pudeur et sans retenue, parfaitement naturels se dégelant foufounette et zizi en se racontant les histoires du jour à côté de leur mère qui jouait avec un chat !!! Ma carrière de voyeur commençait. La vie c'est voir. C'est parler ensuite. La vie c'est être en relation avec l'autre. La vie ce n'est que ça.

AgnesSorel3bis.jpg
Mais très vite avec les Riches Heures je découvris, car l'histoire me passionnait, l'existence de la dame de Beauté et je tombais éperdument amoureux, en l'instant. Agnès Sorel comme Sappho de Mytilène furent les deux grands amours de ma pré-adolescence. Agnès était incroyablement belle, trop incroyable de moeurs et d'attitude, elle a fini par déranger, on l'a empoisonnée, elle n'avait pas trente ans.

Elle est partie de rien Agnès, pour finir librement, dans la chambre d'un roi, dans le coeur de la France. Favorite influente number one. Favorite, pas intrigante. Libre, elle l'a été incroyablement. Elle a mené strictement sa vie à sa guise. On ne l'a jamais "prise" elle a toujours été maîtresse et de son corps et de ses actes et de sa vie. Incroyablement intelligente aussi, le roi ne s'y trompera pas. Elle a le sens de l'Etat, le sens d'un budget d'Etat. Pas moins que ça !!! Belle, intelligente et honnête, amie des arts aussi. De la modernité : Anecdote, c'est elle qui a inventé le "décolletté", une Coco Chanel avant l'heure ! Une nana incroyable aussi incroyable que ne l'étaient, que ne le sont Olympe de Gouges, Alexandra David Neel, Colette, Brigitte Fontaine, Catherine Ringer ou Ségolène Royal... Autant de femmes qui fascinent mais qui agacent parfois, qui dérangent souvent. C'est là que je me rends compte que l'homme est souvent, très souvent, à des années lumière derrière la femme, sur tous les plans.

Le merle s'est alors envolé de la branche du pommier, j'ai laissé les Riches Heures se dissiper, j'ai laissé Agnès, je suis rentré at home, c'était tea time...


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