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Pourquoi je ne soutiens pas NessmaTV dans le procès de l’affaire Persépolis

Publié le 19 avril 2012 par Lilithmataziasim @PaNoAlMi
Lundi 23 janvier 2012 s’ouvrira un procès que l’on nous dit historique en Tunisie. Le Directeur de la chaîne NessmaTV, Nabil Karoui, ainsi que le responsable du visionnage de la chaîne et la responsable du doublage du film, comparaitront au tribunal dans le cadre de l’affaire Persépolis pour "atteinte aux valeurs du sacré, atteinte aux bonnes mœurs et trouble à l'ordre public" suite à une plainte déposée par 140 valeureux avocats.
Pour rappel, la diffusion du film avait suscité une très vive polémique en Tunisie car l’on y voit une représentation de Dieu sous les traits d’un vieil homme, tel qu’imaginé par une petite fille. Cette scène blasphématoire d’une brutalité ineffable a poussé des hordes de fervents croyants dans le désarroi et dans la rue. Ils n’avaient d’autre choix, pour crier leur douleur incommensurable et leur désespoir insondable que d’attaquer les locaux de NessmaTV et le domicile de son directeur. Mais ces quelques brimades ne pouvaient certainement pas être satisfaisantes, le tort devait être entièrement réparé, d’où les multiples fatwas, à l’adresse des citoyens lambda qui auraient un sens inné de la justice, et ce fameux procès, pour l’aspect plus formel, nous ne sommes pas chez les sauvages.
Un procès historique donc – et l’on veut bien le croire tant le décollage vers l’Inquisition médiévale semble imminent – sur fond de révolution avortée puisque, comme l’explique le texte du Comité de Soutien à la chaîne « Nessma », l’enjeu est « de défendre les libertés publiques et le processus démocratique et d’œuvrer à l’édification de la Tunisie nouvelle dans le cadre du pluralisme, du droit à la différence et de la coexistence pacifique ». Un discours noble à faire pousser des ailes de colombe dans la barbe d’un salafiste, mais qui, personnellement, ne me transporte pas. Ou, s’il me transporte, c’est pour mieux me renvoyer aux excuses publiques que Nabil Karoui s'est empressé de présenter vilement au peuple tunisien à peine le débat lancé.
Car oui, n’oublions pas que quand la question hautement explosive de la diffusion d’un dessin animé poussait la Tunisie au bord de la guerre civile, Nabil Karoui, lui, avait choisi son camp. Il a pleinement justifié les accusations de ceux qui ont pris le parti de l’intolérance, de l’obscurantisme et de l’extrémisme. Il a qualifié la diffusion de la séquence incriminée d’erreur, admettant qu’elle aurait dû être coupée et se posant ainsi en partisan de la censure. Il a désavoué sa chaîne et ses collaborateurs en reportant la faute sur le responsable de la cellule de visionnage qui ne l’avait pas indiquée dans son rapport. Il a tourné le dos à ses défenseurs en se disant lui-même choqué par cette vision sacrilège dont il ignorait l’existence initialement. Par ces aveux dociles, que la chaîne a mis en avant à de nombreuses reprises pour démontrer, paradoxalement, toute la mesure de l’injustice dont elle était victime, Nabil Karoui a endossé les charges qui pèsent contre lui sans réserve et a ouvertement donné raison à ses détracteurs. On serait même tenté d'en déduire que Nabil Karoui aurait fougueusement plongé la tête la première au milieu de cette horde de fanatiques exaltés s’il ne se trouvait pas que ceux-ci se dirigeaient vers son domicile.
Mais voilà qu’aujourd’hui NessmaTV et Nabil Karoui, sous les traits d'un guerrier intrépide embrassant la cause de tous les Hommes, voudraient se hisser au statut de symbole de la liberté d’expression. Voilà qu’ils agitent sur un ton accusateur et culpabilisateur le spectre du musellement des médias par les pouvoirs en place comme si chacun était responsable de ces excès hormis eux, les premiers intéressés. On en oublierait presque que la lâcheté des acteurs médiatiques constitue l’un des piliers inébranlables sur lesquels se greffent les systèmes répressifs et se déploient. Ce sont eux, qui s’appliquent à ne jamais titiller la bête, à toujours la caresser dans le sens du poil, et s’empressent de se rétracter au moindre frémissement, qui sont les complices de leurs propres bourreaux. Et voilà qu’aujourd’hui, à grand renfort de pétitions, chacun est amené à porter le glaive contre ces dérives liberticides sur un champ de bataille que Nabil Karoui a pourtant lui-même déserté.
Je ne soutiens pas NessmaTV dans ce procès, car plus qu’une quelconque foi j’abhorre la mauvaise foi. J’estime que quand on n’a pas le courage de ses convictions et de ses opinions, on se doit au moins d’avoir la décence de ne pas demander à des signataires de l’avoir à sa place pour mieux se poser en héros. Et pour pasticher une citation célèbre de Winston Churchill, je dirais que Nabil Karoui avait à choisir entre la guerre et le déshonneur, il a choisi le déshonneur et il aura la guerre. Certaines crises peuvent être salutaires. Il faut parfois toucher le fond pour trouver l’appui qui donne l’impulsion de refaire surface. Laissons donc les journalistes couler, et même s’ils finiraient tous par remonter, les meilleurs auront appris à nager, les autres, nous regarderons flotter leur cadavre.

PS : Avant de décréter que ce procès est celui de la Liberté, attendons d'abord de connaître  la ligne de défense des avocats de NessmaTV. S'agira-t-il d'essayer d'innocenter Karoui et ses collaborateurs en démontrant que Persépolis ne constitue en aucun cas un blasphème ? Ou, au contraire, de soutenir la désacralisation de la religion comme un droit inaliénable en dehors duquel la liberté ne serait qu'une  formule évidée de tout sens et dont les pouvoirs en place pourront se servir à chaque fois qu'il leur prendra l'envie de faire un peu de nettoyage ? C'est là tout l'enjeu de ce procès !

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