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De l'apprentissage du dessin 22

Publié le 24 juillet 2012 par Headless

De L'image au signe

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Tête des Cyclades, vers 2700-2300 av JC.

Il y a bien des nuances dans la référence au réel, de la plus complète à la plus épurée, de la plus directe à la plus éloignée. En tant que dessinateur, il faut apprendre à distinguer dans tous ces possibles car il s'agit là d'une palette, d'un clavier sur lequel il faut savoir se repérer.

S'il y a une échelle qu'elle est-elle?

Partons du plus immédiat : le visible. La réalité dans toute sa complexité (couleurs, formes, textures, lumières, mouvements...). C'est ce que l'art Antique et Classique a essayer de capter à travers la notion de mimésis (ressemblance) par une image la plus complète et la plus fidèle possible d'une chose. On pourrait parler aussi de réalisme, même si ce terme n'est pas suffisant puisqu'il contient lui aussi toutes sortes de nuances (réalisme idéalisé de l'art grec ou réalisme plus brutal et ingrat tel que dans l'art Romain du portrait sculpté ou chez Courbet, ou bien encore l'hyperréalisme). 

Pour simplifier, on pourrait dire de l'image qu'elle contient le maximum d'informations qui la relie à son référent (couleurs, formes, textures, lumières, mouvements...). Disons qu'on y trouve près de 100 % de ce qui la compose. On pourrait penser au travail graphique d'Ernest Pignon Ernest par exemple.

A l'opposé, il y a le signe qui lui, contrairement à l'image, fait l'économie des détails pour ne garder que l'essentiel. La seule limité étant la lisibilité et la possibilité d'identifier le référent. Et on s'aperçoit qu'il en faut très peu pour qu'on puisse "lire" une figure. Peut-être 10 ou 5 % des informations pourraient suffire. Les têtes des Cyclades en sont un bel exemple, tout autant que les graffitis sur les murs. On n'a gardé que quelques détails mais pas n'importe lesquels : les caractéristiques saillants, distinctifs d'une réalité (la forme ovale de la tête, la ligne du nez). Comme pour l'étonnante Tête de taureau de Picasso qui se compose juste d'une selle et d'un guidon de vélo qui font l'analogie avec les cornes et la forme globale du crâne. On est aussi dans le domaine du pictogramme et de la signalétique qui vise une lecture rapide et universelle.

Maintenant que l'on a ces deux pôles, que trouve-t-on dans la partie médiane?

Ce serait une image teintée de signe, ou pour caricaturer, une représentation qui tournerait autour de la restitution de 50% de la réalité. Avant que les cubistes ne s'en emparent et qu'ils radicalisent son travail, Cézanne a cherché à synthétiser cette fameuse complexité du réel, à la simplifier. Il prônait le recours aux formes géométriques fondamentales, sa leçon est celle-ci : "Traitez la nature par le cylindre, la sphère, le cône, le tout mis en perspective." La figuration synthétique, stylisée, simplifiée peut être considérée comme un entre-deux (entre image et signe). De même que l'esquisse ou le brouillon, qui sont des images incomplètes, en devenir ou simplement des images qui se veulent rapides. La pochade étant l'équivalent peint de ceux-ci (une esquisse réalisée en couleur, avec évocation globale et succincte d'un objet, de son volume, de son éclairage). On pourrait aussi mettre dans cet entre-deux les dessins inachevés (je pense aux très beaux dessins de Schiele en prison où certaines zones plus travaillées se dégagent d'un ensemble simplement esquissé). Concilier figuration et présence des textures, gestes, matières contribue aussi à être dans cet entre-deux (hachurage de Giacometti, frottage de Max Ernst...).

Généralement dans un dessin, on part d'une mise en place presque informe, "jetée" (une carcasse, un squelette)  qu'on vient progressivement habiller, corriger, compléter. La finalisation étant le dessin, l'image. Ainsi le signe, ou l'esquisse, finissent par disparaître sous l'image et sa richesse de détails.

Mais on peut aussi aborder le dessin dans l'autre sens et chercher à dépouiller, enlever, ne retenir que le signe. Je pense à Keith Haring, Basquiat, Paul Klee...

Autre possibilités, on peut jongler entre signe et image au sein d'un même travail. C'est ce que fait entres autres Edmond Baudouin de façon très élégante et habile. On sent chez lui, malgré un univers plutôt réaliste et figuratif, un élan vers l'essentiel et l'abstrait. Ces accents "signes" venant pour ponctuer, rythmer, accompagner la narration.

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Page de La diagonale des jours, correspondance par Edmond Baudoin et Tanguy Daholleau (Ed. Apogée, 1995)

Voilà de multiples manière de dessiner. Dessiner ne va pas de soi, dessiner ne doit pas être automatiquement représenter, mais représenter qui, quoi, comment et pourquoi. On a trop été habitué à bien dessiner, à s'appliquer, à faire dans le ressemblant (critère du bon ou du mauvais dessin) sans se demander l'intérêt de cette action. De là un autre défaut : la tendance a toujours déployer la même quantité d'énergie dans un dessin quel que soit la demande ou le contexte. Il n'est pas toujours indispensable de rendre compte de 100% d'une réalité. Il faut aussi savoir faire une vraie esquisse (ce qui tend à disparaître chez certains, omnibulés par un rendu léché et parfait : rough de design automobile, manga, illustration, dessin animé...). Alors qu'une esquisse réussie vaut tous les dessins. Il est faux de croire que le simple est simpliste ou facile à faire. Il demande autant de travail et de réflexion que le complexe. Il faudrait savoir adapter son dessin au moment, puisque qu'à chaque seconde, (ni le monde ni soi) rien n'est identique.


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