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La Triste Fin de Roger Roger (2)

Publié le 26 mars 2008 par Rogerroger
« Entendant son appel, je me suis approché de la demeure de Laïlâ»
La douleur, la fin et la nuit avaient pénétré telles de longues lames effilées dans son cerveau déjà fracassé, épars.
« Ô puisse cette voix si douce ne se taire jamais ! Elle m’accorda sa faveur et m’attirant vers elle, m’introduisit en son domaine, avec des paroles pleines d’intimité… Et retira le vêtement qui la voilait à mes regards… »
Son corps était rendu à la solitude infinie. Tous avaient déjà fui, tous emportés par la panique et la honte, dévorés déjà par l’obscurité totale de ces temps sans lune. L’extrême violence avait fait place à un vide sidérant.
Comme si un torrent de lave et de sang chaud, dévalant les pentes abruptes des « Jardins de Babour », parc à l’abandon, vaste terrain vague planté d’arbres tordus, broussailles sèches, hanté de fantômes plaintifs, avait balayé les cauchemars des minutes passées.
« M’ayant tué et réduit en lambeaux, elle trempa ces restes dans son sang. Puis, me ressuscita : Mon astre en son firmament brille»
L’union, l’essence divine, l’extase… et la destruction. Le corps de Roger frappé cent fois, mille fois, caillassé, broyé, déchiqueté. Désirs contrariés, incompréhensions infinies, haine féroce… il en fallait, de la rage, pour assassiner ainsi, pour vouloir éradiquer de la surface de la terre.
Au terme de quelle nuit, de quels rituels d’un autre âge, de quelles provocations ?
Sans témoins déclarés, comment connaître les faits, les détails… ?
Les mystères de la foi sont impénétrables et la sincérité soufiste de Roger sujette à caution. Mais il est avéré que d’un détonant cocktail d’ésotérisme, de musique lancinante, de boissons interdites et de haschisch fort comme des coups de massue… a jailli l’étincelle qui a embrasé cette petite assemblée transformée en réunion de bandits auprès d’un bassin à moitié vide, en ce lieu désert et lugubre.
Argent, échanges, ou, au contraire, frustrations, absences, vides, mauvais deal. « Donne ! » « Prends ! » « Encore ! » Puits sans fond, sentiments corrompus, dépravés, ou triste farce de l’être jeté comme un chien sans maître sur cette terre…
Roger, accompagné de deux étrangers, un routard franco-américain et un inverti ukrainien ; trois musiciens défoncés ; une douzaine de jeunes afghans enivrés… et, un peu à l’écart, une jeune fille, une adolescente, farouche, consentante.
« Al-hamdu li-Llâh », « Louange à Dieu »
Il fait doux encore, en ce mois d’octobre… Les montagnes, qui se referment comme des griffes géantes sur cet encaissement dans la ville, assombrissent encore le ciel déjà noir.
« Dieu est beau et il aime la beauté »
Un écrin de nature austère et sauvage, de l’eau croupie mais fraîche aux esprits échauffés et aux corps dénudés, une scène de théâtre antique, sans public. Sortilèges mortifères. Gestes déplacés. Malentendus. Honneurs bafoués. Sans retour ni pardon.
Lieu d'amour et hommage à la Création – le sexe est aussi lieu de sacré, épiphanie du divin. L'Amant remplace l’habit de l’ascète par celui des libertins, une coupe de vin à la main. Parfois, la contemplation de la beauté du monde pour parvenir à celle de Dieu, l'amour terrestre, ont dévié vers la contemplation d'un éphèbe, évocation de la beauté divine qui mène à l'extase : shâhid-bâzî. C'est aussi l'ambiguïté des poèmes d'amour passionné (le ‘ishq) qui s'adressent au Bien-Aimé. Les mouvements des boucles de la chevelure qui s'écartent devant la face sont autant de dévoilements successifs...
Mais cette fille aussi, jolie comme une lame, est posée là, regarde, attire. Pleure peut-être, délaissée. Se moque un peu. Qui s’approche ? Innocent peut-être, pour consoler ? Qui ne prend garde à rendre ce mouvement inoffensif, sans ambiguïté, dans ce pays de folies ancestrales ?
"Va, et pose ta tête sur l'oreiller, laisse-moi seul.
Quitte ce pauvre qui est condamné et qui passe ses nuits à errer.
Les nuits, jusqu'au matin, nous les passons à lutter, à nous débattre dans les vagues de l'Amour.
Si tu le veux, viens et pardonne nous
Si tu le veux, va t'en et tourmente-nous"
Le Messager de Dieu a dit : « Celui qui entend la voix des soufis - ahl at-tasawwuf - et ne dit pas «amen » à leur prière est devant Dieu au nombre des insouciants. »
Certains affirment que le soufi est ainsi appelé parce qu'il porte un vêtement de laine - jâma'i sûf -; d'autres, parce qu'il est au premier rang - saff i awwal -; certains déclarent que son étymologie est safâ (la pureté)…
L'un des maîtres a dit « Celui qui est purifié par l'amour est pur, et celui qui est absorbé dans le Bien-Aimé et a renoncé à tout le reste est un soufi. »
"J'ai vu Dieu avec l'oeil de mon coeur. Je lui ai demandé: Qui es-tu ? Il m'a répondu: Toi"

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