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Driving (Miss Daisy) Crazy

Publié le 16 octobre 2012 par Vinsh

Driving (Miss Daisy) Crazy
En voyant ma mère, toute paumée et désorientée, incapable de retrouver la voiture sur le parking d'Ikea ce week-end, et s'accrochant à mon bras pendant que je poussais le caddie de peur de se retrouver larguée aux caisses, je me suis aperçu qu'elle vieillissait. Et encore plus quand, à la nuit tombée et pendant que je conduisais, elle a hurlé à l'entrée d'un rond-point en croyant voir un camion nous foncer dessus, alors qu'il était encore à 150 mètres de nous sur la gauche, et roulait à 30km/h. Ses perceptions changent, elle fait certaines choses au ralenti, elle ne se souvient plus d'où elle a garé sa voiture sur les parkings, elle me dit avec le plus grand sérieux qu'elle aime beaucoup la nouvelle chanson de Céline Dion. Cela fait pourtant un an qu'elle a pris sa retraite, mais ça ne m'avait jamais sauté aux yeux jusqu'alors. Samedi, peut-être à cause du froid ou des visites de plus en plus espacées que je rends à mes parents, je ne sais pas, j'ai eu l'impression, pour la première fois, de ne pas voir la petite ronde irascible (c'est comme ça que je la décris quand je la cherche dans un lieu public "Vous n'avez pas vu ma mère ? Une petite ronde irascible, blonde ?") (les gens qui l'ont vue ou entendue dans les cinq minutes précédentes pigent de qui je parle, en général) (sa filleule la surnomme Alerte Rouge) qui possède depuis ma naissance (et probablement avant) le don d'impressionner avec sa grande voix, son énergie nerveuse qui fait que les gens la prennent pour une sorte de tornade blanche, et son air pas commode : là, j'ai trouvé qu'elle ressemblait à sa mère, cette petite dame toujours en robe et toute menue, qui marchait lentement et qu'on avait l'impression de pouvoir dégommer d'une pichenette. Mais qu'on avait pas trop envie de contrarier non plus parce que, les années passant, non, elle n'avait toujours pas l'air commode.
Remarque, on s'est émancipés, au moins de ce côté-là : en grandissant, mon frère et moi avons finalement (et très progressivement) osé la contrarier. De manière plus construite que lors du seul bouillonnement de nos crises d'adolescence respectives, j'entends. D'une part, parce qu'on n'a pas trop eu le choix (on est devenus à peu près tout ce qu'elle ne voulait pas) (ce qui engendre bon nombre de discussions pour tenter de justifier les sommes de décisions, incompréhensibles pour elles, qui ont fait de nos vies d'adultes ce qu'elles sont aujourd'hui). D'autre part parce que, à mesure que nous la dépassions en taille, elle a commencé à un peu moins nous intimider, et qu'on a même fini par trouver ses emportements assez drôles. Enfin, moi en tout cas. Désormais, quand je rentre chez mes parents et que chaque conversation consiste à chercher un pou, une anecdote à désapprouver ou une conduite à reprocher, je fais face à trois choix : essayer d'argumenter, fermer l'oreille et laisser passer l'orage d'un air absent, ou me moquer. L'option pour laquelle j'opte est assez variable, mais au moins, il y en a plus d'une, ce qui n'a pas toujours été le cas. Quand j'étais gamin, si ma mère se mettait à crier, je rentrais la tête dans les épaules, courbais le dos, voire me protégeais carrément le visage en prévision d'une gifle. Alors qu'elle n'a jamais levé la main sur moi. Elle se vexait, d'ailleurs, quand ça arrivait, parce qu'elle se disait que j'avais peur d'elle. Maintenant, quand je dîne chez mes parents et que le ton monte de son côté de la table, je me mets à grogner en montrant les dents, et à aboyer. Mon frère le fait aussi parfois. Ce qui a pour conséquence de nous faire passer pour des débiles lorsqu'il y a des invités. Quelle idée, aussi, de recevoir des invités en même temps que moi. Mais à la guerre d'usure, trois mecs un peu crétins qui se serrent les coudes contre une seule femme, aussi control freak soit-elle, que veux-tu qu'elle gagne, la pauvre ? Hu hu.
Tout cela pour dire qu'en grandissant, on est de moins en moins impressionné par ses parents, à mesure qu'ils perdent leur supériorité physique et qu'on se détache un peu de leur avis. Jusqu'au jour où l'on se rend compte qu'ils sont vieux, ou pas loin, et que le jeu de taquinerie et la bataille de territorialité devraient peut-être cesser. Ou alors, cela ne cesse jamais, parce que c'est comme ça que la relation parent-enfant fonctionne. Mais se défend-elle aussi bien qu'avant ? A-t-elle jamais joué au même jeu que toi ? Ses armes sont-elles les mêmes que les tiennes ? Et mon père, l'arbitre de chaise, connaît-il les règles du jeu ?
Il y a une métaphore militaire coincée dans mes relations avec mes parents depuis une vingtaine d'années, et depuis le parking d'Ikea je me demande si je ne suis pas simplement en train de maltraiter Miss Daisy depuis l'adolescence, en fait.
Driving (Miss Daisy) Crazy
Du coup, je ne lui ai pas trop expliqué qui étaient ces Scissor Sisters pour le concert desquels je devais partir comme un voleur dimanche midi. C'est déjà bien assez compliqué comme ça de lui expliquer qui est Lady Gaga ou les raisons de la longévité de la carrière de Britney Spears (bon, ok, elle ne me parle jamais de ça, il faut que j'amène moi-même subtilement le sujet sur le tapis) (genre jamais, en fait). Mais bon, tu m'as compris. Si ma mère commence à ressembler à une mamie, ça veut dire qu'elle sera bientôt encore plus à la ramasse avec moi, mes contradictions et tous les aspects de ma personne qu'elle ne veut peut pas comprendre. Et dans ce cas, à l'image de mes visites désormais bimestrielles, il vaudrait peut-être mieux pour tout le monde que je lui fiche un peu la paix. Sale gamin.

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