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Roger et Roger (4)

Publié le 31 mars 2008 par Rogerroger
« Sais-tu que j’aurais pu être célèbre ?!
Je veux dire : vraiment célèbre. Je ne parle pas de cette notoriété qui me colle aux basques depuis une bonne décennie, une notoriété due à une accumulation de malentendus, à des hasards qui m’ont moi-même laissé pantois, et qui m’ont dérouté de mon petit bonhomme de chemin : « le restaurateur de l’impossible » ; le « Bocuse des zones de guerre » ; le « Kessel de la daube »…
Non, mis à part cet esprit d’entreprenariat chevillé au corps et rivé au porte-monnaie qui m’a étrangement caractérisé depuis que je suis grand – arrivé la quarantaine -, il ne tenait qu’à moi de révéler mes autres talents, et notamment une intelligence profonde, au service d’une plume féconde…
J’avais imaginé, le croiras-tu ?, écrire une saga, une épopée, la vie d’un homme, tout simplement, que j’avais nommé Etienne Etienne, me ressemblant, sans être tout à fait moi, et qui aurait lancé un restaurant à Bagdad, « La Vie en Rose »… Son histoire, ses histoires - une vie (je sais, je sais, je t’avais promis de ne pas te faire la leçon…) est un entrelacs de fragments épars, dérisoire empilement d’insignifiances - , auraient été déclinées dans plusieurs récits parallèles – ou perpendiculaires, selon, ou, pour être encore plus précis, de travers, en biais, comme une course de crabes… -, l’idée globale étant de cerner peu à peu cette personnalité apparemment banale prise dans un écheveau complexe, sophistiqué, composé de projets avortés, de ratages, d’ambivalences, de trahisons, de lâchetés quotidiennes... Etienne aurait été à la fois l’araignée perverse au cœur de sa toile, ivre de sa création comme Dieu le soir du sixième jour et la mouche un peu bêtasse, ainsi que le héros malgré lui, et encore le méchant sans calcul, celui qui meurt à la fin, mais aussi certains personnages secondaires… Le dénouement des intrigues ne serait évoqué, suggéré, qu’à la fin d’autres narrations, un bout par ci, un bout par là, comme s’il n’était pas envisageable de comprendre quoi que ce soit de « A la recherche du temps perdu » sans avoir fini « Le Temps retrouvé », et plus subtil encore, en ayant fait l’impasse sur « Les Frères Karamazov ». Je ne suis pas sûr d’être clair.
Ce projet visionnaire, révolutionnaire, n’a certes jamais vu le jour, loin de là, mais j’ai toujours été persuadé que cet ambitieux dessein aurait de toute façon été incompris, voire raillé… Que de grandes œuvres – « Ulysse » de Joyce, « Au-dessous du volcan » de Lowry… - trop en avance sur leur temps, trop brillantes, ésotériques, superbement immodestes, ont mis du temps à se frayer leur voie vers la reconnaissance…
Voilà, voilà. Où j’en suis, où j’erre. A toi la parole. Sois digne de moi. »

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