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Pascal Commère, Mémoire, ce qui demeure

Publié le 11 novembre 2012 par Angèle Paoli
Pascal Commère, Mémoire, ce qui demeure,
Tarabuste, Collection Reprises,
Saint-Benoît-du-Sault (Indre), 2012.


Lecture d’Angèle Paoli

Images entraperçues à travers la vitre embuée d'une fenêtre
Ph., G.AdC

OUBLI, SAVANTS DÉCOMBRES


  Voix sans tain échos sans voix, Mémoire, ce qui demeure est poésie du silence. Partition pour voix éteintes, voix des êtres et voix seules, interrogation sur le chevauchement et le glissement des unes avec les autres, le recueil de Pascal Commère est une lente et longue litanie d’hommes de la campagne de bêtes et de « choses » appartenant à un passé depuis longtemps révolu. De ce monde muet, douloureux, et comme absent à lui-même, Pascal Commère tente de restituer les contours et les bruits à travers les trois sections réunies sous un même titre qui oriente la lecture, du côté de la mémoire, « pédalier grippé » qui laisse trace dans la poussière. De sorte que coucher des mots sur ce silence est entreprise délicate, voire improbable. Essayons, tout de même, sotto voce, de couler notre voix dans les « brisures » ouvertes par le poète.


  Emprunté aux deux premiers vers du poème d’ouverture de la troisième section ― « D’une voix tue, brisures » ―, le titre de l’ouvrage ― Mémoire, ce qui demeure ― ancre la poésie de celui qui revient en ses terres, dans un cheminement patient le long du sentier de halage de la mémoire.


  « Mémoire ― ce qui demeure,
  tremblante main.
 »


  De ces deux vers se diffuse le mystère d’une poésie née du tremblé des mots, images entraperçues à travers la vitre embuée d’une fenêtre. S’ouvre alors un monde rural aux tesselles indistinctes, « Fragments d’espace, détachés / d’un cadastre en soi connu de tous. » Un univers de guingois prend place de page en page, villages aux maisons penchées où hommes et bêtes se meuvent dans leur ombre, femmes vouées à leurs travaux de lingères et à leurs sangs. Monde obscur, replié sur ses gestes et ses silences : « (les fenêtres sont petites servent si peu) ». Qui sont-ils ? – « corps de femme sur la brique / corps de ferme ». D’où issus ? Les anciens sans doute, tous ces êtres familiers qui ont précédé en ce lieu-même celui qui parle et qui revient, ce fils à qui la mère écrit, au seuil du recueil, « d’une encre qui retient la cendre / d’une blessure. » Lui, dont le retour ajoute une ombre aux autres ombres.


  Pourtant, « d’un angle mort sous le papier » surgissent les « mots qui serrent ». Pour nommer quoi, interroge le poète, sinon « le crépitement chuinté du lait / contre la paroi du seau. ― La cloche de sept heures, sans beaucoup plus de sens. » Et le poète s’obstine : « Les répéter, ciel et salive ensemble. » Ainsi, qu’il s’agisse des poèmes de « Terre – Alors, et Alentours » (première section), « D’une voix tue, brisures » (troisième section) ou des courtes proses de la seconde section ― « Fenêtres La Nuit vient » ―, le poète tire-t-il de l’enfouissement – « oubli, savants décombres » ― le monde qui fut celui des siens. Par fragments et par variations autour du même, il recompose le monde passé. Comme suspendue entre les parenthèses qui émaillent chaque poème, la vie est là, à l’identique, dans ses formes simples :


  « (Les enfants ne pèsent pas, l’averse / les soulève des marelles) » ou encore « (Les saisons sont des femmes / en froid avec leurs sangs) ». Plus loin : « (il pleut. Des mains de cuir manœuvrent / près des― salines) » ou bien : « (Leurs voix-cassées, maisons les ramassent) ». Ou encore : « (Les villages pendent derrière les pluies) ».


  Ailleurs, dans la seconde section, solitaires sur la page de gauche (en bas de la page), les phrases en italiques semblent une fenêtre ouverte sur la page de droite :


« Fagots d’écorce une ficelle autour, rien
ne se perd le soir les façades penchent
 »


ou encore :


« Une femme appuyée en bas
sur la brouette de son ventre
 »


  Les mêmes menus objets, les mêmes marques sur le visage – « les verrues sous les paupières » ―, le même chien jaune, la même vacuité, traversent le recueil. Au long de cette variation sur l’identique, quelque chose bouge, un tremblé à peine, qui passe par l’inventaire des formes et des lieux, trouve ses liens dans la couleur (rouge, jaune, bleu, noir) ainsi que dans la présence obsédante des mains et des yeux. Vides, absents ou aveugles, pareils à des boutons cousus, les yeux se détachent du visage, vivent leur vie propre :


  « Leurs yeux alors, / sortent-rentrent plus tard qu’eux ». De même les mains. Bleuies par les lessives et par le froid, les mains « s’occupent seules ». Elles « vont devant dans les journées », indépendantes, « remisées / dans la pièce aux outils. », le soir. « La nuit, retour au ventre. » Un même détachement gagne peu à peu le poète, signe sans doute de son appartenance à ce monde, de sa grande proximité avec lui :


« Tes yeux, se couchent loin de toi. »


  Une même étrangeté le questionne et l’étreint :


« Où commencent
les yeux. S’ils finissent ?

Ce qui reste étranger malgré soi,
Cette part de nous.

Les mains. »


  Des « yeux germés » aux « mains serrées », « l’os règne », impose son ordre, identique pour tous, hommes et bêtes, liés qu’ils sont « au destin des bêtes de boucherie. »


  Dans cet univers immobile et rude où hommes et bêtes se rejoignent (« Les hommes ont rentré leur bêtes leur visage »), le temps est à la lenteur, au presque rien qui s’amenuise dans la brisure, voix et visage cassés. Brisées, elles aussi, les phrases se serrent sur leurs ellipses :


« Chemin lentement, les choses / un peu de gris le soir – ou rien, mouchoir bleu. »


  « En quoi/ se reconnaître ? » interroge Pascal Commère. « Où être ? » Et que faire de tout cela qui tourmente la mémoire, blessure et « cicatrice, déjà » ? Quel sens donner à ce qui persiste encore « dans les intervalles »?


  Peut-être oser les mots, même si la phrase trébuche, puisqu’on revient toujours et que les mains, gardiennes de la mémoire, « savent » ? Se remettre à l’ouvrage et, patiemment,


« crocher dans le bris des
phrases les mots, qui
tiennent chaud

sans brûler. »


  Et de cette geste humble de poète, aborder doucement « le sommeil long, l’hiver ».


Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli



PASCAL COMMÈRE

Commere

Source

■ Pascal Commère
sur Terres de femmes

Lettre de la mère (extrait de Mémoire, ce qui demeure)

■ Voir | écouter aussi ▼

→ (sur Terre à ciel) une page consacrée à Pascal Commère (présentation par Antoine Emaz + de nombreux extraits + une notice bibliographique)
→ (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes) une fiche bio-bibliographique sur Pascal Commère
→ (sur le site de France Culture) Pascal Commère dans Ça rime à quoi de Sophie Nauleau (émission du 13 mai 2012)



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