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Vers le Brésil

Publié le 01 avril 2008 par Rogerroger
Bingo ! Robert a racheté ma gargote. « The naked Bob » comme le surnomment les jeunes anglo-saxonnes de Kaboul, en référence à son irrépressible besoin de se déshabiller à la fin des soirées arrosées… Rituel accompli généralement en duo, avec le grand Francis, celui-ci aussi sympathique et sexe que soulard et exhibitionniste.
Je l’aime bien, Francis, Landais pure race, rugueux comme un pin, comme un « paingue », doux comme une fougère, je l’aime bien Robert, ancien suppôt de Krasuki, reconverti dans les affaires après une transition par l’humanitaire… J’aime tout le monde. J’écoute Manset en boucle, « Y’a une route », « Marchand de rêves », « La Mer Rouge »… « Finir pêcheur », « Est-ce ainsi que les hommes meurent »… Cela faisait bien six ans. Manset et mes vies d’avant enfouis sous les émotions fortes de Kaboul. Six ans d’Afgha, « Afgha » comme disent les ONGs. Eux-aussi, je les aime. Ils sauvent des vies, creusent des puits, construisent des ponts, font des ronds dans l’eau. Rendent le monde légèrement moins dur aux faibles. J’aime les humanitaires, les Afghans, les Musulmans – maintenant que je ne devrais plus en voir aussi nombreusement réunis dans un même endroit avant des siècles, avant le Jugement dernier -, j’aime les Ch’tis, j’aime le Stade Français (non, là, j’peux pas)…
Bob donc. Grâce à ce nouveau candidat au suicide, je vais pouvoir déguerpir. L’usure est là. Six années… Attaqué sans cesse aux jarrets par la meute de chiens fous. « Maboul à Kaboul », dirait Francis...
Nous avons renforcé la sécurité de « La Joie de Vivre » : gardes armés jusqu’aux chicots, mots de passes sophistiqués, succession de portes infranchissables, sorties de secours (pour ceux qui auraient réussi à entrer), grillages, sacs de sable… En projet : un mirador ; des barrières dans la rue ; des rondes de police, des champs de mines… et des soirées « ciné-club »… Je ne verrai pas toutes ces réalisations. Une branche dissidente d’Altayara m’attend à Rio de Janeiro. (Ceux qui disent « mon père, ma mère », en parlant de leurs parents, alors que les membres de la branche canal-historique disent « papa, maman »). Rio d’où ils sont supposés conquérir le Brésil ! Pour l’heure, ils prennent des cours de portugais, de surf et de samba…
Mes… les employés de Robert, me regardent m’éloigner. Sans tristesse apparente, l’essentiel, pour eux aussi, est sauf : se retrouver entre copains chaque jour, et recevoir son salaire à la fin du mois. Robert, Roger… du pareil au même… (Un peu excessif : ce matin, un homme de ménage fidèle depuis les débuts de « La Joie de Vivre », qui a pris des cours d’anglais des années sans arriver à prononcer un seul mot dans cette langue colonialiste, a réussi un impeccable : « I will miss you »)
Zendagi megzara, la vie passe, the show must go on… « Il voyage en solitaire… »
A la maison, tout va bien. Les couples couplent. S’interrogent. Soupèsent. Le pour, le contre, les profits, les pertes. René a concocté un tableau Excel et a conclu que la vie à deux, dans sa configuration actuelle, une fois provisionnés l’élevage de quatre créatures à deux pattes, les visites aux beaux-parents dans la Creuse, et autres agréments psychologiquement coûteux, préservait une marge nette enviable, surtout par les temps de subprimes qui courent.
Moi-même, j’y pense. Je pense à toi. Il faut toujours que je te cherche. Aussi surprenant que cela puisse paraître à ceux qui croient me connaître, qui soupçonnent, qui subodorent… Les héros mal déguisés de mes écrits décousus n’ont pas l’air net dans leurs désirs sinueux… mais ils cherchent une femme. Crois-tu que c’est vraiment à Rio que je vais échouer, à faire des claquettes en string ? Penses-tu que je ne retrouverai jamais ta trace ? Le monde est tel ces jours-ci que rien ne résiste, rien ne disparaît… Aucune sous-préfecture d’Amérique du Sud ne me restera inconnue. La forêt amazonienne sera fouillée, j’irai de ci, j’irai de là, par les mégalopoles, par les villages, j’entrerai dans chaque cabana, chaque choupana, je regarderai derrière chaque plume de chaque festival, sous chaque grain de sable blanc des plus belles plages de sable blanc, tous les bordels du Nordeste seront passés au peigne fin, les églises, les bars branchés, les bars pas branchés…
Je te trouverai.

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