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"Dissemblance" : peinture flamande et théologie

Publié le 24 novembre 2012 par Perceval

Les images sont « faites pour signifier une chose différente de ce qu’on voit avec les yeux », affirmait Cesare Ripa (Cesare Ripa (1555 - 1622 ), est un auteur italien du xvie siècle, un amateur d'art, un érudit et l'auteur de l'Iconologie (Iconologia overo Descrittione dell'Imagini universali) (Rome, 1593), livre extrêmement influent à son époque.

Suiveur de Jérôme Bosch (vers 1450-1516) Le_paradis vers 1539

Michel Weemans : « le tableau ne se contente pas d’illustrer un récit (hagiographique ou biblique), mais en donne une interprétation visuelle. » (*).

Cette tendance picturale est liée au développement de la Devotio moderna, mouvement spirituel qui naît aux Pays-Bas à la fin du XIVe siècle et favorise la prière personnelle, l’introspection, en bref une piété tout intérieure à laquelle les peintres offrent un support de méditation.

Pieter Huys (vers 1519-1581) La tentation de saint Antoine

« le monde fantastique, la part du diable et les lieux de dissemblance », de dissonance aussi. L’artiste de proue dans cette section est bien sûr Jérôme Bosch (et ses suiveurs) (ill. 6) et le sujet le plus favorable au brouhaha de figures effroyables, au déploiement de folies et de diableries est évidemment la tentation de saint Antoine largement représentée par Jan Mandyn, Pieter Huys ou Jan Wellensz de Cock. On pénètre l’univers du bizarre et des apparences trompeuses, des anamorphoses et des paysages anthropomorphiques, de l’Enfer et des châtiments. Mais, comme le souligne Reindert L. Falkenburg (*), tous ces démons, ces monstres et ces figures hybrides n’ont pas pour vocation d’offrir au spectateur une « terreur récréative ».

Ils incarnent plutôt la « région de dissemblance », notion formulée par saint Augustin pour suggérer que l’Homme, fait à l’image de Dieu, s’est éloigné de lui après la Chute. Saint Bernard, utilise cette expression dans le sens de la nature déchue. Pour Maître Eckhart, elle signifie la distance ontologique et noétique, qui sépare Dieu « innommable » dans son immensité, des ses œuvres extérieures à partir desquelles Il se fait connaître et nommer.

Cette région « de dissemblance » privée de vérité, « doit être opposée à celle de l'intellect, où règnent l'identité et tout ce qui l'accompagne, rendant possible la connaissance des choses crées non en elles-mêmes, mais dans leurs principes... cependant, pour connaître Dieu autrement que par ses effets créés, la faculté intellectuelle de l’homme ne saurait lui suffire sans la grâce. » ( V. Lossky, Théologie négative et connaissance de Dieu chez Maître Eckhart, p 177)

( *) de Bénédicte Bonnet Saint-Georges: Fables du paysage flamand. Bosch, Bles, Brueghel, Bril. : Lille, Palais des Beaux-Arts, du 6 octobre 2012 au 14 janvier 2013: cf le Catalogue de l’exposition p.57. Reindert Leonard Falkenburg, « Régions de dissemblance », pp. 57-63


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