Magazine Humeur

Le football, c'est la guerre

Publié le 31 mars 2008 par Savatier

 On ne lira jamais assez Pierre Bourgeade. Cet auteur qui n’a jamais craint d’utiliser toutes les facettes de l’écriture (romans, théâtre, nouvelles, poésie) séduit autant par sa fermeté de plume que par le choix de ses thèmes, tous d’une grande singularité. A titre d’exemple, dans son étonnant roman, Le Camp (Gallimard, Le Chemin, 179 pages, 7,35 €), il raconte comment un être humain tout à fait quelconque peut devenir un tortionnaire. Qu’il écrive sur l’art (Man Ray, Orlans, Molinier), la torture pendant la guerre d’Algérie (Les Serpents), l’érotisme (Eros mécanique, Cybersexe), la Shoah et la judéité (Les Ames juives), qu’il choisisse des titres intrigants et volontairement provocateurs (Sade – Sainte Thérèse, Les Mémoires de Judas) ou qu’il donne son interprétation d’un poète (Le Procès de Charles Baudelaire), aucun de ses livres ne laisse indifférent et, souvent – qualité suprême – ils dérangent.

Grand connaisseur de la noirceur de l’âme humaine, il n’hésite pas à aborder tous les sujets en se jouant des pseudo idées communément admises. Or, au lendemain d’un match de football qui, une fois encore, a apporté la preuve de l’imbécillité chronique de certains supporters, la lecture de l’un des livres de Pierre Bourgeade s’impose : Le Football, c’est la guerre poursuivie par d’autres moyens (Gallimard, Hors série, 136 pages, 6,72 €).

Le titre ne paraphrase pas Clausewitz par hasard. Le football (sport pour lequel, je l’avoue volontiers au risque de braver le « politiquement correct », je ne manifeste aucune passion), si l’on en croit les sociologues, serait tout à la fois « un territoire, une armée, une religion et une culture ». Passons sur le territoire et la culture, les deux termes restants ne laissent pas d’inquiéter. L’armée peut produire les soldats de l’An II ou la division Das Reich à Oradour, la religion peut promouvoir des valeurs de charité et de tolérance ou l’Inquisition. Mais le meilleur comme le pire n’apparaissent pas fortuitement ; un contexte existe toujours, qui les favorise, tout comme il favorise la décérébration. Il serait bon de s’interroger sur sa nature, car pareil incident ne se produit jamais à l’occasion d’autres rencontres sportives populaires, le rugby, notamment.

Ainsi, a fortiori parce que l’acte fut prémédité, attribuer le texte de la banderole déployée lors du match à la simple bêtise humaine serait faire preuve de beaucoup d’indulgence et d’autant d’angélisme. La bêtise n’explique et n’excuse pas tout, elle sert parfois de paravent à des idéologies ou des convictions moins avouables. A cet égard, les termes employés ne trompent pas ; leur choix trahit une forme de haine qui va jusqu’à « surfer » sur la vague d’hystérie collective qui, depuis une bonne décennie, fait perdre la plus élémentaire raison (au public, aux « associations », à certain(e)s responsables politiques) : la pédophilie. Cependant – faut-il le rappeler ? – du désastre judiciaire d’Outreau, les accusés sont sortis innocentés.

Il y a quelques jours, j’avais évoqué Pierre Desproges en indiquant qu’il ne partageait pas l’enthousiasme général pour le football. Il s’était notamment exprimé

dans l’une de ses Chroniques de la haine ordinaire (le 16 juin 1986). Relire ce texte fait forcément penser, non à tous les amateurs de football car les généralisations sont dangereuses, mais bien aux porteurs de bannière :

Voici bientôt quatre longues semaines que les gens normaux, j’entends les gens issus de la norme, avec deux bras et deux jambes pour signifier qu’ils existent, subissent à longueur d’antenne les dégradantes contorsions manchotes des hordes encaleçonnées sudoripares qui se disputent sur le gazon l’honneur minuscule d’être champions de la balle au pied. Voilà bien la différence entre le singe et le footballeur. Le premier a trop de mains ou pas assez de pieds pour s’abaisser à jouer au football.

Le football. Quel sport est plus laid, plus balourd et moins gracieux que le football ? Quelle harmonie, quelle élégance l’esthète de base pourrait-il bien découvrir dans les trottinements patauds de vingt-deux handicapés velus qui poussent des balles comme on pousse un étron, en ahanant des râles vulgaires de bœufs éteints. Quel bâtard en rut de quel corniaud branlé oserait manifester sa libido en s’enlaçant frénétiquement comme ils le font par paquets de huit, à grands coups de pattes grasses et mouillées, en ululant des gutturalités simiesques à choquer un rocker d’usine ? Quelle brute glacée, quel monstre décérébré de quel ordre noir oserait rire sur des cadavres comme nous le vîmes en vérité, certain soir du Heysel où vos idoles, calamiteux goalistes extatiques, ont exulté de joie folle au milieu de quarante morts piétinés, tout ça parce que la baballe était dans les bois ?

Je vous hais, footballeurs. Vous ne m’avez fait vibrer qu’une fois : le jour où j’ai appris que vous aviez attrapé la chiasse mexicaine en suçant des frites aztèques. J’eusse aimé que les amibes vous coupassent les pattes jusqu’à la fin du tournoi. Mais Dieu n’a pas voulu. Ça ne m’a pas surpris de sa part. Il est des vôtres. Il est comme vous. Il est partout, tout le temps, quoi qu’on fasse et où qu’on se planque, on ne peut y échapper.

Quand j’étais petit garçon, je me suis cru longtemps anormal parce que je vous repoussais déjà. Je refusais systématiquement de jouer au foot, à l’école ou dans la rue. On me disait : «Ah, la fille !» ou bien : «Tiens, il est malade», tellement l’idée d’anormalité est solidement solidaire de la non-footabilité. Je vous emmerde. Je n’ai jamais été malade. Quant à la féminité que vous subodoriez, elle est toujours en moi. Et me pousse aux temps chauds à rechercher la compagnie des femmes. Y compris celles des vôtres que je ne rechigne pas à culbuter quand vous vibrez aux stades.

Pouf, pouf.


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