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"Amour"... ou Enfer-mement (II) : De la compassion...

Publié le 09 décembre 2012 par Voilacestdit

De mon épouse Chantal


Je reviens sur la compassion, suite à mon dernier papier. Dans "Amour", face à son extrême souffrance, le couple se replie totalement sur lui-même, refusant à l'autre, leur fille y compris, d'exprimer sa compassion. J'ai évoqué ce mot sans aller plus loin. En fait, je n'étais pas très au clair avec la compassion et je résistais à en parler ... Ce sont les réactions des lecteurs - nombreuses et émouvantes parce que faisant référence à des vécus personnels douloureux - qui m'ont à la fois poussée et permis d'entrer plus avant dans le sujet.
Il est vrai que la compassion est controversée, en tous cas elle éveille des méfiances. Revenons aux origines du mot. Il est traduit du latin chrétien "compassio" (de compati, souffrir avec). A cause de son origine, le mot est imprégné de culture chrétienne. Je crois que la méfiance de nos contemporains tient à plusieurs raisons. Déjà par sa contagion possible avec le dolorisme qui exprime une complaisance malsaine à la souffrance. Aussi à cause de sa confusion avec la pitié  qui est une forme de condescendance et a acquis, de ce fait, une connotation franchement péjorative. Et puis il rencontre des résistances pour une raison beaucoup plus profonde. La souffrance nous fait naturellement horreur, dit Bergson. Nous n'aimons pas souffrir et n'aimons pas voir souffrir autrui, d'autant plus que celui-ci nous est proche affectivement. Notre conduite - consciente du moins - consiste  à éviter de souffrir. Face à la souffrance de l'autre, la  réaction naturelle serait donc de nous en tenir à distance ; de même que lorsque nous souffrons nous-même, la réaction consisterait à tenir l'autre à l'écart pour le protéger, l'épargner, et cela d'autant plus qu'il nous est cher. Donc nous rencontrons des résistances par rapport à la compassion, aussi bien dans le donner que le recevoir.
Il faut dire aussi que la souffrance rencontre encore une autre forme de résistance et qui n'est pas des moindres, et de multiples témoignages en apportent la preuve.  La souffrance isole, pousse au repli, voire elle culpabilise. Dans un premier mouvement, celui qui souffre se ferme au regard de l'autre, à sa sollicitude.  L'ouverture à la compassion n'est pas évidente, elle demande un travail d'approche de part et d'autre.
 
Pour éclairer la compassion, je la rapproche du concept d'empathie qui est devenu un mot familier, prisé même, dans le vocabulaire contemporain. Inventé  en Allemagne en 1873, le terme est repris en particulier par S.Freud. ll est par la suite traduit en anglais et en français et, au cours du vingtième siècle, il se répand dans les sciences humaines.  L'empathie, revisitée par les neuro-sciences, a fait l'objet, récemment, de nombreuses investigations neurophysiologiques. En particulier, ces recherches indiquent que lorsque nous percevons autrui dans des situations douloureuses accidentelles (par exemple se couper en cuisinant), les circuits  neuronaux de la carte somato-sensorielle  qui sont impliqués dans la douleur physique sont actifs chez l'observateur. Ainsi, lorsqu'on présente à des personnes des images qui suggèrent qu'une autre personne a mal, un tiers des personnes ressentent de la douleur aux mêmes endroits  de leur corps (empathie sensorielle),  deux tiers sont perturbées mais ne ressentent pas elles-mêmes la douleur (empathie affective) [Pierre Papon].
L'empathie repose sur une capacité de représentation de l'état mental de l'autre, indépendamment de tout jugement de valeur, sans forcément impliquer la composante affective. Elle désigne à la fois une aptitude psychologique et les mécanismes qui permettent la compréhension du ressenti d'autrui.
La compassion puise ses racines dans l'empathie et est axée sur la souffrance. Elle est un mode affectif  de communication intersubjective. Forme de sympathie, elle est ce qu'éprouve un sujet en présence de la souffrance d'un autre qui non seulement ne laisse pas indifférent mais qui le fait souffrir à son tour. Compatir, c'est souffrir de la souffrance d'autrui.
La compassion nous fait partager la souffrance d'autrui. A ce titre, plusieurs philosophies (les stoïciens, Nietzsche  par exemple) ont "condamné" la compassion sous prétexte qu'elle est un vain redoublement de la souffrance. Alors, peut-on justifier l'attitude de compassion, comment et par quoi la justifier ? En réfléchissant à cette question, me viennent en tête deux représentations. D'abord j'observe que le fait de se tenir systématiquement à l'écart de la souffrance d'autrui, proche ou lointain, conduit au dessèchement intérieur, à un rétrécissement du coeur. Ensuite, peut-on, par exemple, imaginer l'amour d'une mère s'arrêtant au seuil de la souffrance de son enfant ? Pourrait-on encore parler d'amour ? L'amour qui n'inclut pas potentiellement la compassion ne se nommerait plus amour. Il se mesure à son degré d'inconditionnalité et à sa capacité à franchir avec l'autre la porte de la souffrance et à l'accompagner.
En effet, si la compassion a des fondements neuro-physiologiques, bien au-delà, elle est une manifestation du coeur. On peut s'émouvoir des drames qui défilent journellement devant nos yeux à la télévision, mais la compassion est d'un autre ordre. Il s'agit d'une ouverture du coeur qui transforme notre façon de voir les choses et donc notre manière d'agir. Il est vrai qu'à un certain degré, la souffrance laisse sans voix tant elle paraît insensée, injuste, insupportable, sans issue, en nous renvoyant à un profond sentiment d'impuissance. Elle dépasse l'entendement.  Dans ce cas, les gestes peuvent se révéler  maladroits, dérisoires, inefficaces dans la mesure où ils n'apportent pas vraiment un remède. Néanmoins, la compassion ne se laisse pas instrumentaliser et ne se réduit pas à une relation d'aide ni d'utilité. C'est une relation qui puise et qui trouve son sens en elle-même : elle soulage au-delà des moyens qu'elle met en oeuvre.


Par delà la relation à un être proche, à notre prochain, la compassion invite à une "posture" par rapport à l'humanité - plus, à l'égard du vivant dans sa totalité. La souffrance étant inhérente à la vie, se fermer à  la compassion, c'est en fin de compte se couper de l'humanité, du vivant. Cette coupure est une forme d'amputation du coeur.
La compassion est une ressource extraordinaire  pour celui qui donne et celui qui reçoit car elle révèle ce qu'il y a de plus noble chez l'homme : l'intelligence du coeur. Elle est la forme de relation humaine peut-être la plus exigeante. Compassion qui trouve difficilement sa place dans un monde d'où l'on a voulu exclure la mort et la souffrance qui ne guérit pas, celle qui résiste aux médicaments et aux techniques anti-douleur.


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