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20 décembre 1875 | Naissance de Marie de Régnier

Publié le 20 décembre 2012 par Angèle Paoli
Éphéméride culturelle à rebours

Le 20 décembre 1875 naît à Paris Marie de Heredia [Marie de Régnier].


Jean-Louis Forain, Portrait de Marie de Régnier

Jean-Louis Forain (1852-1931)
Portrait de Marie de Régnier, 1907
Huile sur toile, 90 x 71 cm
Collection particulière
Source : Marie de Régnier, Muse et poète de la Belle Époque
(Catalogue de la BnF, 2004, page 38)

Plus connue sous le nom de Marie de Régnier, Marie de Heredia a traversé sa vie en femme de talent. Amoureuse insatiable, l’aventurière a construit son mythe de femme libre en menant de concert ses idylles tumultueuses et sa carrière d’écrivain et de poète.

Fille cadette du poète José-Maria de Heredia et de Louise Cécile Despaigne ― tous deux de nationalité espagnole et originaires de Santiago de Cuba ―, Marie est dispensée d’école par ses parents dont elle reçoit l’instruction nécessaire à son évolution intellectuelle. Le poète Leconte de Lisle suit également de près les progrès de la demoiselle en matière de poésie. Le couple Heredia et ses trois filles (Hélène, Marie et Louise) s’installent au 11 bis de la rue Balzac où Mme de Heredia reçoit ses amis écrivains et artistes. Parmi eux, le poète Henri de Régnier, introduit par Pierre Louÿs. Lequel vient de fonder une revue littéraire ― La Conque ― à laquelle Gide, Valéry et Henri de Régnier apportent leur contribution.

En 1893 paraît chez Lemerre Les Trophées, œuvre poétique de José-Maria de Heredia. Au mois de juin de la même année, Marie pose pour Jacques-Émile Blanche qui réalise un grand portrait en pied, depuis lors malheureusement détruit. L’année suivante, en février 1894, Marie de Heredia publie ses premiers poèmes dans la Revue des deux mondes. Alors même que José-Maria de Heredia se concentre sur l’écriture de son discours de réception à l’Académie française, l’impertinente « Maricotte » crée une académie burlesque : la Canacadémie ou Académie canaque. En fait de discours de réception, c’est un concours de grimaces que la jeune demoiselle propose. Et l’on ne compte plus ses prétendants. Tous pâlissent devant ses beaux yeux noirs, son opulente chevelure, sa taille svelte, son insolence et son talent. Henri de Régnier et Pierre Louÿs se posent en rivaux. Si Marie a un faible pour le second, c’est le premier qu’elle épouse. Le jeune homme en effet sauve de la catastrophe financière les parents de Marie, dépossédés de leurs biens à Cuba et ruinés par les dettes de jeu de José-Maria de Heredia. Le mariage de Marie de Heredia et d’Henri de Régnier se déroule en l’église Saint-Philippe-du-Roule, le 17 octobre 1895. Mais la jeune épousée, ulcérée d’avoir été l’objet d’un marché aussi ignoble, prend la ferme décision de se refuser à son époux en contractant avec lui un mariage blanc, et de se donner à Pierre Louÿs dont elle se promet de devenir la maîtresse.

En attendant, il lui faut affronter le mariage et un bref voyage de noces (à Versailles) ; vient ensuite l’installation des Régnier dans le VIIIe arrondissement. Marie de Régnier se lie alors d’amitié avec Mme Bulteau qui tient salon avenue de Wagram. Pierre Louÿs publie Aphrodite, qui reçoit un accueil très élogieux sous la plume de François Coppée. Le succès du roman assure à son auteur des revenus confortables en même temps que la reconnaissance dont il avait besoin. Après l’épisode houleux et peu glorieux de Pierre Louÿs avec la jeune mauresque Zohra bent Brahim ― « ramenée » d’un voyage à Alger puis abandonnée ―, le jeune dandy cède aux avances de Marie de Régnier. Ensemble ils célèbrent des « noces mystérieuses » au cours desquelles l’amant découvre, non sans étonnement, la virginité de la belle ! Elle a donc secrètement accompli ses vœux. Les voilà tous deux pris dans les tourments d’une passion enflammée. Néanmoins interrompue par le voyage de Pierre Louÿs au Caire. Pendant l’absence de son amant, Marie de Régnier se donne à Jean de Tinan, jeune écrivain talentueux et ami de Pierre Louÿs. Tout en lui précisant qu’il ne peut en aucune manière s’agir d’une relation sérieuse et durable. Marie, découvrant alors qu’elle est enceinte de Pierre, congédie Jean qui sombre dans le chagrin. De retour d’Égypte, Pierre Louÿs apprend qu’il va être père alors même qu’il avait pris la décision de rompre sa relation avec Marie. Le petit Pierre de Régnier, surnommé Tigre, vient au monde le 8 septembre 1898. Les Régnier et Pierre Louÿs se rendent à Amsterdam pour y voir l’exposition Rembrandt. Marie et Pierre reprennent leur relation amoureuse, secouée par de nouvelles aventures. Les retrouvailles de Pierre Louÿs avec Zohra d’une part, ses fiançailles manquées avec Germaine Dethomas d’autre part. Dans le même temps, Louise de Heredia s’éprend de l’amant de sa sœur, cette dernière suggérant à Pierre de l’épouser. Le mariage, qui a lieu à Saint-Philippe-du-Roule, se révèle très vite être un échec. Marie et Pierre se retrouvent. Mais leur passion s’éteint progressivement et leur relation prend fin en 1903.

En 1902, Marie de Régnier se lie à Georgie Raoul-Duval dont on retrouve les traits, sous la plume de Colette et de Willy, dans le personnage de Rezi, dans Claudine en ménage. L’année suivante, en 1903, Marie de Régnier publie L’Inconstante, roman autobiographique qu’elle signe sous le pseudonyme masculin de Gérard d’Houville. En 1905, elle publie son second roman, L’Esclave, dédié à Georgie Raoul-Duval, avec qui elle vient de rompre. Marie de Régnier perd son père (José-Maria de Heredia meurt le 2 octobre 1905).

Au printemps 1906, Marie de Régnier se lie avec le romancier et poète Jean-Louis Vaudoyer, liaison chaotique qui durera jusqu’en 1910. En 1908, elle publie Le Temps d’aimer, qui retrace sa relation amoureuse avec Vaudoyer. L’année suivante, elle est nommée membre du jury du prix littéraire de « La Vie heureuse », ancêtre du prix « Femina ». La rupture avec Vaudoyer entraîne Marie de Régnier dans une nouvelle liaison amoureuse. Elle devient la maîtresse d’un homme de théâtre, Henry Bernstein. Henri de Régnier songe alors pour la première fois au suicide. En février 1911, Henri de Régnier est élu à l’Académie française. En juin 1914 paraît sous le nom de Gérard d’Houville Le Séducteur, inspiré à Marie de Régnier par les origines cubaines de sa famille. En juin 1918, Marie de Régnier est récompensée pour l’ensemble de son œuvre par le prix de littérature de l’Académie française. Elle est la première femme à être honorée de ce prix.

Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli

Au cours de l’année 1925, Marie de Régnier publie chez Champion Vingt poèmes. Ci-dessous, un de ces poèmes :


Lorsque vous m’étendrez au bûcher de santal,
Avant que je devienne une cendre légère
Éloignez de mes doigts l’obole de métal.


Je veux que ce qui fut ma grâce passagère
Charme encor d’un baiser le passeur infernal
Quand vous, de ces baisers, n’aurez que la poussière.


Puisque l’ennui de vivre et l’effroi, tour à tour,
De la mort, ont toujours tourmenté mes pensées
Et que triste et divin fut mon terrestre amour,


Que je rentre à jamais dans les choses passées
Et que de ma beauté l’on parle quelque jour
Quand je serai lointaine aux mémoires lassées.


Mon âme, fleur funèbre, ô nuit, t’embaumera ;
Papillon ténébreux que le sort fit diurne,
Son aile d’ombre errante en l’ombre se perdra.


Et moi qui fus si grande, une très petite urne
D’argile ou de cristal transparent contiendra
Ma chair voluptueuse et mon cœur taciturne.


Gérard d’Houville, Vingt poèmes, Champion, Paris, 1925, Fac-similé du manuscrit, BnF, Arsenal, bibliothèque Régnier, f. 23-24 in Marie de Régnier, Muse et poète de la Belle Époque, Bibliothèque nationale de France, 2004, page 132.



■ Voir aussi ▼

→ Quelle île nous conçut… (extrait de Pervigilium Mortis de Pierre Louÿs)
→ 11 mars 1888 | Pierre Louÿs, Mon Journal
→ 21 avril 1888 | Pierre Louÿs, Mon Journal
→ 8 septembre 1898 | Lettre de Pierre Louÿs à Georges Louis [Dossier secret Pierre Louÿs-Marie de Régnier]



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