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Nouvel An

Publié le 29 décembre 2012 par Voilacestdit


 

Ce billet à la veille du Nouvel-An risque de vous surprendre. Il faut que j'en explique la genèse. Une correspondance avec une amie qui étudie la philosophie et a préparé un mémoire pour l'Université sur une question très technique traitée par Thomas d'Aquin dans sa Somme Contre les Gentils : "Comment la substance intellectuelle peut être unie au corps" - m'a replongé dans l'univers de certains textes d'Aristote, de ses commentateurs arabes ou juifs, et de Thomas d'Aquin lui-même. La  technicité des questions examinées n'empêche pas de faire - ou refaire - de belles découvertes.
Disons déjà que l'histoire de la philosophie n'est jamais de l' "histoire" au sens pur. La philosophie se présente toujours et encore comme une interrogation : "Qu'est cet univers dans lequel nous vivons, notre raison d'être, notre véritable destinée, la véritable manière d'être un être humain digne de ce nom ?" Les tentatives de réponses apportées au cours de l'histoire à ces questions doivent être comprises comme une interrogation vivante "au sujet de l'aventure de l'univers, de son origine et de sa destination", "au sujet de l'existence de l'homme, de son origine et de sa destination".
Mais je reviens au texte de Thomas d'Aquin que commente ma correspondante : le chapitre 56 du Livre II de la Somme Contre les Gentils.
Un mot d'abord du contexte. Nous sommes dans le Paris de Louis IX [1214-1270], dit saint Louis, agité de controverses, dans l'effervescence de la création des Universités parisiennes. Les grands textes d'Aristote, récemment traduits à partir de leurs versions arabes, venaient d'arriver sur la place, ainsi que les traités de commentateurs arabes comme Avicenne [979-1037] ou Averroès [1126-1198], ou juif comme Maïmonide [1135-1204] médecin, philosophe et rabbin, qui n'avaient évidemment pas les mêmes préoccupations. Problème qui devient rapidement critique : comment concilier certaines positions d'Aristote ou des commentateurs, concernant par exemple la création du monde ou la nature de l'intelligence humaine, avec la foi chrétienne ?
Le danger est tel - l'Université est une corporation cléricale - que l'Église commence par interdire, dès 1210, qu'on enseigne les textes d'Aristote sur la philosophie naturelle, ainsi que leurs commentaires. Interdiction levée en 1255... Mais rien ne peut arrêter l'effervescence des idées.
Avant même la fin de l'interdiction, Albert Le Grand [vers 1206-1280], qui fut le Maître de Thomas, commente Aristote dans son enseignement qu'il donne à  Paris, au lieu-dit aujourd'hui Place Maubert [de son nom Magister Albertus].
Thomas d'Aquin [1225-1274] est tout jeune Maître, il a une trentaine d'années lorsqu'il commence sa Somme contre les Gentils, comprenez contre les tenants de la vision gréco-arabe du monde diffusée par les traductions, qui peut mettre sérieusement à mal la vision de la foi. Plutôt que d'interdire, discutons, séparons le vrai du faux, faisons oeuvre de raison.
Voilà le contexte. Parmi tous les débats, cruciaux, que posent parmi d'autres les textes d'Aristote ou des commentateurs, se trouve, comme je l'ai déjà indiqué, la question de la création du monde - ou celui-ci existe-t-il de toute éternité ? Je reviendrai peut-être dans un autre billet sur cette interrogation majeure qui continue de nous tarauder. Certes les scientifiques ont développé aujourd'hui la théorie du big-bang. Mais quid avant le big-bang ? Une réflexion de Thomas me donne à penser : il faudrait poser que le commencement a lieu aussi dans le temps, alors que le temps est créé avec le monde...
La discussion débattue au chapitre 56 du Livre II est, elle également, très technique et lourde d'enjeu. Je tente de résumer. Averroès défend l'idée d'un intellect unique et séparé. C'est-à-dire que si nous pensons, c'est qu'au contact de nos sens, une image sensible se forme au niveau sensoriel, porteuse d'un contenu intelligible en puissance que l'intellect [dit intellect agent] fera passer en acte. Pour Averroès cet intellect est commun à tous, à la façon des néoplatoniciens. Thomas entend démontrer, à travers une longue argumentation [que je ne reprends pas !], que chaque homme a le sien propre.
L'enjeu, c'est tout simplement que ce soit l'homme qui pense et non un intellect séparé auquel l'homme s'unit de quelque façon. L'enjeu, c'est l'autonomie de l'homme qui pense et veut, et donc également sa liberté.
Il me plaît, à la veille du Nouvel An, de saisir cette opportunité, je pourrais même dire cette "correspondance" au sens baudelairien, pour nous souhaiter un nouveau cycle de vie intense, généreuse, qui mette en oeuvre le meilleur de notre pensée et de notre volonté pour contribuer à l'avènement d'un monde que nous soyions fiers de transmettre aux générations à venir.


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