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Bonne année Gégé

Publié le 03 janvier 2013 par Mazet

Bonne année Gégé !!

   - Oh merde, trop tard !

Le flux de lumière bleue tournoyant commençait à l’éblouir. Quel couillon ! Il aurait bien dû se douter que, même par -12°C, les bourres allaient tester leur nouveau modèle d’alcootest pendant la nuit de la Saint-Sylvestre. Ce merveilleux appareil, récemment mis au point par un laboratoire américain et fabriqué dans une obscure usine de la banlieue de Canton, était capable de détecter dans l’haleine du conducteur toutes les substances dangereuses consommées dans les trois mois précédents. La science ne reculant devant aucun sacrifice, ce petit bijou était capable de détecter le shit, l’alcool, le LSD, mais également la consommation « excessive » de substances aussi déconseillées que le foie gras, le saucisson et le Nutella. Quand un membre de la BPCEM (Brigade de Protection des Citoyens contre Eux-mêmes) lui fit signe de se garer, il n’eut d’autre choix que d’obtempérer. Il fut invité à pénétrer dans le fourgon laboratoire. Rien à voir avec les fourgons qu’il avait fréquentés dans sa jeunesse et qui fleuraient bon la Gauloise, la Kronenbourg et la sueur du CRS harnaché. Là, il fut accueilli par deux hommes habillés comme des chirurgiens, portant masques et gants stériles. L’opération ne dura pas plus de trois minutes. Il souffla dans une sorte d’inhalateur connecté à deux mystérieuses machines. Sous bonne escorte, il fut conduit dans un deuxième fourgon plus conforme aux normes policières habituelles. Il y retrouva son interpellateur.

   - Ne vous inquiétiez pas, mon petit monsieur, les résultats ne vont pas tarder à tomber.

Effectivement, l’imprimante démarra dans la seconde qui suivit. Elle cracha quatre feuillets que le brigadier parcourut en fronçant les sourcils.

   - Vous comptez vivre longtemps, mon petit monsieur ?

   - Aussi longtemps que Dieu le voudra !

   - Si vous ne vous conduisez pas mieux, la volonté de Dieu risque de fléchir. Les niveaux de vos taux de cholestérol et de triglycérides me font obligation de demander des analyses complémentaires.

   - Je peux en parler à mon médecin.

   - Vous saisissez mal votre situation. Si les analyses complémentaires montrent des comportements déviants, vous serez présenté au procureur.

   - Qu’entendez-vous par-là ?

   - On ne va pas tarder à le savoir, notre laboratoire reconstitue maintenant vos repas pris depuis trois mois et nous analysons également, grâce à la boite noire, tous les trajets de votre voiture.

Effectivement, on ne tarda pas. L’imprimante cracha quatre nouveaux feuillets.

   - Votre situation n’est pas brillante. Il est scientifiquement établi que vous avez mangé, au cours des trois derniers mois, trois sandwichs « saucisson, beurre, cornichons », ingurgité à trois reprises deux tranches de foie gras et descendu trois demis au café des amis. Circonstance aggravante, vous avez, ce jour-là, parcouru les 575 mètres,  qui le séparent de votre domicile en voiture.

   - Mais, il était deux heures du matin et je n’ai croisé personne.

   - Vous auriez pu. Selon les termes du nouveau code pénal, vous êtes passible de poursuite.

Merde, voilà dix ans qu’il avait échappé aux flics et il allait se faire gauler pour une histoire de sandwichs au saucisson.

   - On va vous conduire au commissariat en attendant la décision du procureur.

Devant l’importance du dossier, celui-ci s’était déplacé en personne.

   - Je ne vous cacherai pas, monsieur Dugommier que votre cas est grave. Votre comportement met votre santé en péril, vous conduisez sous l’emprise de l’alcool et vous mettez en danger le budget de la Sécurité Sociale.

   - Je suis prêt à faire amende honorable, monsieur le procureur.

   - Je crains que cela ne soit pas suffisant, sauf si vous avez des circonstances très atténuantes.

   - La pauvreté, monsieur le procureur, la pauvreté. Vous n’avez idée de ce qu’il en coute pour respecter le code de l’alimentation.

   - Oh que si monsieur Dugommier ! D’autant que dans ma position, je ne peux me permettre aucun écart. Chaque fin de mois, je maudis l’État pour son avarice. Mais, vous, monsieur Dugommier de quoi vivez-vous ?

- De l’air du lieu, monsieur le procureur.

S’il n’avait eu le souci de sa dignité, le procureur se serait laissé aller à un grand éclat de rire.

   - Vous êtes sérieux, monsieur Dugommier ?

   - Si vous avez une heure à perdre, je peux vous montrer ma fabrique.

   - Pourquoi pas ! Maintenant que mon réveillon est gâché. Nous allons prendre ma voiture, c’est plus prudent.

Dugommier habitait à moins d’une demi-heure du commissariat. Il invita le procureur à le suivre dans sa cave. Malgré la lumière blafarde, il put découvrir plusieurs rayonnages de bocaux soigneusement fermés.  Chacun portait une étiquette avec un nom de lieu : Puy-de-Dôme, Marseille, Marrakech, Tahiti, Paris.

   - Voilà mon gagne-pain, monsieur le procureur. Je capte dans un bocal l’air d’un lieu et je le vends ensuite à un nostalgique qui n’a plus la possibilité de s’y rendre.

   - Mais, qui sont vos clients ? 

   - Il y en a dans toutes les classes sociales, enfin dans celles qui peuvent se le permettre. J’ai quelques PDG  qui n’ont pas le temps de retourner dans leur village natal. Il y a aussi, à ma grande honte, je dois dire, quelques interdits de séjour et des truands en cavale.

   - De noms ?

   - Ah non, monsieur le procureur, je suis tenu au secret professionnel. Mais, j’ai aussi une sainte personne. Comment le pape survivrait-il à Rome sans respirer l’air de la Bavière ?

   - Mais votre air est authentique ?

   - Bien sûr, je vais le prélever sur place. Vous n’imaginez pas combien je dépense en billets d’avion. Et, une fois que l’URSSAF s’est servie, je suis un travailleur pauvre.

Poursuivant son exploration, le procureur découvrit une nouvelle rangée de bocaux portant des noms de lieux aussi exotique que Saint-Emilion, Nuits-Saint-Georges, Beaune, Gevrey-Chambertin, Saint-Estèphe.

   - Ah, ça il s’agit d’une commande récente et sur mesure, monsieur le procureur. Elle émane d’un monsieur dont je tairais le nom et qui vient de s’exiler en Belgique.

   - Je vois monsieur Dugommier. Bon, je ne m’ennuie pas en votre compagnie, mais la nuit a été longue.

   - Et pour mon affaire, monsieur le procureur ?

   - Pour cette fois, je classe, mais n’y revenez pas.

Quand le procureur eut refermé la porte, il poussa un grand ouf de soulagement et regardant sa montre, il vit qu’il était l’heure d’aller arroser les 40 pieds de cannabis qui poussaient dans sa vieille serre à l’abri des regards.


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