Magazine Nouvelles

Bal tragique à la Bastoche : épisode 14

Publié le 05 janvier 2013 par Mazet

Bal tragique à la Bastoche

Episode 14

Laplume sur tous les fronts

Bien avant l’ouverture de la nouvelle session du procès d’Henriette, la foule tentait d’envahir le palais de justice. Le cordon de policiers en tenue avait du mal à la contenir. Les « accrédités » peinaient à atteindre la salle d’audience. Après les révélations fracassantes de Latzarus, tout le monde attendait de connaitre le contenu des fameux documents remis au Président de la République. S’ils mettaient en évidence une connivence, même minime de Joseph Caillaux avec l’Allemagne, l’issue du procès pourrait s’avérer douloureuse pour Henriette. Lorsque le procureur général prit la parole, au nom du gouvernement, le silence se fit dans la salle.

«  Les pièces transmises à monsieur le ministre des Affaires étrangères ne sont que de prétendues copies de documents qui n’existent pas ou n’ont jamais existé. On ne peut donc, en aucune façon, les invoquer en vue de porter atteinte à l’honneur et au patriotisme de monsieur Caillaux. »

Maitre Labori jubilait. Un des mobiles soulevés par l’accusation s’effondrait. L’avocat ne pouvait plus prétendre que c’était pour protéger son mari qu’Henriette avait prémédité son geste. Un murmure parcourut la salle. Quand le silence revint, le président appela les experts. Le colonel Aubry, ancien directeur des ateliers de Puteaux, confirma la thèse de la défense.

« Madame Caillaux a visé le sol. C’est prouvé, on a retrouvé des balles dans le bas de la bibliothèque, elle n’a tiré qu’une fois, les autres coups sont partis tout seuls, comme elle l’a dit car il s’agissait d’un browning. Elles ont d’ailleurs suivi la même direction. Le malheur a voulu que, pour se protéger, croyant qu’elle le visait à la poitrine, avec l’intention de le tuer, monsieur Calmette se jette à terre. Aussi énorme que cela puisse paraitre, son instinct de conservation l’a précipité à la rencontre des balles. »

Sans attendre que Maitre Labori ne rebondisse, Laplume s’éclipsa.  Il avait eu confirmation de sa profonde conviction. La politique n’avait rien à voir avec cette affaire. N’empêche, il restait cette histoire de documents, dont on ne savait s’ils étaient réels, envolés ou fictifs. La déclaration du procureur général était, pour le moins, alambiquée ! Laplume en était réduit aux suppositions. La plus probable, à ses yeux, étaie que des documents authentiques étaient dans la nature et qu’ils étaient gênants pour beaucoup de monde, y compris dans les plus hautes sphères de l’État. A peine avait-il regagné la cour du Palais que Joseph vint à sa rencontre.

- Monsieur Laplume, vous pensez qu’Henriette est tirée d’affaire, cette fois ?

- On verra Joseph. Alors, tu as arpenté les rues de la Bastoche ?

- Oh que oui, j’ai l’estomac ballonné à cause des limonades, mais je n’ai pas perdu mon temps.

Le gamin rapporta, en peu de mots, la scène observée à la « Pomme au lard » ainsi que la filature qui avait suivi.

- Tu sauras retrouver l’adresse de la fameuse Fernande ?

- Bien sûr, monsieur Laplume, je l’ai notée dans mon calepin.

- Tu as bien travaillé, Joseph. Cependant tu es un peu imprudent, tu n’aurais pas dû noter l’adresse de Fernande, car si tu perds ton carnet n’importe qui sera capable de la repérer.

- Qu’allons-nous faire monsieur Laplume ?

- On va aller, de nouveau, rendre visite au commissaire Boissard. Cette fille est, sans doute, en danger.

En entrant au commissariat, ils croisèrent un homme élégamment vêtu. Ils ne pouvaient savoir qu’il s’agissait de Maxime de la Musardière. Boissard les accueillit sans entrain.

- Monsieur Laplume, je pensais vous revoir seulement demain.

- C’était bien mon intention, commissaire. Mais je pense que nous avons un élément nouveau. Explique ta découverte, Joseph.

Un peu intimidé, l’apprenti journaliste parvint, néanmoins, à articuler un récit cohérent. Après quelques secondes de silence, Boissard ajouta.

- Voilà qui ne clarifie pas la situation. C’est vous qui aviez raison, monsieur Laplume. Cette histoire est bien plus compliquée qu’un meurtre banal commis par des voyous dans les rues de Paris. Nous sommes obligés de suivre de multiples pistes et, pour l’instant, nous n’avons rien de probant.

C’est à ce moment que Marin fit son entrée. Les présentations furent brèves, Laplume était connu dans tous les commissariats de Paris.

- Excusez le dérangement, Patron. Mais j’ai une sacrée nouvelle. On vient de retrouver le cadavre d’Alfred.

- J’imagine qu’il ne s’agit pas d’une mort naturelle !

- Non, patron, le cadavre n’est pas beau à voir. Ce pauvre Alfred a été torturé. L’autopsie nous dira exactement comment il est mort.

- Et où l’a-t-on retrouvé la dépouille de votre cousin[1] ?

-Au bord du canal Saint-Martin.

- Sa boutique est toujours sous surveillance ?

- Toujours, patron, des clients ont tenté de pousser la porte, mais ils ont rebroussé chemin. Personne n’a essayé de s’introduire.

- Bien, on ira ensemble faire une petite visite.

Laplume se glissa dans la conversation.

- Voilà qui complique un peu plus votre affaire.

- N’allez pas trop vite, monsieur Laplume. Vu les activités d’Alfred, les meurtriers potentiels sont légion.

- Il s’est enfui après ma visite, objecta Marin.

- Simple supputation, rien ne dit que les deux faits sont liés et nous ne pourrons plus, hélas, l’interroger. Le plus urgent est maintenant de retrouver Justin et la fille, et de préférence Fernande en premier si on ne veut pas qu’elle subisse le sort d’Alfred.

- Je serais étonné si Justin se privait de son gagne-pain. Pour lui donner une leçon, il est capable de l’envoyer quelques temps dans un bordel infâme.

- Sauf si elle représentait un réel danger pour lui, qu’en pensez-vous monsieur Laplume ?

- Votre vrai problème est de savoir si la fuite de Fernande est consécutive à la mort de Baptiste.

- Bien vu, monsieur Laplume. Marin, il nous faut en savoir plus. Fernande a peut-être bavardé avec ses consœurs, cela pourrait nous donner un début de piste pour la retrouver.

- D’accord, patron, mais les journées n’ont que vingt-quatre heures.

- Commissaire, vous chargez votre inspecteur d’une mission impossible. Il est connu dans le quartier. Les filles ne se confient pas facilement à un flic, par peur de leur Julot. Je doute qu’il arrive à recueillir autre chose que des banalités à propos de Fernande.

- Pas faux, monsieur Laplume. Que proposez-vous ?

- On peut utiliser un ingénu, ça passe bien auprès des filles. Joseph pourrait se faire passer pour le frère de Fernande. Le frérot de province, qui vient voir sa sœur.

- Votre idée est séduisante. Cependant, j’hésite à vous donner mon accord, ce gamin pourrait être en danger.

Joseph mit son grain de sel.

- C’est dangereux si je reste trop longtemps.

- Pas faux, mais tu dois en apprendre un peu sur sa vie, si tu veux passer pour son frère. Je vais envoyer chercher sa fiche à la brigade du spéculum[2]. Nous, on va s’occuper de Justin. Savez-vous où il crèche ?

- On n’a jamais réussi à le loger précisément. Il est comme le coucou, il préfère dormir dans le nid des autres.

- Prenez les hommes dont vous avez besoin, lancer un avis de recherche, mais retrouvez-le ! Voilà monsieur Laplume, vous en savez autant que nous. Comptez-vous évoquer le meurtre d’Alfred dans votre journal ?

- Vu l’actualité brulante, je ne pense pas que mon rédacteur en chef voudra d’un article sur le sujet. Votre enquête est toujours sous surveillance ?

- Vous avez croisé l’envoyé du ministère de l’intérieur en entrant dans mon bureau.

- J’imagine que vous devez avoir des pressions

- Pas vraiment, on me demande d’en finir au plus vite et dans la discrétion. Nous restons en relation, monsieur Laplume.

Une fois dans la rue, Laplume se tourna vers Joseph.

- Commence tes investigations demain, mais surtout prudence !

- Promis, monsieur Laplume. Cette affaire commence à sérieusement s’embrouiller.



[1] En argot policier, un cousin est un indicateur.

[2] Brigade chargée de vérifier la santé des prostituées.


Retour à La Une de Logo Paperblog

Magazines