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Scène 2- La dame (Nelly) et deux pions (Balthazar et Suzie)

Publié le 07 janvier 2013 par Ctrltab

Scène 2- La dame (Nelly) et deux pions (Balthazar et Suzie)

Sur un grand écran, une vidéo est projetée. Une femme y apparaît.

NELLY

Je suis la servante, celle qui torche vos gosses et les amuse lorsque vous bataillez ferme à votre présentation client. Parfois, vous arrivez à l’avance, un peu paranoïaque, pour savoir comment je m’en occupe. Vous imaginez déjà, tremblant, les scènes d’horreur qui se trament derrière vos dos. Je les sors du bain par les pieds. Je les trimballe, oublieuse sur mon dos, les cognant aux moignons de vos portes. Je les oublie en plein cagnard dans la voiture non ventilée. C’est l’inconvénient avec les « Africaines », elles sont maternelles mais négligentes. Les enfants là-bas sont élevés à la dure. Histoire de peau peut-être. Au moins, je ne me drogue pas, ce qui vous rassure. J’ai bien vu la webcam que vous avez installée dans le salon pour m’espionner. Je n’en ai cure. Big Brother, oui, j’en ai eu ouï dire ; ça vous étonne ?

Après tout, c’est votre éducation ; vous habituez seulement votre engeance, votre dégénérescence, au contrôle permanent. Au contrôle visuel. Au mauvais œil. Vous ne m’avez placé qu’un interdit : celui de vous taire les progrès des petits. Vous voulez garder la primeur des premières fois. Premier balbutiement, premier mot, premier pas. Vous préférez être dupe plutôt d’avouer que je vous vole le plus précieux : le temps. Celui que vous n’avez pas, que vous perdez. Jour après jour.

Moi, j’en ai assez de ce jeu-là. Je transgresse les règles. C’est idiot, je sais bien que je vais perdre. Qu’importe. Regardez bien Balthazar et Suzie, c’est la dernière fois que vous les voyez. Ils partent avec moi. Ne vous inquiétez pas, je vous promets de leur offrir une meilleure éducation que la vôtre. La mienne est simple, c’est la chaleur de mes bras et de mon giron. Point. Ce n’est pas la projection d’une vie que vos enfants devraient accomplir et que vous, vous ne manquerez pas de louper.

La vidéo s’interrompt brusquement, l’écran disparaît. Nelly entre dans la pièce. Elle porte Suzie dans le dos et Balthazar endormi, blotti contre sa peluche, sous le bras. Elle se parle à elle-même comme pour se persuader d’avoir raison. Elle tourne en rond comme pour monter les marches en colimaçon d’un escalier interminable.

J’ai coupé la webcam et je suis partie. Suzie dans le dos, Balthazar à bout de bras. Les gosses n’ont pas moufté. Ils me font confiance, ils ont raison.

Quand j’ai commencé à être nounou, je sortais d’une rupture. Je voulais des enfants, pas lui. Je me suis dit, ce n’est pas grave, tu pourras en adopter. Mais il y avait plus simple encore : garder ceux des autres. En plus, cela rapporte de l’argent. Et l’argent, on en a toujours besoin. Besoin presque autant que d’amour. J’ai bien dit presque. Les gens aujourd’hui continuent à s’accoupler par instinct. Tout à coup, l’animal en eux se réveille. Ils procréent. Et puis, plouf, ils ne savent plus quoi en faire de ce gamin surgi d’entre leurs pattes. Ils veulent leur vie d’avant, celle où ils couraient pour secourir un patron pressé. C’est à ce moment-là que j’apparais. Moi, l’étrangère, la vache laitière, la nounou. Celle qui apporte la consolation, la stabilité, les premiers soins. Je suis la maîtresse honnie qui complète le gentil duo que forment papa et maman.

J’en ai ma claque. Suzie, je lui donne mon sein et Balthazar, c’est moi qui lui montre comment on forme les o le plus joliment possible pour que les mots s’échappent de nos bouches tels des bulles de savon prêtes à éclater. Alors, je les kidnappe. Ce sont mes gosses et je retourne avec eux vivre dans les tours jumelles.


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