« À l'époque des Dieux de la mythologie, des Seigneurs de la guerre et des Rois de légende, un pays en plein désordre demandait un héros. Alors survint Xena, une prestigieuse princesse issue du cœur des batailles. Combat. Passion. Danger. Par son courage, Xena changera la face du monde. »
Non non… Ne riez pas d’avance, cet article se veut sérieux et argumenté. Je vous vois bien lever les yeux au ciel en expirant un « Roooh non pitié… ». Et pourtant, cette série culte demeure encore aujourd’hui une source de références et d’influences.
Pour ceux qui veulent la version courte : Xena : Warrior Princess est une série qui ne se prend pas au sérieux mais se révèle ambitieuse. Les héroïnes, deux femmes différentes et indépendantes sont les premières protagonistes féminines à avoir implicitement ouvert l’homosexualité à la télévision. C’est moins kitsch qu’il n’y paraît – même si ca l’est quand même je vous l’accorde –, c’est plus dramatique et profond qu’il n’y paraît mais pour contrebalancer, c’est aussi très délirant. La qualité de certains épisodes est inégale mais, une fois embarqué, même les erreurs et les défauts deviennent délectables. Il est indéniable que, depuis quelques années, nous vivons l’âge d’or des séries tv tant elles atteignent une qualité scénaristique et esthétique. Mais, autrefois, la télévision était dépréciée et stigmatisée par le Cinéma qui, lui seul, avait droit à l’ « excellence ». Dans ce contexte moins privilégié, la censure était plus présente, le budget plus serré, la technologie moins avancée et le résultat parfois moins abouti mais, parfois aussi, beaucoup plus sincère.
La naissance de la série
Série d’action fantastique et d’aventure des années 90, Xena : Warrior Princess a reçu une piètre réputation dans les pays francophones et en particulier en France. Jugée kitsch, mal fichue et axée sur la baston, la plupart des personnes ne connaissant pas la série prennent l’héroïne avec une chevalière trucidant du dragon en plein Moyen-Age. Pourtant, rien n’est plus éloigné de la vérité lorsqu’on s’y intéresse de plus près. Xena possède (encore plus aujourd’hui) une dimension kitsch parfaitement assumée dès le départ. Malgré des restrictions de budget et des effets spéciaux rudimentaires , la série fait le pari audacieux de voyager dans la Grèce antique en revisitant la mythologie et l’Histoire et en instaurant un « girl power » comme on en avait rarement vu.
Revenons donc quelques années auparavant… Nous sommes en 1994 et Sam Raimi (Spiderman, Drag me to hell) lance la production d’une série de téléfilms suivi d’une première saison télévisuelle : Hercules : The Legendary Journeys. Lors d’une de ses aventures, Hercule fait la rencontre de Xena, une puissante chef de guerre qui sème la terreur à travers le pays et porte le charmant surnom de « destructrice des nations ». Le personnage au bord du repenti et son interprète Lucy Lawless interpellent les sepctateurs. Les producteurs, en accord avec les studios Universal, décident donc de créer un spin-off centré sur la princesse guerrière.
Axes et thématiques de Xena
Une fois l’héroïne définie, il leur faut donc décider de la trame et de la direction de la série. Une femme sexy et forte qui fout la pâtée à tous les mecs, c’est une révolution en soi à l’époque mais ce n’est pas assez pour intéresser le téléspectateur dans la durée . Petit à petit, Xena se forge donc une imagerie propre et développe naturellement trois grands axes scénaristiques auxquels viennent se jouxter bon nombre de thématiques mythiques et bibliques : la destinée/prophétie, l’infanticide, la réincarnation, la notion du messie, le choc des religions, la perte de l’innocence, le danger des apparences, la nécessité du mal et son équilibre avec le bien, le viol divin etc.
La quête de rédemption : Le prix de la justice
Le spin-off débute donc lorsque Xena, chevalière errante antique, entame sa quête de « rédemption » pour toutes ses fautes passées. Contrairement à son grand-frère télévisuel Hercule, Xena est un personnage tout en complexité. D’apparence hystéro-impénétrable, fière et froide, elle n’en est pas moins émotionnelle, loyale et ultra-protectrice. Torturée par sa culpabilité et habitée par un désir de mort, elle n’aura de cesse de lutter contre la noirceur et la violence qui l’habitent et la définissent et ce, en dépit de ses actes héroïques. En cela, elle rejoint sur beaucoup de points les principes philosophiques de Nietzsche : la valeur du héros, la définition de l’éthique et la volonté de puissance. Xena sait ne jamais pouvoir s’accorder le pardon mais, poursuit sa quête de justice pour le bien de tous « the greater good ». Pendant longtemps, la conscience de Xena réside en sa compagne Gabrielle (Reneé O’Connor), garante éthique, alors qu’Arès use de tous les stratagèmes pour récupérer celle qui fut sa meilleure disciple.
Régulièrement, la série revient dans le passé pour nous faire découvrir la véritable histoire de la destructrice des nations et les conséquences de ses actes dans le présent. L’éternel retour et le cycle sont deux concepts forts que la série met en avant. Par exemple, Xena devient mauvaise suite à l’attaque de son village et au gout du pouvoir qui s’en suit, détruit à son tour des villages dont celui d’une petite fille, Callisto, qui voit toute sa famille périr dans les flammes. En grandissant, cette dernière devient une psychopathe hystérique qui reproduit le schéma de son modèle.
La relation de Xena et Gabrielle : amies, amantes, âmes soeurs
Dès le premier épisode, en s’opposant à un trafic de femmes, Xena fait la rencontre de Gabrielle, une jeune paysanne gauche et idéaliste qui n’aspire qu’à voyager. Alors que le reste du monde semble craindre la guerrière, Gabrielle semble voir le bien qui l’habite. Inversement, alors que le monde considère la paysanne comme une petite fille chétive et inutile, Xena y voit ce qu’elle n’a jamais été, un être pur et sage.
Au fur et à mesure des trois premières saisons, une amitié amoureuse et un grand respect naissent entre les deux protagonistes. Néanmoins pendant longtemps, elles ne mettent pas les choses au clair et un déséquilibre s’installe. Gabrielle reste dans l’ombre de Xena et de son passé. Entre tensions, non-dits, trahisons et jalousie, les deux protagonistes voient leur relation se briser. De par leur nature respective et opposée, elles ne peuvent éviter la confrontation qui éclate en pleine troisième saison. Et en cela, les scénaristes font un excellent travail : ils comprennent que ce pivot est essentiel pour enrichir et amener l’histoire au stade suivant : à la notion des âmes soeurs. Destinées à être ensemble, elles acquièrent un statut égalitaire et prennent conscience de leur connexion. Ensemble, les personnages incarnent le symbole du yin et du yang : très différentes mais très complémentaires. En somme, les deux faces d’une même pièce. La série a acquis sa célébrité notamment grâce à cette relation particulière qui a fait couler beaucoup d’encre.
Au tout début de sa création, les producteurs ont l’interdiction de la part d’Universal de parler de deux protagonistes qui seraient lesbiennes ; série familiale oblige, elles doivent s’apparenter à des sœurs. Mais sans le chercher explicitement, Robert Tapert et les scénaristes instaurent une complicité entre les deux héroïnes qui bascule dans l’ambiguïté de l’amitié amoureuse (cela étant aussi du à l’alchimie entre Lucy Lawless et Reneé O’Connor). Lors de la deuxième saison, les créateurs se rendent compte que la série est très supportée par la communauté lesbienne qui s’identifie aux personnages et à leur relation. Ils décident donc d’adopter une attitude qui leur permet de contenter Universal (de brèves rencontres amoureuses avec des mâles, utilisation du terme ‘amie’ ou ‘meilleure amie’) et la communauté gay, en contournant la censure via des clins d’œil sur la nature de leurs rapports. Nait le subtext ou sous-texte en français qui va être présent tout au long de la série pour montrer que Xena et Gabrielle sont amoureuses et peut-être amantes (regards, gestes, baisers, répliques etc). Une dimension saphique se développe : au cours de leurs voyages, elles restent l’équilibre de l’autre, se protègent et traversent les frontières de l’au-delà pur se retrouver .
Après trois saisons de doute et jeux du chat et de la souris, leur relation est mise en avant pour ensuite être tout à fait assumée : Xena et Gabrielle sont des amies, amantes et âmes sœurs qui s’avèrent être deux femmes. Car la série parle bien d’amour ultime et non de définition d’une sexualité. Elle ne tombe jamais dans la démonstration physique, ce n’est pas son but (puis, dans les années 90 fallait pas choquer la petite famille le samedi après-midi devant son poste de télé) mais, elle a sans aucun doute créer une visibilité lesbienne en faisant de ses deux héroïnes deux femmes qui s’aiment envers et contre tout. Et ça, ça reste la plus belle histoire d’amour qu’il y ait.
L’émancipation de Gabrielle : d’une jeune barde à une puissante guerrière
De tous les personnages de la série, Gabrielle est celui qui évolue le plus, émotionnellement et physiquement. Dans la première saison, nous découvrons une jeune barde inoffensive, bornée et ressort comique du show. Mais son interprète lui apporte rapidement plus de substance et les scénaristes comprennent l’importance potentielle du personnage. Au fur et à mesure de son voyage, Gabrielle grandit donc, murit et traverse des épreuves qui l’emmènent loin de ses idéaux de jeune fille. Contrairement à Xena, c’est un personnage lumineux. Fidèle, désintéressée et courageuse, elle fait les frais de son innocence et de sa foi en l’humanité. Sa relation avec Xena l’entraine dans la dure réalité du monde et de sa propre personne. Les choix à faire sont durs et les sacrifices nombreux lorsque l’on veut rester coute que coute auprès de la princesse guerrière.
Si l’une est torturé par sa culpabilité, l’autre est tiraillée entre sa nécessité d’être avec Xena (et donc assumer la mort et la destruction qui l’accompagne) et son grand respect de la vie et de la paix. Entre la pacifiste et la guerrière qu’elle devient inexorablement, Gabrielle apprend, elle aussi, à vivre en accord avec ses erreurs et ses hantises au travers de différentes étapes dans la recherche de son moi profond. La série retrace avec justesse et profondeur l’émancipation d’une femme essentielle à l’histoire et à l’équilibre des forces . Si d’habitude, ce genre de série délimite clairement l’importance du héro par rapport au sidekick, Xena met souvent la barde en avant pour se centrer sur son évolution. Pour ma part, je considère toujours Gabrielle comme l’un des plus beaux personnages développés sur le petit écran.
Le style de la série
Après une première saison où elle se cherche et ne sait pas si elle survivra, Xena trouve ses marques visuelles et scénaristiques : Action, drame, humour et fantasy.
La série se veut fun, sexy, musclée et inventive mais, dû à la nature de son héroïne et l’évolution de sa compagne, la série commence à emprunter un chemin plus dramatique. Les thématiques posent des questions qui ne relèvent plus du fantastique mais bien de l’humain. Le visuel, le jeu des acteurs ou le discours deviennent alors plus sérieux. Pour autant, Xena n’en délaisse pas l’humour omniprésent, en passant d’une minute à l’autre - ou d’un épisode à l’autre - du tragique au comique. Les dialogues, la mise en scène et les nombreuses références cinématographiques enrichissent la dimension de la série de façon délirante et décomplexée. Ainsi, nous retrouvons par exemple un épisode à la Indiana Jones ou à la Evil Dead. Et, une foule d’anachronismes assumés : Xena invente le cerf-volant, la rencontre d’Homère, César et Caligula (rappelons-le séparés dans l’Histoire par plus de 600 ans), l’irruption d’un journaliste contemporain, un Las Vegas antique etc.
De même que l’humour, les combats différencient la série des autres. Le show est clairement influencé par les séries z d’Hong Kong et les films de kung-fu. Avec une habilité quasi surnaturelle, Xena exécute des sauts exagérés de plusieurs mètres, rattrape des flèches en plein vol et nous la joue Tigre et dragon avant l’heure en mode wu xia pian . Avec sa mise en scène dynamique, l’utilisation intelligente de l’espace et ses chorégraphies étudiées, Xena dépose sa marque avec un large panel de modes de combats.
La série ose aussi explorer des terrains jusque là inconnus en réalisant un excellent épisode ‘comédie musicale’ intitulé Bitter Suite. Tant au point de vue de la construction lyrique et musicale que des trouvailles visuelles inspirées du tarot, l’épisode bluffent le panel télévisuel de l’époque . A coté d’épisodes plus classiques, d’autres arborent clairement une esthétique et un genre différent : expérimental, huit-clos, western, naturaliste, horrifique, burlesque etc.
Le style de la série passe aussi bien sur par le choix délibéré de jouer avec la mythologie et l’Histoire (parfois de façon réussie, parfois pas tellement) pour en retirer des éléments intéressants au niveau visuel ou scénaristique. Ainsi, les Amazones se voient offrir une place d’honneur puisque la série dépeint régulièrement leurs traditions, leur mode de vie et les rites inhérents à leur propre tribu (chamanisme, rite funéraire, passation du pouvoir).
Sans se contenter des mythes gréco-romains, nos personnages parcourent l’Inde, le Japon, la Chine, la Scandinavie, l’Egypte ou encore la Bretagne et revisitent allègrement mais non sans originalité les cultures et légendes. Malgré quelques plateaux magnifiques et travaillés, il y a des décors réutilisés pas toujours convaincants et historiquement loin de la vérité. Cela peut aussi s’expliquer par le manque de moyen et de temps. Mais là où le cadre pêche parfois au début, la lumière, les costumes et le maquillage de plus en plus élaborés et variés relèvent la note.
Enfin, nous retiendrons aussi le bruitage qui est devenu une source de ‘gros délire’ pour les concepteurs. Tout est parti de l’idée de donner au chackram (l’arme de prédilection de la guerrière) un son particulier. Conscient de l’impact du son sur la réception spectatorielle, ils se sont ensuite éclaté à insérer toutes sortes de bruitages de situation.
Aussi, la bande sonore de Joseph LoDuca (Evil Dead, Spartacus Blood and Sand et Gods of the Arena), reconnaissable entre toutes avec ses voix, ponctue la série d’une variété de thèmes et d’ambiances excellentes : passant de l’ethnique à l’orchestral, du rock au soft, du frénétique à l’angélique, du celtique au bulgare en n’omettant pas d’ajouter des sonorités propres aux pays visités. Par contre, il s’agit d’une musique particulière qui ne plaira pas à tout le monde. A ce jour, il existe 7 albums musicaux couvrant les 6 saisons.
Phénomène populaire et culturel
Xena : Warrior Princess a crée une nouvelle génération d’héroïnes d’action et a en partie inspiré le personnage de Buffy, Max de Dark Angel, Sydney Bristow d’Alias et Quentin Tarantino dans la création de la mariée de Kill Bill. C’est la seule série télévisée à avoir crée un si grand nombre de personnages féminins puissants et confiants : que ce soit au travers des différentes amazones, des villageoises, reines, déesses et autres. Des séries et films continuent encore aujourd’hui à faire des clins d’œil à la princesse guerrière : Seinfeld, Desperate Housewives, Les Simpson, X-Files, Nip/Tuck, Dexter ou encore Six feet under.
Xena a été diffusée et traduite dans plus de 86 pays des cinq continents, devenant la série la plus réussie en syndication du moment. Elle a reçu plusieurs prix, dont un Emmy Award.
En 2003, une planète naine et son satellite sont découverts par les astronomes Mike Brown, Chad Trujillo et David Rabinowitz qui les baptisent en 2005, Xena et Gabrielle. En 2006, l’Union Internationale Astronomique les renomme officiellement Eris et Dysnomia. L’hommage à Lucy Lawless ne disparaît pas pour autant car en Grec, dysnomia signifie ‘anarchie’ (en anglais Lawlessness). Par ailleurs, Mike Brown continue d’utiliser les premiers surnoms.
Aujourd’hui encore, la série continue son influence notamment dans l’armée américaine où les designers planchent sur la conception d’une nouvelle tenue plus adaptée aux femmes soldats, inspirée par la princesse guerrière.
Crée par Robert Tapert et John Schulian, produite par Robert Tapert et Sam Raimi.
Avec Lucy Lawless et Reneé O’Connor. De 1995 à 2001, 134 épisodes en 6 saisons.
Diana
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