La scène est vide. Willy entre et reprend sa danse frénétique du début. Balthazar, avec son doudou au bout du bras, entre dans la pièce. Il est perdu et pleurniche. Absorbé dans sa propre transe, Willy ne le voit pas. Balthazar contemple, médusé, cet étrange spectacle. Il se calme, s’assied et contemple cet homme qui s’agite jusqu’à l’épuisement. Nelly, visiblement affolée, entre dans la pièce. Soulagée d’avoir retrouvé Balthazar, elle regarde à son tour cette étrange danse. Soudain Willy ouvre les yeux et aperçoit l’enfant à ses pieds. Instinctivement, Nelly a un mouvement de recul et part se cacher dans le couloir.
WILLY
Putain, c’est toi qui pues comme ça ? T’as pas encore appris à aller au pot à ton âge ?
BALTHAZAR
Nen.
WILLY
Qu’est-ce que tu fous là ? Ils sont où, tes parents ?
BALTHAZAR (le désignant)
Beau ! Tu danses beau !
WILLY
Putain, il faut aussi que tu apprennes à parler ! C’est quoi, cette calamité tombée du ciel ? On dit : « Tu danses bien », ok ? Enregistre ça dans ta petite tête de moineau.
BALTHAZAR
Vi !
WILLY
Oh putain, je suis dans la merde…je suis dans la merde….
VOIX DE NELLY
Balthazar ! Balthazar ?
La voix de Nelly se rapproche de plus en plus jusqu’à ce que Nelly entre de nouveau dans la pièce. Elle porte Suzie endormie dans son dos. Elle se précipite vers Balthazar et le prend dans ses bras, comme pour le protéger.
NELLY
Balti, j’ai eu si peur ! J’ai cru t’avoir perdu. Oh mon chéri ! Ne refais plus jamais ça ! Il faut qu’on reste toujours soudés à partir de maintenant. Ensemble. Tu comprends ?
WILLY
J’hallucine. C’est l’arche de Noé ? Hé vous, oui, vous là-bas ! Vous vous ne vous êtes pas trompé d’adresse ? Ce n’est pas la nursery ici. Ni la crèche. C’est un chantier. Et un chantier interdit au public, dois-je vous le rappeler ?
NELLY
Oh, pardon, monsieur ! Excusez-moi, c’est le petit qui s’est enfui.
WILLY
Ouaih, ouaih, c’est ça, vous faisiez une balade au parc, le chiot jouait au bac à sable. Et pff, vous voilà catapultés tous les deux au 37ème étage de la Tour aux millions ?! Non mais je rêve !
NELLY
On n’est pas deux, on est trois. Il y a Suzie aussi.
WILLY
Pardon ?
NELLY
Suzie, le bébé dans mon dos. Elle a onze mois. Elle va bientôt avoir faim.
WILLY
Très bien. Vous allez être gentille. Vous tenez à vos enfants ? Alors déguerpissez immédiatement. Vous êtes en zone de danger ici. C’est un chantier, je vous le répète.
Balthazar se met à pleurer. Nelly le prend dans ses bras.
NELLY
Je crois que vous l’effrayez. Vous savez où je pourrais le changer. (Willy hausse les épaules, lui montre le sol.) C’est sa couche. Il ne doit pas être bien. (A Balthazar) Oui, mon amour, le monsieur est gentil. Il va nous aider. Regarde. Il va gentiment chercher le sac que j’ai laissé dans le couloir pour que je te puisse te changer. (Elle fait un signe de la tête à Willy, autoritaire. Il maugrée mais s’exécute et revient avec le sac. Nelly s’installe par terre, en sort une serviette immense. Elle pose Balthazar et commence à le changer. Elle prend un hochet du sac et lui donne. L’enfant cesse de pleurer et se calme).
WILLY
Il n’est pas un peu vieux pour porter des couches ?
NELLY
Et toi, t’es pas un peu jeune pour te la jouer chef de chantier et te faire appeler monsieur ?
WILLY
Et toi, t’es pas un peu trop noire pour avoir des enfants si blancs ?
NELLY
Et toi, t’es pas un peu bouffon à danser seul comme un con ?
WILLY
Et toi, t’es qui, toi ?
NELLY
Nelly. Et toi ?
Balthazar est changé, il joue sur le tapis. Nelly se lève. Elle est debout face à Willy. Le ton monte.
WILLY
Ok, les tours vont sauter à 16h. Je ne sais pas ce que tu fous là avec tes deux chiards mais si j’étais toi, je ne traînerais pas. Tu veux un conseil d’ami ? Dégage.
NELLY
C’est bon, j’ai compris. Arrête de me travailler. Tu es bien plus classe quand tu danses. Quelle heure est-il ?
WILLY
14 heures, t’es sourde ? Les tours tombent dans deux heures.
(Il rassemble les affaires éparpillées et agrippe violemment Nelly pour l’expulser. Le bébé dans son dos gémit. Balthazar continue à jouer dans son coin comme si de rien n’était.)
Dehors !
NELLY
Attends. Il faut que je donne à manger à Suzie. Je t’avais prévenu, c’est son heure.
(Elle prend l’enfant dans son dos, la réveille doucement puis part s’adosser au mur le plus proche. Le bébé grogne. Nelly sort un sein, un très beau sein et y branche le bébé. Willy est scotché. Arrêt. Il part s’asseoir contre le mur d’en face. Comme s’il baissait les armes. Silence. Quand le dialogue reprend, le ton est adouci de part et d’autre, l’agressivité a disparu).
WILLY
Pardon, je m’excuse. (Silence) Je m’appelle Willy.
NELLY
Désolée. (Silence) Je ne voulais pas venir perturber tes plans mais moi aussi, je suis dans la merde. Et je ne sais plus comment m’en sortir.
WILLY
Ce sont vraiment tes enfants ?
NELLY
Oui. Enfin, non. (Silence) Ce sont les enfants que je garde… Avec moi, désormais.
WILLY
Ah, je vois.
NELLY
Il faut que je parte d’ici. Mais je ne sais pas encore où aller. A l’étranger, j’imagine. J’ai peur tout à coup. Peur de tout abandonner. Les miens. Ma mère, mon père, mes frères et sœurs. Je ne pourrais plus revenir, tu comprends. Je suis allée trop loin.
WILLY
Tu peux toujours rendre les gamins à leurs propriétaires et prétexter une folie passagère. On ne t’enverra pas à la prison, t’inquiète. Tout ce que tu récolteras, au pire, ce sont des séances de psy pendant dix ans. Plutôt sympa, non ?
NELLY
C’est plutôt toi qui aurais besoin d’un psy. Merci.
WILLY
Pourquoi t’es venue te planquer ici ?
NELLY
Je savais qu’ici je serais tranquille. C’est une bonne planque, non ? Et puis, c’est à côté de chez moi.
WILLY
Bizarre, je ne t’ai jamais vue dans le quartier.
NELLY
Personne n’aura l’idée de venir me chercher dans ce trou à rat. Cela me donne le temps de me ressaisir. (Silence, Nelly cherche ses mots…)
Et toi, ils sont où tes gosses ?
(Pendant tout cet échange, Willy ne cesse de mater hypnotisé les seins de Nelly).
WILLY (surpris)
Ils sont… moi. Je suis mon gosse. Voilà, c’est tout.
NELLY
Tu veux téter aussi ?
WILLY (choqué)
Pardon ?
NELLY
Tu veux téter mon autre sein ?
WILLY
T’es folle !
NELLY
Tu l’as déjà dit. Comme tu veux. (Elle dégage son autre sein). Tu es sûr ? Ca ne te dit pas ?
(Willy se lève, s’avance vers elle. La lumière s’estompe. Noir)