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À bas les jeunes ! Mort aux vieux !

Publié le 01 février 2013 par Jlk
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Sur les notions de gâtisme et de jeunisme. Du provincialisme dans le temps. De l'âge des écrivains. De la relève littéraire en Suisse romande. À propos de l'AJAR (Association des jeunes Auteurs Romands). En attendant la première réunion des Parrains et des Poulains réunis par Isabelle Falconnier.

Le gâtisme est une manifestation de l'imbécillité humaine qui remonte à la plus haute Antiquité, souvent liée à l'altération des facultés de l'individu Madame ou Monsieur, donc souvent admis avec un certain sourire, même si taxer quelqu'un de gâteuse ou de gâteux ne relève pas vraiment du compliment.
Il en va tout autrement du jeunisme (ou djeunisme) qu'on ne saurait attaquer de front sans passer pour chagrin voire sénile. Le jeunisme pourrait être dit l'affirmation gâteuse de la supériorité de la jeunesse, mais il ne faut pas trop le claironner. Il faut dire que le djeunisme (ou jeunisme) découle de la source même du Progrès. Beaucoup plus récent mais probablement aussi répandu à l'heure qu'il est que le gâtisme, le jeunisme est apparu et s'est développé au lendemain de la Deuxième Guerre Mondiale, essentiellement dans les pays riches, à commencer par l'Occident. Le jeunisme s'est en effet imposé avec l'avènement de la nouvelle catégorie sociale qu'est devenue la jeunesse dans la deuxième moitié du XXe siècle, bénéficiant d'un minimum de liberté et d'argent de poche qui faisait d'elle, désormais et pour la première fois de l'Histoire, un nouveau client. Incidemment, le jeunisme consiste essentiellement à flatter ladite jeunesse en tant que nouvelle clientèle et qu'image idéalisée de l'Humanité nouvelle. Le jeunisme n'a rien à voir avec l'amitié que la jeunesse mérite au même titre que toute catégorie humaine aimable. Le jeunisme est menteur et démago. À bas le jeunisme ! À bas les jeunes se croyant supérieurs aux vieux ! À mort les vieux se la jouant "djeune".
Un provincialisme dans le temps

L'esprit du jeunisme est sectaire et tribal alors qu'il se croit universel - c'est à vrai dire une sorte de provincialisme dans le temps. Le grand poète catholique anglais T.S. Eliot (on peut être Anglais, catholique et poète) estimait que s'est développé, au XXe siècle, une sorte nouvelle de provincialisme qui ne ressortit plus à l'espace mais au temps. Ce provincialisme dans le temps nous cantonne pour ainsi dire dans l'Actuel, coupé de tout pays antérieur. Il est devenu banal, aujourd'hui, de pointer l'amnésie d'une partie de la jeunesse actuelle alors même qu'on invoque à n'en plus finir le "devoir de mémoire". Mais est-ce à coups de "devoirs" qu'un individu découvre le monde qu'il y a par delà sa tribu ou sa secte ? Je n'en crois rien pour ma part, et d'abord parce que je refuse de me cloîtrer dans aucune catégorie bornée par l'âge. Charles-Albert Cingria disait qu'il avait à la fois 7 et 700 ans et je ressens la même chose en profondeur. La littérature a tous les âges et reste jeune à tous les âges. Il saute aux yeux que le vieil Hugo ou le vieux Goethe sont plus jeunes que les jeunes gens qu'ils ont été. Or je vois aujourd'hui que les provincialisme dans le temps n'est pas l'apanage du seul jeunisme mais affecte, en aval, une réaction à celui-ci qui confine à un nouveau gâtisme. On voit en effet se répandre, surtout en France, la conviction que plus rien ne se fait de bien, notamment en littérature, chez les moins de 60 ans. Tout le discours de Modernes catacombes, de Régis Debray, s'appuie sur ce constat désabusé. Après nous le Déluge ! Godard dit à peu près la même chose du cinéma. Et je m'exclame alors: à bas la gâtisme ! Mort aux vieux se croyant supérieurs aux jeunes !

Jeunes auteurs romands fédérés

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Demain se réuniront, à la Bibliothèque de Pully, bien connue des amateurs de littérature, les jeunes auteurs de l'AJAR (Association des jeunes auteurs romands) qui n'ont cessé, depuis la constitution du groupe, de se rencontrer et de multiplier ateliers d'écriture et lectures publiques. Il y a là une vingtaine de jeunes talents auxquels Le Passe-Muraille avait réservé une livraison spéciale, à la fin de l'an dernier, intitulée Ceux de la relève; et ce qui m'a frappé, malgré leur initiative qu'on pourrait taxer de sectarisme "djeune" puisque les plus de 30 ans n'y sont pas, c'est leur vif intérêt non seulement pour la production contemporaine mais pour tout les fonds de la littérature de ce pays, de Corinna Bille à Nicolas Bouvier en passant par Cingria ou Alice Rivaz. L'un des meneurs de la petite tribu, Daniel Vuataz, va d'ailleurs sortir prochainement (aux éditions de L'Hèbe) une monographie consacrée à l'une des personnalités les plus marquantes de la culture romande de l'après-guerre, en la personne de Franck Jotterand, rédacteur en chef de la prestigieuse Gazette de Lausanne et, plus tard, directeur du Théâtre de Vidy. Bref on est loin, avec ceux-là, de tout provincialisme dans le temps...
Parrains et poulains
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De même tâcherons-nous, parrains et poulains réunis en cinq couples par Isabelle Falconnier, directrice du Salon du livre de Genève et responsable des pages culturelles de L'Hebdo, d'échapper au gâtisme paternaliste autant qu'au jeunisme niais dès notre première réunion de demain. L'idée m'a paru d'emblée sympathique et constructive, consistant à ménager des rencontres personnelles suivies entre cinq écrivains "confirmés" (Anne Cunéo, Amélie Plume, Daniel de Roulet, Jean-Michel Olivier et moi-même) et cinq auteurs plus jeunes, dont quatre (Douna Loup, Aude Seigne, Quentin Mouron et Max Lobe) ont déjà fait un bout de chemin. Notre consoeur était en train de lire le premier roman de Max Lobe, 39 rue de Berne, lorsque je lui ai proposé de faire équipe avec lui au motif que le Bantou, depuis une année que nous nous connaissons, m'a appris autant que je crois lui avoir apporté, de même que la fréquentation des livres et de la personne de Quentin Mouron m'ont apporté bien plus que celle de moult littérateurs plus chevronnés d'ici ou d'ailleurs. On se gargarise un peu beaucoup, ces derniers temps, à propos de la relève littéraire en Suisse romande, notamment du fait du phénoménal succès d'un Joël Dicker. Un certain jeunisme a pu grossir le phénomène en confondant, autre exemple, le brillant des santiags de Quentin et son talent propre, mais peu importe: passons, passez, faites passer le témoin. Et rendez-vous, avec les marraines et poulaines, autant qu'avec les poulains et parrains, au Salon du Livre de Genève où l'on appréciera en public le résultat de leurs confrontations...


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