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9 février 1867 | Naissance de Natsumé Sôseki

Publié le 09 février 2013 par Angèle Paoli
Éphéméride culturelle à rebours

Le 9 février 1867 naît à Edo (aujourd’hui Tôkyô) Natsumé Sôseki.

Connu à l’étranger sous son prénom ― Sôseki ―, devenu son pseudonyme, Natsumé Sôseki se rend en Angleterre pour parfaire ses connaissances en langue et littérature anglaises. Il vit à Londres de 1900 à 1903, puis rentre au Japon. Spécialisé en littérature anglaise, il occupe pendant quelque temps le poste de littérature anglaise de l’Université de Tôkyô, succédant à l’éminent professeur Lafcadio Hearn. Il quitte l’enseignement pour la critique littéraire, activité qu’il poursuivra jusqu’à sa mort, survenue à Tôkyô le 9 décembre 1916.

Un premier roman ― La Tour de Londres ― marque, en 1905, l’entrée de Sôseki dans la carrière d’écrivain. Vient ensuite Je suis un chat (1905-1906), qui remporte un grand succès. Dès lors, les publications se succèdent : Botchan (1906), Oreiller d’herbes (1907), Les Coquelicots (1907), Les Mineurs (1908), Sanshirô (1909-1910), Ensuite (1909), La Porte (1910), Le Voyageur (1913), Le Pauvre Cœur des hommes (1914), Herbes sur la route (1915). Clair-obscur est son dernier roman, resté inachevé.

En 1906 paraît Oreiller d’herbes dont l’incipit est resté gravé dans les mémoires :

« Je gravissais un sentier de montagnes en me disant : à user de son intelligence, on ne risque guère d’arrondir les angles. À naviguer sur les eaux de la sensibilité, on s’expose à se laisser emporter. À imposer sa volonté, on finit par se sentir à l’étroit. Bref, il n’est pas commode de vivre sur la terre des hommes ».

Original par sa forme et par son écriture, à mi-chemin entre essai de méditation et récit symbolique, Oreiller d’herbes est un récit bref et tendu, porté par une intrigue simple. Le narrateur ― un peintre ― se retire dans les montagnes pour faire le bilan de sa vie et réfléchir sur son art.


EXTRAIT d’OREILLER D’HERBES

Pendant que je contemplais ce spectacle, une fleur rouge est tombée à la surface de l’eau. Seule cette fleur a bougé dans le silence du printemps. Au bout d’un moment, une deuxième fleur est tombée. Ces fleurs ne perdent jamais leurs pétales. Plutôt que de se défaire, elles se détachent toutes entières de leur tige. Tombant d’un seul coup, elles paraissent dépourvues de tout regret, mais c’est une vision quelque peu vénéneuse que de voir qu’elles conservent la forme complète de la fleur en tombant. Encore une autre qui fait plouf. Si elles continuent à ce rythme, l’eau de l’étang sera bientôt toute rouge. J’ai l’impression que là où les fleurs flottent calmement, l’eau est déjà un peu rouge. Une autre fleur est tombée. Elle flotte si silencieusement qu’on ne peut distinguer si elle est tombée à terre ou sur l’eau. Une autre est tombée. Je me demande si elles finiront par sombrer. De ces milliers de fleurs de camélias qui tombent chaque année dans l’étang, la couleur se dilue peut-être, puis devient boue en se décomposant et s’agglutine. Il est possible que dans quelques milliers d’années, ce vieil étang finisse par être enseveli sous la chute des camélias et se confonde avec la terre, redevenant un terrain plat. Encore une autre fleur, une grande qui tombe comme une âme humaine maculée de sang. Elles tombent avec un clapotis. Elles tombent à l’infini.

Je me demande ce que cela donnerait, si je peignais ici une belle noyée et je suis retourné au premier endroit, puis je m’abandonne à de vagues réflexions en fumant. Les paroles que Nami a prononcées hier en plaisantant déferlent dans ma mémoire. Mon cœur oscille comme une planche de bois sur une grosse vague. J’aimerais me servir de son visage, le faire flotter au-dessus de ces camélias et faire tomber sur lui des fleurs. J’aimerais rendre le sentiment que les camélias tombent pour l’éternité et que la femme flotte sur l’eau pour l’éternité, mais peut-on exprimer cela dans un tableau ? Selon Laocoon… Oh, peu importe Laocoon ! Que cela soit conforme au principe ou non, il suffit que je rende ce sentiment. Mais il n’est pas facile d’exprimer une éternité surhumaine si l’on ne quitte pas l’humanité.


Sôseki, Oreiller d’herbes [草枕 | Kusamakura, 1906], Éditions Payot & Rivages, Collection Rivages Poche, 2007, pp. 124-125. Traduit du japonais par René de Ceccatty et Ryôji Nakamura.


Sôseki



NATSUMÉ SÔSEKI

Vignette Natsume Soseki

Source

■ Natsumé Sôseki
sur Terres de femmes

Au milieu du printemps (un autre extrait d’Oreiller d’herbes)

■ Voir aussi ▼

→ (sur benzinemag) une note critique sur Oreiller d’herbes
→ (sur le blog Graskissen ― Oreiller d’herbes) une version bilingue des deux premiers chapitres d’Oreiller d’herbes




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