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Scène 11 – Le fou (Willy), la dame (Nelly), les deux enfants (pions), la cavalière (Chloé), le roi (Ahmed), le cavalier (Jean-François) et la Tour

Publié le 12 février 2013 par Ctrltab

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Jean-François entre dans la pièce tel un justicier. La porte se referme violemment derrière lui.

JEAN-FRANCOIS

Stop ! Vous êtes tous en état d’a…

Il ne parvient à finir sa phrase et s’immobilise lui aussi devant le tableau offert de la madone au sein allaitant. Tous sont suspendus. La Tour parle.

LA TOUR

Les lieux sont devenus vos dieux. Vos dieux maudits. Que vous construisez à la va-vite, à la pousse-toi-de-là-que-je-m’y-mette. Et que vous détestez aussitôt achevés. L’œuvre de vos mains. Vol à l’arraché. Bande de petits voyous prêts à détrousser, pour quelques euros arrachés, une vieille dame sans défense. Sans meurtrière, ni œil de beauf en renfort… Pour ma part, je suis devenue la capitale de l’horreur et du pire. Avant, pouvais-je encore m’enorgueillir de détenir la belle princesse que le valeureux chevalier devait délivrer. Désormais, je ne suis qu’une tour sans mémoire, les yeux vitreux, le ventre vide, les poches crevées, seule dépositaire de votre ennui. Mon seul trésor. Laissez-moi mourir.

Vous avez déposé dans mes fondations de la dynamite. Au pied de mes murs porteurs, vous avez glissé des explosifs. Vous avez décapité mes tirants. Tout est en ordre. Pour démonter le beau jouet, pas beau que vous avez monté, tête en l’air, il y a quelques années. L’occasion d’un vrai feu de joie, non ?

Vous connaissez ma blague préférée ? C’est un de mes tags inscrits au sous-sol. Dans mon bas-ventre. Mon tatouage fétiche : « Nietzsche est mort. Signé : Dieu. » Ah, ah, (Elle rit de sa propre blague) ah, ah, elle est bien bonne ! Vous comprenez ? (Personne ne répond) Les dieux, qu’ils existent ou non, ont toujours le dernier mot. Vous ne riez pas ? C’est vrai, j’oubliais, vous êtes immobilisés. Pardon, c’est de ma faute. Vous voilà tous transformés en HLM sinistrées et sans paroles. En enfants muets. Un instant, par magie, je suspends le désordre que vous êtes en train de m’installer.

Il n’y en a plus pour que quelques minutes et je retournerai en poussières et particules de lumière. Avec votre charivari, ce n’est pas gagné. Le futur suicidé, la nounou voleuse d’enfant, le dealer amoureux, la jeune fille curieuse et les chiards, oui, je vous interpelle, qui vous a donc invités ? Pas moi. Vous ne pouviez pas vous faire voir ailleurs ? Je n’ai demandé à aucun d’entre vous de me poursuivre, de vous perdre, petits feux follets errants.

Désolée, mais je n’ai trouvé d’autre chevalier que l’homme politique, l’homme d’action, le décisionnaire pour m’aider. Pas le plus malin ni le plus moral, je vous l’accorde. Néanmoins, pour le rendre moins con, je lui ai jeté un sort. Avec ce type d’individu, je me méfie, le chantage n’est pas assez. Ils ont trop d’habileté dans l’art de retourner leur veston. Surtout quand il verra comment vous avez séquestré sa fille. J’ai donc assuré mes arrières et consolider mes fondations : j’ai attaqué son point faible. Jean-François, le veuf éploré qui se cache derrière son cynisme, tombera amoureux de la première femme qui apparaîtra à ses yeux. Je suis certaine que cela va nous permettre d’activer l’affaire et de partir, enfin, en paix. Dans le repos éternel des morts.

La Tour se tait. L’ensemble des acteurs reprend vie sur le plateau.


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