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Scène 14 – Le fou (Willy) et le deuxième fou (Matt)

Publié le 18 février 2013 par Ctrltab

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La scène est totalement évacuée. Ne reste plus que Willy qui tombe, tombe, tombe. Le fantôme de son père le rejoint et lui donne la main pour l’accompagner dans sa chute. La scène pourrait être dansée et même chantée. Dans un rythme lent, doux et nostalgique.

WILLY

Et j’ai sauté. Et j’ai volé. Enfin. Je ne me suis pas cramé les ailes puisque de toute façon je n’en avais pas. Et toi, Papa, tu m’as rejoint ! Et j’étais heureux, si heureux. Avec toi. En vol plané.

MATT

Et je t’ai rejoint mon fils. Je t’attendais depuis tant d’années. Tel un mobile suspendu en l’air. Je t’ai pris la main et nous avons volé ensemble.

WILLY

J’avais quatre ans quand je t’ai vu sauter la première fois. Tu m’as embrassé, a ouvert la fenêtre et tu as eu ces mots, drôles et affreux, idiots et terribles : « Sois toujours fier de ton papa car c’est un super héros, mon fils, en voici la preuve ! »

MATT

Tu as dit « En r’voir pa-pa ! » Et ta mère est accourue à temps pour te prendre dans ses bras et éviter que tu sautes à ton tour.

WILLY

Le corps de maman est devenu froid, très froid. Elle me serrait fort, si fort. J’avais du mal à respirer. Elle s’est allongée avec moi sur mon petit lit d’enfant. Avant d’agir, de pouvoir réagir.

MATT

Moi, j’étais au pied des tours que j’avais rêvées et construites. Ecrabouillé par leur réalité qui avait tourné au cauchemar. Mon utopie d’architecte réalisée. La cité des Arlequins promettait les mots bonheur, mixité sociale, autarcie heureuse, fluidité communicationnelle. Les graines que j’avais semées n’ont donné que des mauvaises herbes. D’autres mots ont fleuri à la place : poubelle, coupe-gorge, cité dortoir, « drogue and trolls »…

WILLY

Quand on jouait ensemble, on construisait des villes imaginaires avec mes legos. Ce que je préférais encore, c’était le moment où nous nous détruisions tout, avec joie et fureur.

MATT

Le projet avait coulé mon cabinet. Moi qui étais venu habiter dans les tours avec ma famille, pour être le premier à vivre dans ce paradis clos, je ne pouvais plus en sortir. Je n’en avais plus les moyens. Nous étions quasiment les derniers blancs restés coincés dans le quartier. Je n’avais plus rien d’autre à faire que de jouer avec toi dans ta chambre d’enfant.

WILLY

Ne sois pas triste, Papa, c’étaient des temps heureux !

MATT

J’ai sauté parce que j’étais ruiné. La seule solution, c’était mourir. Pour vous permettre à ta mère et toi de toucher mon assurance vie.

WILLY

Ne deviens pas sentimental, Papa ! Maman a déménagé depuis, elle habite ailleurs. Avec son nouveau mec et ses nouveaux enfants…

MATT

Mais, toi, pourquoi es-tu resté ?

WILLY

Parce que je n’avais pas d’autre endroit pour fleurir ta tombe. Pour pousser telle une herbe folle sur ton fumier. Parce que j’aime ce lieu et ces tours. Je n’ai vécu que dans ton ombre. Sous ton toit. Je ne suis désormais plus qu’un avec toi.

MATT

Willy, mon fils. Oui, nous mourrons, de nouveau, ensemble, toi, les tours et moi. Tu parachèves mon œuvre. Après moi, le déluge. Victoire finale, échec et mat !


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