Magazine Journal intime

La Régie Fait Le Numéro.

Publié le 11 avril 2008 par Mélina Loupia
La Régie Fait Le Numéro.Il a été une époque pas si lointaine dans le temps mais dont le peu d'espace libre dans ma mémoire vive m'empêche de m'en rappeler l'oisiveté qu'elle m'offrait, je regardais vaguement la télé jusqu'à des heures induses. Notamment le vendredi soir où je me mettais un point d'honneur à me coucher encore plus tard pour bien marquer l'effet week-end naissant, histoire de ne pas être en décalage horaire avec le reste du monde et celui que j'étais sensée régir, à savoir le mien. Et plus particulièrement ce genre d'émissions où les malheurs des autres faisaient le bonheur de mes nuits. En l'occurrence " Sans aucun doute ". Oui, aussi je l'avoue pour la bogossitude de Julien Courbet, ses petites lunettes et ses costards impeccables. Oui encore pour suivre l'évolution des affaires en cours dont la régie nous tiendra au courant très prochainement dans cinq ou six ans. Oui enfin pour les entrevues téléphoniques politiquement selon TF1 correctes. Et le fameux moment où, tremblante, je prête une oreille à Tante Yves pour entendre Julien prononcer la phrase magique: "La régie fait le numéro". Aussitôt, de dos, un assistant surgit de la pénombre des coulisses, le casque vissé sur les oreilles, et pointe son doigt pour signifier à l'animateur gominé que l'interlocuteur est en ligne et donc à l'antenne. Ce moment magique où le bon vieux téléphone se met à l'heure des nouvelles technologies. "C'est ça que je veux faire quand j'aurai un travail, interviewer des gens par téléphone. -Ah, quelle ambition tu as, c'est dingue, des fois, je me demande si tu finirais pas par toucher plus que le SMIC. Tu me fais très peur. -Imagine, tu m'entendrais dire " De notre envoyé spécial sur la Mer de Weddell, joint par téléphone satellite... -Qu'est-ce qu'il irait foutre à se cailler là-bas ton envoyé spécial? -N'importe quoi que je lui demanderais d'aller y faire puisque c'est moi qui commanderais." Une époque pas si lointaine dans le temps mais dont le peu d'espace libre dans ma mémoire vive m'empêche de m'en rappeler l'oisiveté qu'elle m'offrait plus tard, me voilà à réaliser mon rêve d'alors. "Tu vas appeler ce monsieur et l'interviewer par téléphone. -J'ai pas de haut-parleur sur mon téléphone et de toutes façons, le son serait pas bon si ça sortait d'un haut-parleur. Quant à coller un micro contre le combiné, j'ai un doute affreux. -Je vais te passer l'appareil exprès tu verras. -Tu l'as piqué dans un épisode de Star Trek? -Mais t'inquiète, c'est facile, tu branches le micro là, le casque là, le H2 là, la prise au téléphone, tu fais le numéro et ça enregistre. -Jean-Luc Picard t'as pas refilé la notice? -Mais tu es douée, tu vas très bien t'en sortir." Tout ce que je voulais, c'était être douée pour sortir tout court de ce cauchemar annoncé. Je suis de celles (les ceux sont assez rares dans cette catégorie) à aimer n'avoir qu'à appuyer sur un bouton pour que ça s'allume, clignote, fasse du bruit et surtout fonctionne. Et là, d'après ce que j'avais retenu du mode d'emploi et de la formation d'ingénieur du son accéléré, je me retrouvais face à ça: Inutile de préciser que sans un assistant dévoué, aimant et plutôt bien tanké, je ne disposais naturellement d'aucun moyen pour réussir à mettre en branle cette usine à gaz. "Copiloooooooooooooooooote! Au secours, je suis en train de me faire sauvagement agresser dans le salons par des fils de pute! -Alors là, c'est la plus drôle que j'aie entendue depuis deux minutes. -Non mais j'ai besoin de faire un simple test, juste tu prends ton portable et je t'appelle. -Ok je retourne au bureau. -Ok je t'appelle. La prise au téléphone, le micro, le casque et le H2 branchés, je chausse le casque, j'appuie sur le bouton et " La régie fait le numéro". Et ça sonne occupé dans mes oreilles. Au bout de quatre tentatives,  j'entends Destination of love dans le bureau. "Aluile? -Putain je t'entends pas. -Moi si, mais du bureau. -T'es sûre que t'as tout bien branché là où il faut? -Tu me prends pour un jambon ou quoi? -Surtout pas, mais on sait jamais, la fatigue, tout ça... -Viens voir alors, monsieur " Ma femme ne sait jamais brancher les fils dans les bonnes prises, mais elle a tellement de talent que je la garde." Il me trouve assise par terre, les mollets contrits dans douze mètres de fils. "Je vois rien qui merde dans les branchements... -Alors, on la ramène moins, Monsieur Warcraft et Cie avec son cheval qui prend feu -En revanche t'as dit bonjour micro? -Tu crois que j'ai que ça à foutre? -Non je dis ça, des fois, y a un bouton "on/off" sur les micros. T'as vérifié? -Il est pas en train de se faire bouillaver la gueule ton perso dans ton jeu? -C'est bien ce que je te disais, t'as pas vérifié et en plus, il est sur "off" ton micro. -C'est bien ce que je te disais tout à l'heure. Voilà pourquoi je me disais que peut-être, sur "on", ça irait tout de suite mieux. -Mais bien-sûr allez, rappelle-moi, j'aime bien nos petites conversations téléphoniques tard le soir." Un dialogue technique s'installe alors. "Alalouche? -Ayé je t'entends. -Tu m'entends? -Je ne vous entends pas Simone, un-deux, un-deux, un-un ah-ah, et bien bonsoir cher public! -Putain y a comme un écho, éloignez-vous de votre poste de télé madame. -Je t'entends faible. -T'as mis le son à fond? -Bon ça va aller oui? -Ok, ok, je retourne à ma quête. -Et moi au turbin, décidément, l'égalité des chances dans la vie, hein..." Dix-neuf heures dont cinq passées sur Audacity à mixer, monter, travailler, amplifier, normaliser, couper une conversation tant utile qu'agréable avec un gentil monsieur plus tard, j'ai rendu mon travail à mon patron. amp; Il semblerait que le résultat lui a convenu.

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