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Confession d'un enfant du siècle

Publié le 05 mars 2013 par Jlk
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A propos de Tout autre,une confession, de François Meyronnis.

Certains livres nous prennent par surprise, et c'est ce qui vient de m'arriver avec la lecture de Tout autre, une confession de François Meyronnis, avec lequel je me suis découvert des points communs en dépit de goûts et de positions très différents, voire opposés.
Je connaissais un peu François Meyronnis jusque-là, mais d'assez loin, sans avoir lu aucun de ses livres. J'avais bien entrouvert L'Axe du néant, volumineux essai paru il y a quelques années, que j'ai refermé en soupirant comme, trente ans plus tôt, j'avais refermé L'être et le néant, peut-être rien qu'au motif de mon peu d'attirance pour ce concept de "néant" qui suppose une tête philosophique que je n'ai guère. Je savais François Meyronnis proche de Philipe Sollers, dirigeant la revue Ligne de risque avec son compère Yannick Haenel; les attaques haineuses dont il a parfois été gratifié me l'ont rendu plutôt sympathique, mais il m'a fallu lire une dizaine de pages de Tout autre, après l'aimable dédicace annonçant la "confession d'un irrégulier", donc mon semblable éventuel, pour m'intéresser à l'astringente évocation d'une enfance vécue contre l'école, ou du moins contre le drill ordinaire par voies de lettres et de chiffres, immédiatement à l'écart, confrontée à la solitude et forcée à une appropriation personnelle de la parole et de la réalité, notamment par la magie proustienne des Noms - ici porteurs blasonnés de gloires historiques tels Tarquin le Superbe ou Coriolan, Marie Stuart ou Charles le Téméraire, et plus tard le truchement des livres.
Ce qui m'a intéressé dans ce récit est l'aspect vertigineux que peut revêtir la découverte d'une altérité fondamentale, non tant sociale ou psychologique qu'existentielle voire métaphysique, abouchée physiquement à des gouffres psychiques et à des tumultes verbaux. Avant de découvrir Lautréamont à quinze ans, le petit souffre-douleurs de cour d'école "pas comme les autres", traqué par sa prof de maths avant qu'une crise d'apoplexie ne l'en libère, et bientôt considéré par ses proches comme un "être à part", s'est constitué une mythologie fondée sur un rapport magique, voire mystique, avec la parole. Les incantations de Maldoror ne pouvaient trouver meilleure chambre d'écho, et d'autres jeunes gens s'y reconnaîtront, titubant fébrilement entre poésie et philosophie, jusqu'à une véritable révélation dont on rirait, tant elle rappelle celles d'un Pascal ou d'un Claudel, si l'évocation fuligineuse de la rencontre d'un balai, dans un terrain vague, et de la foudre ducassienne, ne portait en elle-même, ici, le signe d'une autodérision cocasse. Pas que l'auteur rie de lui-même; plutôt qu'il nous incite à sourire de sa candeur sincère en somme romantique, pour ne pas dire "enfant du siècle".
Chaque génération a ses élans et ses effrois, ses dieux et ses démons, ses idoles et ses rejets, et c'est particulièrement visible dans la France littéraire des héritiers de Mai 68, dont les représentants les plus singuliers voire les plus remarquables (tels un Marc-Edouard Nabe, un Maurice G. Dantec ou un Michel Houellebecq) se sont tous définis par le rejet teigneux èvoquant la posture dostoïevskienne du "je suis seul et ils sont tous"...
François Meyronnis le vit d'une façon plus réservée et douce en apparence, mais on trouvera dans sa "confession" deux épisodes significatifs "d'époque". Le premier est le récit mordant d'un essai de réunion de "bandes" littéraires, affiliées à deux revues rivales, se rencontrant en présence d'une "icône" de la philosophie contemporaine, en la personne de Giorgio Agamben. Le second est la reconstitution imaginaire d'un "dialogue" de l'auteur avec Michel Houellebecq, dont l'oeuvre apparaît alors comme un "repoussoir".
Or ce qui me frappe en fin de compte, et François Meyronnis y participe autant que Philippe Sollers (dont un bon geste est évoqué lors d'une rencontre nocturne avec l'auteur), c'est la propension de tous ces talentueux littérateurs aux généralisations catastrophistes. Autant je me sens proche d'un Sollers quand il parle des jardins du monde ou grappille entre Stendhal et Dideront, autant m'ont émerveillé maintes pages passionnées des Zigzags de Nabe ou des romans de Michel Houellebecq, autant les constats généraux de ces Messieurs invoquant la décadence occidentale (Dantec le punk camé citant les Pères de l'Eglise et Joseph de Maistre) et la chiennerie multimondiale nous font passer du "tout autre" au morne ressassement du "toujours le même".
De François Meyronnis me touche la recherche d'une mythologie personnelle s'inventant des héros "tout autres" du côté de Sienne ou de la Corse et plus encore: sa façon de vivre sa parole. Mais voici la scie relancée. "Disons-le sans fard: nous vivons les derniers jours de l'humanité, au moins un siècle que nous les vivons, et cela durera encore très longtemps - d'autant que la fin a déjà eu lieu. Et qu'il n'y a aucun sens à s'en plaindre".
Enfin je comprends mieux, à la lecture du Tout autre de François Meyronnis, ce qui me fait regimber, souvent, à celle de Sollers: ce côté société secrète. Déjà la chose me rebutait chez Dimitri: son côté Club de l'Horloge, ou le goût de Dominique de Roux pour le savoir crypté, l'ésotérisme d'Abellio et autres doctrines théologico-politiques genre martinisme du comte De Maistre...
Tout ça me rebute viscéralement, je ne sais pourquoi mais c'est comme ça: ce côté club des purs, supériorité de quelques-uns et autres "restons entre nous " ou "il est des nôtres" - tout cet ostracisme électif m'a toujours paru douteux et plus exactement: ridicule, autant que les attributs et autres insignes ou colifichets du franc-maçon ou de l'élu de n'importe quelle secte solaire ou lunaire.
Bref, autant la lecture de Tout autre m'a rendu François Meyronnis proche et sympathique à certains égards, autant cet aspect "nous autres" m'a fait sourire, et particulièrement dans sa conclusion à point d'orgue lancinant: "La parole, qui échelonne le grief, soulève aussi ce qui délivre. Le Messie séjourne auprès de nous, et nous devons l'attendre, et il est déjà venu : - c'est la parole". Couchée entre nos lèvres, elle est le Royaume - "petit comme un grain de moutarde": l'écart d'où s'édifient les ciels et se construisent le mondes. En elle, la sagesse; en elle le discernement: et personne n'en veut depuis que toute une société, maintenant étendue à la planète , a fait le rêve de se posséder elle-même - de se fabriquer elle-même - et de s'approprier la Terre. Disparates au jugement des foules, quelques têtes électriques se tournent vers l' exclue, endossant son exil loin des homme, autant d'existences que la délaissée enrôle pour sa route solitaire. Parmi ces biographies possibles de la parole, voici donc, avec humilité, la mienne. Et pour qu'elle luise de toute sa lumière, portez-lui attention"...
François Meyronnis. Tout autre, une confession. Gallimard, collection L'Infini,143p.


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