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São Tomé II: un voyage en bateau

Publié le 15 avril 2008 par Dicidense

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L’île de São Tomé préfère les lève-tôt. A sept heures ce matin, il fait grand jour et grand beau. La mer a une robe améthyste, les rochers des petits îlots, au large, avancent leurs contours rouges jusqu’à la rive. L’air est limpide. Et l’activité bat son plein. Les femmes lavent le linge dans la rivière en contrebas de la forêt, les enfants accrochés à leurs basques. Elles sont gaies et rient de se voir en photo. Bientôt, le bord de la rivière devient un puzzle coloré de vêtements qui sèchent à même le sol. Il pleuvra sûrement aujourd’hui, mais le linge sera sec bien avant. Ici, le climat est équatorial, et d’ailleurs la ligne virtuelle de l’Equateur passe très exactement au sud de l’île. Il pleut, il fait beau. Le ciel est capricieux, un vrai rêve pour les amoureux des nuages. Moises, notre guide, a toujours une longueur d’avance sur l’averse. Il sait, comme tous les gens d’ici. Et la pluie n’a guère d’importance : il fait chaud, et l’orage ne dure pas, cédant la place à un radieux soleil. On comprend comment ce pays – São tomé est un Etat indépendant – a des cours d’eau qui dévalent ses montagnes volcaniques, et un sol où pousse une végétation luxuriante. Curieusement, j’en ai un peu marre de la végétation luxuriante. Elle finit par lasser l’œil qui n’a de prise sur rien. C’est un entrelacs infini d’arbres et d’arbustes, de palmiers et de bananiers sauvages, de fougères démesurées et de feuilles géantes qui impressionnent au début. Mais cette forêt est impénétrable, c’est un règne absolu du végétal qui boude les pas de l’homme. J’exagère, bien sûr, car il suffit d’une heure avec un botaniste pour y voir une forêt enchantée qui révèle ses secrets aux initiés. Mais je crois quand même que mon âme appartient davantage au désert.

Les hommes sont à la pêche. Sur leurs pirogues sans moteur, avec une simple rame, ils traquent le barracuda, le thon, la sole, les poissons volants. Il y a de tout ici, et pas de chalutiers en vue qui pourraient épuiser les ressources. J’embarque pour une pêche au gros sur un bateau à moteur assez costaud. Une famille de dauphins nous accompagne quelques instants. Quelle merveille, quelle gaieté !

La mer est forte. A quelque distance, les pirogues sont chahutées. Et soudain, l’une d’elles chavire. L’homme s’accroche à l’embarcation, tente de la retourner, mais en vain, les vagues fondent sur lui et l’attirent dans leur creux. Toute son énergie est dépensée dans son effort pour rester accroché à sa pirogue, qui dérive dangereusement vers des récifs non loin de là. D’autres pêcheurs essaient de s’approcher, mais la manoeuvre est difficile avec la houle. Vite, nous virons de bord et rejoignons le naufragé. Le capitaine lui lance une corde pour amarrer la pirogue à notre bateau, et nous tirons vers une zone plus calme où le pêcheur peut enfin monter à bord. Il est épuisé, remercie d’un geste et s’assoit, la tête dans les genoux, pour reprendre son souffle. Il est visiblement ému mais se contient. Pendant ce temps, les autres écopent sa pirogue remise à l’endroit. Alors, le pêcheur remonte dans son esquif et repart à la rame, en direction des autres piroguiers. Cet homme a failli mourir. Tous les jours, m’explique-t-on, des pêcheurs disparaissent ainsi. L’œuvre de la pauvreté rend la vie humaine insignifiante. Elle s’efface sans un cri, car la pudeur ne permet pas qu’on se plaigne, même de mourir.

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Merci à Sabine pour ce texte que nous sommes très heureux de publier. Alors si vous aussi vous souhaitez publier une parcelle de votre vie ou de votre imagination, envoyez la à notre adresse e-mail : [email protected]


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