Magazine Journal intime

La fois où je me suis fait braquer mon sac Corsica

Publié le 18 avril 2008 par Boo
Je fais mes courses à Carrefour. A force, j’ai accumulé mon ptit lot conséquent de sacs cabas éco-planète machin. Du genre ceux-là :

Sac cabas Carrefour
L’été dernier, j’ai passé 2 semaines en Corse, et lors d’un ravitaillement chipolatas/réchaud/lampe frontale/spray anti-moustique (oui, j’étais en camping), j’ai atterri au Carrefour d’Ajaccio. J’ai donc eu droit au beau sac cabas spécial Corsica. Celui-là :


Pratique et meilleur pour la Corse
C'est quand même autre chose, non ?

Hier, donc, je faisais mes courses, à mon Carrefour de Montpellier. Je pendouille mes 4 sacs au petit crochet du caddie, dont le Corsica, et vogue la galère. Tranquille. Tellement tranquille qu’avant de lancer les hostilités de ravitaillement, je m’arrête 5 minutes dans le Minelli de la galerie. Cinq minutes, montre en main. Le temps d’essayer une paire de spartiates qui me clignaient de l’œil depuis leur vitrine. Et comme je suis une fille bien élevée, je laisse mon caddie vide à l’extérieur du magasin. Pour pas encombrer (et surtout parce qu’entre les tranchées de cartons de chaussures, il passe pas, j’ai essayé…). Quand je reviens, il a changé de place. Je l’avais laissé à gauche de l’entrée, il est à droite. « Bah, quelqu’un l’aura poussé pour mieux voir ces atroces escarpins vernis là », je me dis. Et pis, à bien y regarder… Il me manque un sac ! Mon sac Corsica justement !

J’hallucine un peu là. Ben y’a qu’à se servir hein ! Ni vu ni connu, y’aurait tort de se priver !
Remarque, ni vu ni connu, c’est pas certain ça… Avec son blabla « Praticu è assai megliu pè a Corsica » bien tape-à-l’œil, il est pas si discret que ça, ce sac. Bon y’a juste des milliers de clients dans le magasin, et chacun avec 3 ou 4 sacs, mais on sait jamais. Ouvrons l’œil. Sherlock est de retour. Ca va pimenter un peu la corvée tiens !

Je commence donc mes courses, un œil sur ma liste, l’autre sur les clients. Et je me demande bien qui peut être assez con pour taper un sac cabas à 0,50€. Et juste à moi, et juste celui-là. En bonne profileuse qui a raté sa vocation, je vois déjà se dessiner deux portraits-type d’individus : j’ai à faire soit à un expat' corse en mal de saveur locale, soit au contraire à un bon vieux continental aigri et vindicatif qui a cru saisir là l’occasion d’une vendetta mesquine suite à un figatellu avarié qu’on lui aurait servi 3 ans plus tôt sur une terrasse de Porto-Vecchio. Elémentaire, mon cher Watson. Ca ne peut être que ça. Sauf qu’un profil psychologique, c’est bien beau mais ça habille pas son homme (ou sa femme tiens ? pourquoi ça ne serait pas une femme ? Une vielle mémé corse en austère robe noire ou une jeune pintade auvergnate larguée par le moniteur de voile du camping de Bonifacio…). Bref, ça fait des chouettes histoires, tout ça, mais ça m'en dit pas long sur l'aspect physique de mon suspect... En gros, ça sert à rien...

Et du coup, je ne suis pas plus avancée, ni avec mon voleur, ni avec mes courses d’ailleurs.

Lorsque tout à coup … Au détour du rayon jambon… Jetant un œil circonspect sur des quenelles de brochet (errrrrk), je le vois. Il a une main sur la quenelle (celle au brochet hein, rappelez-vous, on est dans une grande surface…), une autre sur son caddie. Et pendouillé au dit caddie, le sac. Mon sac.

Je stoppe net, à l’arrêt. La patte levée, l’œil vif, la truffe au vent.

Mais quand même, j’suis déçue. Mon bonhomme là, il ressemble à rien. Il n’a même pas la décence d’incarner mes stéréotypes longuement échaffaudés. La soixantaine maigrichonne, mal rasé, veston à carreaux, l’échine courbe, il fait plus peine qu’autre chose. Mais oh ! Faudrait voir à pas s’apitoyer non plus, il m’a chouré mon sac quand même ! Sauf que… Bon y’a peu de chances, mais… Avec la minuscule probabilité pour qu’il y ait, aujourd’hui, dans cette grande surface, plusieurs détenteurs légitimes de cabas Corsica, j’me vois mal tomber sur le râble d’un innocent. Mais en même temps, ça m’énerve c’t’affaire. Mais si je vais lui demander des comptes là, à mon voleur de cabas, je le sens, ça va nous mener à rien. Pire même, s'il est le profil "corse en manque du pays", il pourrait bien se venger en venant, la nuit, plastiquer mon ptit 2 pièces, kidnapper Saucisse pour la donner à manger aux cochons sauvages, me forcer à écouter I Muvrini, que sais-je ?!?
Bon, alors, je fais quoi ?

Et là, je décide de me la jouer subtile. Du genre ange de la culpabilité. J’vais pas faire d’esclandre, mais j’vais bien lui faire comprendre, à mon bonhomme, que je suis pas dupe.

Je m’avance vers le voleur à carreaux, fais mine de m’intéresser à son rayon, passe mon bras devant son regard pour attraper un pack de quenelles. Mais il ne semble même pas me capter. Deuxième tentative : feignant un intérêt soudain pour les pâtes brisées pur beurre que son caddie m'empêche d'atteindre, je le pousse sans ménagements  (le caddie, pas le bonhomme) jusqu’au milieu du rayon avec un soupir excédé. Queudalle. La quenelle est toujours plus passionnante que mon manège, on dirait.
Mais je le crois pas ! Il va même pas me faire la politesse de me regarder, celui-là, que je puisse lui décocher mon regard spécial « je sais ce que tu as fais l’été dernier » ?
Aux grands maux… J’élabore une ultime tentative. Je m’éloigne, attend qu’il décolle avec son caddie, je me lance, et *paf*, c’est la collision. Il lève la tête, et j’en profite enfin pour mettre tout ce que j’ai de reproches muets dans mon regard perçant comme l’acier. Mais en face de moi, c’est l’œil terne du merlan frit que je transperce. Et l’éloquence de la carpe. Et puis, derrière-moi : « Vous pourriez-vous excuser quand même ! » s’exclame une mégère vengeresse qui a vu la scène. Et de rajouter deux ou trois gentillesses sur le respect des jeunes d’aujourd’hui. Je me tâte encore sur la réponse la plus appropriée à lui faire, quand mon regard tombe sur son caddie à elle. Et les sacs dedans. Ou plutôt LE sac. Le sac Corsica.

Oui, elle aussi. Et d'ailleurs, à bien y regarder, y'a un jeune là bas au fond, qui a bien l'air d'en avoir un, aussi...
A ce stade-là, je perds mes dernières velléités de redresseuse de tort. J'me suis fendue d'un portrait robot digne de NCIS, j'ai mis trois plombes à choisir un filet d'orange tellement j'avais les yeux ailleurs, j'ai harcelé un pauvre type innocent pour rien, j'me suis faite agressée par une dinde justicière, je crois que je peux rentrer, là...
Et comme je pense à tout ça au lieu d'être à ce que je fais, j'ai même ramené chez moi deux quenelles de brochet qui ressemblent étrangement à... des quenelles au brochet... Super !


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