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Ceux qui sont nuls en maths

Publié le 30 avril 2013 par Jlk
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Celui qui a décidé de soi en constatant son inguérissable infériorité / Celle qui était plus à l'aise dans les opérations que dans les bras de Félicien / Ceux qui se sont sentis tellement supérieurs qu'ils se sont rassis / Celui qui revoit les formats successifs qui ont été les siens depuis l'âge de dix ans vu qu'avant ça ne compte pas / Celle qu'on a cru mettre dans une case alors qu'elle avait fui par le vasistas / Ceux qui écoutent le chant des écoutes par les écoutilles / Celui qui ne sait l'addition que par couleurs et la multiplication que par saveurs / Celle qui sait qu'en italien le destin est un parcours prescrit et en espagnol une arrivée / Ceux qui ont travaillé dans les ateliers mécaniques de la langue en stockant dans leurs mémoires des sacs de vers réguliers genre: "À vous parle, compains de galle: / Mal des âmes et bien du corps, / Gardez-vous de ce mau hâle / Qui noircit les gens quand sont morts" / Celui qui a souvent pleuré sans savoir pourquoi / Celle que ses piètres notes en arithmétique ont fait dire à l'instituteur Cruchon qu'avec un père ouvrier ça se comprend / Ceux que leur naturelle insolence méridionale protège de l'inquisition morale à la protestante / Celui qui établit des listes de généraux et de footballeurs ou de coquillages depuis sa septième année environ / Celle qui voit bien que les vers de Michel Houellebecq sont de la daube tout en appréciant leurs petits accents sporadiques de musique belge / Ceux qui chopent des cloques après leur premier bain de soleil ensuite de quoi leur vient leur seconde peau d'été / Celui qui a gardé quelques jouets qui ont duré plusieurs années entre l'époque de la mort de Staline et celle des réfugiés hongrois / Celle qui constate que la sentence "À chaque jour sa peine" aurait frisé l'obscène si Georges Perec l'avait insérée dans son fameux roman La Disparition dont la lettre e se trouve proscrite / Ceux qui lancent leurs enfants en l'air pour leur faire pardonner leurs absences / Celui qui se demande quand les animaux perdent leur temps / Celui qui a douze ans en a pincé pour Ava Gardner avant d'opter pour la nageuse Esther Williams / Celle qui avait les yeux très très bleus de Jean Sorel et pas besoin de se raser avec tout ça / Ceux qui restent sous l'eau pour ne plus endurer le tapage des machines à calculer / Celui qui n'a jamais senti la présence de Dieu dans l'église de béton / Celle qui se rappelle l'acupuncture des étoiles les nuits d'été en altitude / Ceux qui se saluent au croisement des barques nocturnes / Celui qui a connu le premier point culminant du French Kiss à onze ans dans les caves du Collège Classique Cantonal où Mademoiselle Dusapin faisait ses projections des Chefs-d'oeuvre de l'art aux classes mixtes réunies / Celle qui troublait les garçons avec sa peau croûtée de sel et ses yeux verts / Ceux qui ont la bosse des maths comme seule infirmité notable / Celui qui n'a jamais compté que sur ses doigts d'une main tant l'autre était occupée à traire / Celle qui ne se laisse pas démonter par la surévaluation freudienne de la sexualité enfantine tout occupée qu'elle est à gérer les goûts spéciaux de ses trois garçons en matière de numismatique romaine (l'aîné), de folk vintage (le surdoué au pianola) et de romans magiques à la Tolkien (le petit dernier qui écrira ça c'est sûr) / Ceux qui savent pas mal de choses non écrites à l'instar de certains aveugles / Celui qui a prononcé sa première phrase d'amour sans y penser / Celle qui n'a jamais su compter les coups / Ceux qui ont toujours fait fort dans le calcul des improbabilités, etc.


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