Magazine Journal intime

Routes routinières, errances, griffonnages

Publié le 18 avril 2008 par Eric Mccomber

Je pense beaucoup à mes potes. Je m'ennuie de mes intimes du Québec. Je pense aux Copains d'Abord, au Parc des Compagnons, à Fullum… J'évoque mon dernier printemps tout de fleurs inattendues et de floraisons inouïes. J'ai écrit un livre, en mai, à Cuba. Je me rappelle de la belle Ibis. Et bien sûr… Deux jours avant mon départ et dès mon retour, les grandes promenades fulgurantes avec celle que… J'arrive toujours pas à croire qu'elle n'est pas ici à mes côtés. Chaque fois devant la splendeur, le délice, la douceur, le parfum, l'aventure, je pleure bêtement. Je commence à envisager de ne jamais comprendre ce venimeux coup du destin. Pour dire vrai, c'est insupportable, et les progrès sont très lents. C'est un deuil de plus, qui s'est imposé, et pour lequel je n'avais pas trop la force ou la disposition. Je suis une ombre, depuis. Je reste confus, éparpillé, hagard. J'avance sur la route. Que faire de plus.
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Je passe des heures à imaginer ce qu'a dû être le trip de Nathalie et Xavier, mes amis de Cognac qui ont fait le tour du monde à vélo sur quatre années et demi. J'ai passé des heures à lire leurs aventures… Nous sommes rapidement devenus proches et ils sont pour moi une source d'inspiration et de courage, notamment au plan de la suite de ma vie, que j'envisage de plus en plus hors circuit. Au fil des années, ils ont accumulé une grande sagesse de la route et plusieurs de leurs phrases me reviennent constamment en tête. Ils m'ont aussi fait cadeau d'un bidon de fabuleux Cognac dont je me sers comme d'une potion magique pour les moments de cafard, qui sont nombreux de ce temps-ci, avec le temps froid, la pluie et les vents contraires, humains et éoliens.
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Je suis déboussolé.
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Je me sens lentement sombrer dans la démence, mais c'est peut-être plutôt la véritable sanité à laquelle je suis en train d'accéder, kilomètre par kilomètre. On dirait que je m'éloigne de plus en plus de certaines aliénations et que tout un pan de ma vie précédente m'apparaît comme inacceptable, intolérable, invivable. Je suis révolté par ma docilité historique. Je crois que c'est un crime de laisser la vie se couvrir de grisaille. Je crois que le bonheur n'est pas un luxe, mais une nécessité de base, que la vie devrait être belle. Je crois que la vie devrait être comme la flamme, dansante, chatoyante, miroitante. À quoi bon, sinon ?
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Je songe beaucoup à ma vie, bien sûr. Je ne la comprends pas, cette histoire. Je la trouve mal écrite. Reste à voir ce que je vais faire d'ici la fin de toutes ces puissances que j'ai accumulé, de tous ces trucs que j'ai appris, de tous ces sortilèges que je sais, de ces poignées d'étoiles dans mes poches et de toutes ces richesses qui ne valent magnifiquement rien. Pourrais-je échanger une de mes mille chansons mortes pour un croissant de la veille ? Et que valent toutes ces notes, toutes ces caresses et tous ces mots s'ils ne sont pas parvenus à m'apaiser ? Je connais la réponse. Je sais que c'est en faisant que je suis heureux. En œuvrant. En apprenant. En aimant. Tant de choses conspirent à nous empêcher de conjurer ces trois simples magies. Tout ce qui bloque devra être contourné, repoussé, ou éliminé.
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Mes mains me font si mal. Je vais devoir inventer quelque chose pour réduire la souffrance que m'inflige mon guidon. Pourtant, j'y travaille… J'ai 5 positions possibles, j'ai coussiné du mieux que j'ai pu, j'ai remonté le poteau. J'ai des idées. Ça viendra.
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Je m'ennuie déjà de mes nombreux amis de Cognac et aussi de la fantastique inspiration qui m'a transporté pendant trois mois parmi eux.
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Le long de la piste déserte sous la pluie l'autre jour, entendu des tirs d'armes automatiques et semi-automatiques venant d'un sous-bois. Je m'attendais tout à fait à recevoir du plomb, mais je n'ai pas accéléré. Je n'ai pas non plus cherché à voir quoi que ce soit, en vérité, je m'en câlissais et Rosie aussi.
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Le rouge est partout. Le rouge est fabuleux. Le vin est vraiment la plus glorieuse technologie de l'histoire de l'humanité. C'est véritablement le cœur de la terre qu'on reprend en nous.
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Je suis à demi Narcisse et à demi Goldmund.
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Fumé mon dernier Panetela sous le ciel fâché. Les platanes se dandinaient dans la bourrasque. J'ai tiré sur la saveur jusqu'à me brûler les doigts. Puis j'ai jeté le corps de feuilles et de cendres sur la terre girondine où les merveilleuses essences nées à Pinar del Rio, la meilleure terre à tabac du monde, se mélangeront à celles du fameux terreau du Médoc. Ici pousseront un jour deux ou trois raisins impossibles.
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Je n'ai pas touché à la mer depuis Royan. Il fait mauvais. J'ai hâte. Je suis ici pour ça, je crois.
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À Andernos j'ai trouvé un cœur de pierre. Un petit caillou doré tout froid dans ma paume. Pourtant, il gisait en plein soleil, au milieu de la piste cyclable. J'ai trouvé bien étrange qu'il parvienne à rester glacé ainsi malgré les rayons de lumière chaude qui avaient tout réchauffé autour. Évidemment que je l'ai gardé. Quelques grammes de plus ou de moins… J'en sue tellement, du poids, de toute façon. Je vais peut-être le polir, le vernir, chais pas… Je vais m'en occuper, du petit cœur de pierre. Je finirai bien par le réchauffer.
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Je souris tout plein en évoquant la petite star qui s'en vient rouler à mes côtés, comme tombée du ciel…
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Mon amour va vers ces gens croisés au hasard et dont les mots ou la gentillesse font office d'éclaircies en ce printemps déguisé en automne maussade. Un hôtelier qui passe son temps à peindre des tableaux et à apprendre des morceaux difficiles à la guitare classique, des gestionnaires de camping qui insistent pour changer mon pneu mal en point, ce monsieur qui me fait cadeau d'un petit éléphant de plastique, « pour vous tenir compagnie », ce cuisinier qui a vécu partout dans le monde et a ramené des tas de recettes rebelles dans son Médoc si traditionnel. La visite inattendue d'une amie de la vieille Ville-Marie, comme un puits dans le désert, vraiment… Le goût de l'eau de Soulac, qui évoque celle de Chateauguay, où vivaient mes grands-parents et où je passais du temps l'été.
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Les oiseaux par milliers, partout, ici. Le son apaisant de leurs conversations. Les coqs, les moutons, les chevaux. Magnifiques. Qu'était donc la Terre avant ?
—© Éric McComber

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