Ph., G.AdC
Entre Marseille & Toulouse, 10 juin 2012
13h30. J’ai demandé, hier soir, à Rachida de lire la première page de ce livre. La page du 20 août 1998. C’était dans le lit de notre chambre. Dans un hôtel du Vieux-Port. C’était drôle mes mots dans la matière de sa voix. Sa voix d’Algérienne à l’accent marseillais. Rachida disait qu’elle avait du mal. À cause des phrases trop courtes. Je souriais quand elle écorchait une syllabe. Ses lèvres, son souffle, sa salive. Il faisait plus clair, soudain, dans mon livre. Clair de voix. Nous avons refait l’amour. Après cette lecture. J’aimerais, quand j’écris, caresser les mots avec la même douceur que Rachida quand elle lèche ma peau. La même sensualité. C’est sa formule. Sa façon de faire la femme. Il m’a semblé que, au moment de finir, ce livre commençait enfin de commencer. Dans la bouche de sa lectrice amoureuse. Rachida disait des mots trouvés quinze ans plus tôt. Dans une autre vie, un autre temps. C’est si long, les livres. Si compliqué. Il y a une telle errance dans les mots. Un tel détour. C’est si soudain, l’écriture. Si fulgurant. C’est un tel rapt. Une telle pulsion. Un livre vient. Brutalement. Il faut dire oui. Tout entier. C’est comme un amour. Comme rien d’autre. Ça rentre dans votre vie par effraction. Un livre. Un jour, c’est là. Comme Rachida dans cette chambre d’hôtel. C’est un changement. Un basculement. On est un autre. L’écrivain de ce livre ; l’amant de cette femme.
Yves Charnet, La tristesse durera toujours, Éditions de La Table Ronde, 2013, pp. 133-134.
■ Yves Charnet
sur Terres de femmes ▼
→ Difficile séjour
→ 14 juillet 1997 | Yves Charnet, Notes fantômes (inédit)
■ Voir aussi ▼
→ (sur remue.net) Yves Charnet, La tristesse durera toujours, une lecture de Sébastien Rongier
→ (sur le site des Éditions de La Table Ronde) la fiche de l'éditeur sur La tristesse durera toujours (+ extraits)
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