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Un roman d'une âpre beauté

Publié le 14 juillet 2013 par Jlk

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Une sombre merveille, sous le titre de La Lune assassinée,  marque l'entrée en littérature de Damien Murith.

Nul doute que ce joyau d'écriture et d'émotion constituera un moment fort de la rentrée littéraire romande. En à peine plus de cent pages, mais d'une intensité dramatique et d'une densité poétique rares, ce roman cristallise une tragédie domestique qu'on pourrait dire hors du temps et des lieux alors même que le passage des saisons y est fortement scandé, dans un arrière-pays où cohabitent paysans et ouvriers.

Le drame se joue dans un village aux traits immédiatement accusés en prologue par une seule longue phrase expressionniste soudant les plus sinistres images et le présentant "comme une teigne, avec ses maisons basses que mangent les vents", au milieu d'une vaste plaine s'étendant à l'infini "comme les reste d'une promesse", tandis que ses gens apparaissent "usés, râpés, cassés, la figure creuse, la douleur muette", bref de quoi faire fuir l'étranger de passage, qui va s'y attarder cependant autant que le lecteur parce que la vie y pulse et y palpite contre toute attente.

Le plus étonnant en effet, dans ce récit en deux parties constituées chacune d'une quarantaine de séquences narratives parfois très brèves (jusqu'à deux lignes sur une page), c'est qu'y cohabitent la plus noire dureté et quelle sensualité partagée entre de splendides évocations de la nature et des scènes à caractère sexuel à la fois explicites et sans complaisance.

 Le drame relève à la fois des passions humaines et de la fatalité. Il survient dans la configuration familiale conflictuelle  par excellence, opposant, autour du fils, la mère et la jeune bru. Pierre et Césarine sont mariés depuis six ans. L'homme travaille à l'usine voisine. La Vieille hait "la petite", en laquelle elle voit une créature du diable depuis la mort de l'enfant du jeune couple, mais n'en disons pas plus, sinon qu'au triangle familial s'ajoute la pièce rapportée de "la garce" à la très entêtante présence érotique.  

Ce roman pourrait se passer dans nos contrées ou  à peu près n'importe où, au XXe siècle ou aujourd'hui. À vrai dire, l'essentiel de La Lune assassinée déjoue ce genre de repères même si l'on pense, littérairement parlant, à l'âpreté terrienne des premiers romans de Ramuz (Aline et Jean-Luc persécuté, plus précisément), aux nouvelles acides de Campagnes de Louis Calaferte, aux récits véristes siciliens de Giovanni Verga ou aux plongées en Irlande profonde de William Trevor ou John Mc Gahern.

Jouant sur l'ellipse poétique avec un art sans faille, Damien Murith évite les écueils du minimalisme par son usage détonant des mots et des formules, et le caractère éminemment concret de tous les éléments du récit. Tant la nature que les changements de saison, l'orage menaçant qui presse le travail aux champs, le curé qui bénit la vieille haineuse parce qu'elle le gave de bons morceaux, les murmures aux fenêtres, les femmes à l'éternel lavoir, le feu d'enfer de l'usine , un couteau de poche à l'usage peut-être double, les bêtes crevant dans l'incendie, l'hiver s'étirant entre ennui et commérages, la sécheresse fauteuse de culpabilité appelant un bouc émissaire, l'apaisante jovialité d'une belle-soeur de passage, les douceurs du sexe et le délire de la possession: tous ces éléments de la réalité sont fondus en unité et rendus dans une langue d'une haute précision et d'une constante justesse musicale. Une séquence rend merveilleusement l'harmonie possibleen ce bas monde, irradiée par la présence d'un enfant, hélas passagère. D'autres moments saisissent par leur apparente "obscurité", où l'élision participe de la poésie. 

Si chaque mot de ce roman compte, ses images et son climat portent également vers la représentation plastique et picturale. On pense au Ramuz "cinéaste" de Jean-Luc persécuté en voyant Césarine suivre, de nuit, son homme jusqu'à la maison de la "garce" enfin identifiée, comme Jean-Luc marchant dans la neige sur les traces de sa femme adultère. On pense aussi aux gravures de Félix Vallotton ou aux dessins de Louis Soutter en lisant le roman à l'eau-forte de Damien Murith, dont il faut saluer enfin la subtilité de sa modulation dans le temps, au fil d'une construction qui va vers le dévoilement et l'enchaînement du malheur chevillé aux homme tandis que la plaine, "comme un pays sans fin, avec son ciel de faïence", reste  lumineuse autour du village "morne et noir, comme un insecte recroquevillé"...

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Damien Murith. La Lune assassinée. L'Age d'Homme, 109p. En librairie ces prochains jours.  


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