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La révérence de Cocteau

Publié le 22 juillet 2013 par Jlk

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Variations cingriesques (4)

En date du 4 août 1954, à Saint-Jean Cap Ferrat, Jean Cocteau écrivait ceci dans son Journal: "Ce matin j'avais un terrible malaise inexplicable. Une lettre de Jean Denoël m'annonce la mort de Charles-Albert Cingria". Et le même jour Cocteau écrivait à Jean Paulhan, ami et premier défenseur de Cingria à la N.R.F.: "J'étais en train d'écrire et je reçois sur la tête la mort de Colette et de Charles-Albert. Je ne peux continuer et je vous embrasse".

L'émotion perceptible de Cocteau pourrait étonner qui se rappelle la férocité de Cingria à son égard, une trentaine d'années plus tôt, mais le temps avait passé, les deux écrivains avaient également évolué, s'étaient rencontrés et appréciés, notamment par le truchement de Max Jacob et Florence Gould, et Charles-Albert avait acquis chez Gallimard, en tout cas dans la baronnie de Jean Paulhan, un statut de grand écrivain dont témoigne l'éclatante Couronne de Charles-Albert Cingria publiée par la Nouvelle Revue Française en mars 1955, rassemblant les signatures prestigieuses de Claudel, Jouhandeau, Mandiargues, Stravinsky, etc.

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Et voici ce qu'y écrivait Jean Cocteau sous le titre d'  Un feu Saint-Elme: "Charles-Albert Cingria était un feu Saint-Elme, une phosphorescence qui court. Son admirable langue ne me représentait pas un style, mais une démarche. Je n'imagine rien de plus libre dans les promenades mystérieuses de l'esprit. Et le coeur ! Il l'avait grave et ne le prodiguait pas. S'il le donnait, il le donnait et ce don ne protégeait pas de sa malice qui était extrême et dont il visait sa victime en fermant un oeil.

Max Jacob m'écrivait un jour: Charles-Albert joue de l'harmonium dans la chapelle et il pédale aux pentes. Je le voyais pédaler, se promener "en harmonium" à travers la musique, touriste infatigable des routes inconnues".

À propos de Jean Cocteau, on peut découvrir ces jours un livre merveilleusement pertinent et pénétrant dans son approche de la littérature, des écrivains et des êtres, intitulé Proust contre Cocteau, signé Claude Arnaud et paru chez Grasset.

À Claude Arnaud on devait déjà la bio référentielle de Jean Cocteau (Gallimard, 2003), et c'est donc en connaisseur parfait qu'il détaille, après deux portraits admirables, les relations entretenues à travers les années par les deux chers amis-rivaux: deux génies littéraires d'inégale ampleur certes, mais comparables à de multiples égards (les mères, le mimétisme social, le révélateur de la souffrance, notamment) et rejouant à leur façon la fable du lièvre et de la tortue, avec un Proust qui cannibalise littérairement son cadet après avoir piétiné dans son ombre étincelante, et un Cocteau longtemps victime de son brillant et de sa générosité, dont l'oeuvre a fini par rejoindre celle de Proust à la Pléiade...


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