Magazine Journal intime

Ce que je sais d'elle...d'un simple regard (séquence mélo)

Publié le 03 mai 2008 par Corcky


Tu vas rire, mais je me sens horriblement mal.

Je pense que c'est le célibat forcé.

Sans blague.

Ce matin, à six heures, elle est partie dans le soleil levant, avec son gros sac et son billet d'avion (bon, en fait, point de soleil levant, juste une brume de merde et deux pigeons déjà prêts à chier sur mon trottoir).

N'ayant pas réussi à me rendormir, je me suis plantée sur la terrasse, telle un poireau semi-moisi, et j'ai regardé le jour se lever.

Je t'ai dit que dans mon quartier, y'a un employé municipal préposé à l'entretien de la voirie (en clair: un mec qui balaye) qui se trimballe systématiquement avec une sono portative fixée sur une armature de caddie?Tous les matins, il met sa musique à fond pendant qu'il balaie les feuilles mortes (qui se ramassent à la pelle) et les canettes de 8.6 abandonnées par mes hébergés (qui se ramassent à la pelleteuse). Tous les matins, on a droit à un style différent.Des fois, il met du raï, d'autres fois, il a envie de salsa, quand il se lache il met de la danse music et quand il a le blues, il écoute du jazz manouche.

J'adore ce type.

Ce matin, vers sept heures, c'est David Bowie qui m'a secoué les esgourdes et adouci le poil (que j'avais fort hérissé, rapport au départ de ma femme).

Notre gars nettoyait la rue en contrebas au son de Space Oddity.

Putain la claque.

D'abord parce que Space Oddity, c'est le premier morceau que j'ai appris à jouer à la guitare, que c'est ma pote Denise qui me l'a montré à l'époque où on formait notre groupe à la con, et que ma pote Denise, elle s'est cassé le cou dans un virage sur sa moto en 1992, ce qui l'a tuée net et nous a bien fait chialer (encore aujourd'hui, c'est bizarre, mais pas un jour ne passe sans que je pense à elle).

Ensuite, parce que justement, moi, je me sentais ce matin dans la peau du Major Tom, en train de flotter bizarrement pendant que tout avait l'air différent autour de moi.

T'as remarqué que quand je parle de ma femme, je dis souvent "ma chère moitié", histoire de rigoler, parce que c'est un vocabulaire complètement suranné et surtout vachement conventionnel.

Eh ben, depuis ce matin, je me sens un peu dans la peau d'un rescapé de la Grande Guerre a qui on aurait coupé un bras ou une jambe (qui a dit "les couilles"? Qu'il se dénonce).

Je me sens...comment te dire?Amputée, ouais. Limite vide.

C'est tellement facile, quand tu vis avec quelqu'un depuis un certain temps, de te couler dans un quotidien presque routinier, de ronronner bien peinard du matin au soir.Tu te lèves, l'autre est là. Tu vas te coucher, l'autre est encore là.Tu t'habitues, en somme.L'Autre devient aussi naturel que l'air que tu respires, parfois il te le pompe même carrément, ton air.

Tu as tendance à oublier un peu facilement qu'il n'y a pas si longtemps, quand tu voyais les photos d'une mini-Elle accrochées au mur de ses parents, avec le petit trou entre ses dents de môme, les traces de ses premières années, les auto-collants "Panini", les quelques Playmobils rescapés, ses croquis d'ado, les peluches mangées aux mites dans son ancienne chambre, ses livres de chevet...quand tu voyais tout ça, tu devenais infoutue de contrôler la putain d'émotion qui te sautait à la gorge.Ses Oui-Oui, ses Contes de Grimm, ses posters de Pulp Fiction et de James Dean, sa vieille couette, ses premiers livres de droit, étaient autant de petits soldats du sentiment qui partaient à l'assaut de ton coeur d'artichaut et prennaient  inmanquablement ta forteresse en une blitzkrieg à l'issue jouée d'avance.Et les photos, toutes les photos (surtout celles qu'elle aurait voulu cacher, comme sa bouille de première communiante au brushing "Feux de l'amour"), étaient autant de ricochets dans ta petite mare personnelle.

La routine, con, la routine...qui est passée par là, un p'tit peu.

Eh ben il suffit d'un rien pour te rebalancer tout ça dans ta face.Une petite semaine d'absence.

Et tout s'écroule, bêtement, même si tu te raisonnes, même si tu t'accroches à ce simple fait aussi imparable qu'un "casse-toi, pôv' con" présidentiel: ça n'est jamais qu'une semaine, bordel, sept petits jours de rien du tout, pas la mer à boire, nom de Dieu!

Ouais.Mais une semaine sans son odeur.Une semaine sans sa voix.Sans sa foutue présence, le truc qui fait que jamais tu ne t'emmerdes, jamais tu te résignes, jamais tu ne touches le fond, même quand t'aurais bien envie de te laisser un peu couler parce que c'est tentant parfois, comme dirait le Maximum Kouette, de se sentir attiré par le fond et de trouver ça presque bon...

Cette pouffiasse me manque déjà.Presque physiquement.Comme l'état de manque d'un drogué qui tuerait père et mère pour avoir son shoot. Du coup, ce matin, quand le balayeur est passé devant ma haie, j'ai eu une impulsion pas du tout contrôlée, qui m'a laissée toute conne: je l'ai interpelé, mon café à la main.

- Bonjour...c'est gentil de mettre David Bowie...- Je sais pas si c'est "gentil" ou non, en fait je m'en fous un peu, mais tant mieux si ça vous plaît.- Si, si, j'aime bien votre musique, ça met un peu d'ambiance.- Dans ce quartier de vieux, c'est rien de le dire.- Vous voulez un café?- ...- Non mais il est déjà fait, hein, je disais ça comme ça...- Ben pourquoi pas...c'est sympa.

On s'est retrouvés chacun d'un côté de la haie, moi avec mon mug Marge Simpson et lui avec celui de Poupon la Peste (un truc à chier en forme de dauphin, fais-moi penser à le balancer discrètement dans le vide-ordures, tu veux bien?).

On ne s'est pas parlé, aussi con que ça puisse paraître. Il a fini son café, m'a rendu mon mug, m'a remerciée et puis il est retourné à son balai et à sa sono (qui avait enchaîné avec Rebel Rebel, d'où j'en conclus que ce mec est fan de Bowie).

Je me suis pas spécialement sentie mieux, tu noteras.

Mais quand même.





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