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Credo quia absurdum

Publié le 01 octobre 2013 par Numero712 @No_712

Je crois parce que c’est absurde.

Voici une phrase latine entendue de trop nombreuses fois… Je crois que c’est là l’énoncé dogmatique par excellence des enseignants de philosophie à propos, sinon du christianisme, du moins du catholicisme.

Cette phrase vise à « discréditer » la capacité cognitive des chrétiens ; en effet, il semble en première analyse tellement « absurde » qu’une divinité se soit faite homme pour souffrir, pour mourir et finalement pour ressusciter devant une poignée de témoins. C’est en effet d’une inefficacité déplorable… Un dieu ferait mieux pour avoir des adeptes de se montrer dans toute sa puissance. Cette histoire à laquelle les chrétiens croient est vraiment « absurde » : le dieu d’un monothéisme qui serait créateur de tout l’univers, de « ce qu’il y a » essaierait-il de nous faire croire qu’il a été mis à mort sans aucun « supporter » à ses côtés et qu’il serait ressuscité devant quelques témoins seulement.

C’est effectivement voué à l’échec tout ça…

Et pourtant, ça fait deux mille  2000 ans qu’il y a des gens qui y crois, qui répètent tous les dimanches « Credo in unum Deum… » Et pourtant, depuis les apparitions du ressuscité, il y a 2000 ans, dans une colonie au fin fond de l’empire romain, devant quelques personnes, il y a à présent un peu plus de deux milliard de personnes (Source sur le site de La Croix – ou source dans le document sité du Pew Research Center) qui se disent témoin du Christ. Voilà qui a de quoi interroger. Mais la foi chrétienne est-elle si « absurde » que cela ? N’y a t-il pas au contraire une logique interne qu’il faut regarder de l’intérieure et qui alors s’éclaire tout naturellement ? Il me semble que si… et je vais essayer en quelques lignes (toujours pour ne pas dérouter les lecteurs « profanes ») de présenter un des traits de cette cohérence qui me semble infirmer la vision d’une foi « absurde » ou du moins ouvrir la voie à un débat sur le sujet. Je vais avoir besoin, dans ma démonstration, d’un postulat que je reprends à l’ouverture du livre I de l’Ethique de Spinoza :

I. J’entends par cause de soi ce dont l’essence enveloppe l’existence, ou ce dont  la nature ne peut être conçue que comme existante.
II. Une chose est dite finie en son genre quand elle peut être bornée par une autre chose de même nature. Par exemple, un corps est dit chose finie, parce que nous concevons toujours un corps plus grand ; de même, une pensée est bornée par une autre pensée ; mais le corps n’est pas borné par la pensée, ni la pensée par le corps.
III. J’entends par substance ce qui est en soi et est conçu par soi, c’est-à-dire ce dont le concept peut être formé sans avoir besoin du concept d’une autre chose.
IV. J’entends par attribut ce que la raison conçoit dans la substance comme constituant son essence.
V. J’entends par mode les affections de la substance, ou ce qui est dans autre chose et est conçu par cette même chose.
VI. J’entends par Dieu un être absolument infini, c’est-à-dire une substance constituée par une infinité d’attributs dont chacun exprime une essence éternelle et infinie.

Pour mon postulat je vais aller un peu plus loin in concreto que ce qu’indique Spinoza dans ses définitions, je vais vous demander d’accepter l’axiome que Dieu est créateur « de l’univers visible et invisible » pour reprendre l’expression issue du Credo : « Credo in unum Deum, […] factorem […] visibilium omnium et invisibilium. »

Sur le fondement de cette double prémisse (définition de Dieu selon Spinoza et axiome d’un Dieu « créateur »), il est possible d’aller plus loin dans l’examen de la « logique » propre à la foi chrétienne. Dans la foi Chrétienne, Dieu se livre à la connaissance de l’homme selon une triple modalité : par la création, par l’incarnation, par l’Esprit Saint. Enfin, le Dieu des chrétiens est amour et il aspire à ce que l’homme, sa créature, vive dans une communion d’amour. On conçoit assez clairement sur ces bases que l’aboutissement de l’amour, c’est la communion avec Dieu lui-même en temps que substance infinie dont l’un des attributs est justement l’amour. Mais attention, pour qu’il y ait possibilité d’amour, il faut qu’il y ait liberté. Et c’est sur ces deux notions d’amour et de liberté que se situe l’originalité (l’absurdité ?) de la foi chrétienne.

Je vous propose un bref détour par une discussion entre deux dieux dans la pièce de théâtre, Amphitryon 38 :

MERCURE : Mais enfin que compter vous faire avec la part d’Alcmène qui n’est pas Amphitryon ?
JUPITER : L’étreindre, la féconder !
MERCURE : Mais par quelle entreprise ? […] La principale difficulté, avec les femmes honnêtes, n’est pas de les séduire, c’est de les amener dans des endroits clos. Leur vertu est faite de portes entrouvertes.
JUPITER : Quel est ton plan ?
MERCURE : Plan humain ou plan divin ?
JUPITER : Et quelle serait la différence ?
MERCURE : Plan divin : l’élever jusqu’à nous, l’étendre sur des nuées, lui laisser reprendre, après quelques instants, lourde d’un héros, sa pesanteur.
JUPITER : Je manquerais ainsi le plus beau moment de l’amour d’une femme.
MERCURE : Il y en a plusieurs ? Lequel ?
JUPITER : Le consentement. 

Ainsi s’expriment les dieux dans la première scène d’Amphitryon 38 de Jean Giraudoux. Si j’ai cité cet extrait de la pièce c’est parce qu’il met en évidence un élément qui me semble essentiel dans le cas présent : la notion de consentement. L’amour n’est possible que dans la libre expression d’un consentement. On peut forcer quelqu’un à faire beaucoup de choses, mais pas à aimer. L’amour ne peut être que libre. Partant de là, il est à considérer que le « plan de Dieu » (i.e. la logique qui sous tend la foi chrétienne), se base sur cette notion essentielle de liberté humaine. Pour nous faire participer à son amour, Dieu tient à nous laisser libre, libre d’accepter son dessin d’amour ou libre de le refuser. Dans la perception du mystère chrétien, Dieu fait le premier pas vers nous, pour nous inviter à l’amour, puis il nous laisse libre. Dieu fait le premier pas à travers la création du monde. Dans son œuvre, il est possible de percevoir des signes (voir par exemple l’excellente Bande dessinée Les indices pensables de Brunor) de l’intelligence divine. La magistrale Encyclique Fides et ratio de Jean-Paul II présente clairement cette démarche de l’intelligence qui peut s’orienter vers Dieu à partir de l’observation de la nature. La création est donc la première parole de Dieu ; elle nous invite déjà à la contemplation de son œuvre et, à partir de là, à la contemplation du créateur. C’est à notre intelligence qu’est confiée « l’enquête »…

Mais Dieu fait un pas de plus vers les hommes à travers l’Esprit Saint qui « inspira » les prophètes. Il donna les premiers contours de sa loi d’amour, en nouant ainsi une alliance avec « son Peuple ». Ce furent des « indices » encore un peu plus précis pour nous parler d’amour à travers cette alliance justement qu’il noue avec son Peuple. Toujours de manière discrète. Cette discrétion est symbolisée, par exemple, par le fait que Dieu ne montre jamais sa face à Moïse. Dieu ne montre jamais se divinité pour ne pas nous « écraser » de son infinitude. Face à l’infinitude de Dieu, l’homme serait alors comme « submergé » ; la relation serait alors biaisée par une sorte de « soumission ». Pour éviter cela, Dieu reste en retrait et ne s’impose jamais à nous. Il y a toujours un discernement nécessaire pour s’approcher de Dieu, il y a toujours une démarche volontaire.

Ensuite Dieu s’est fait homme lui-même. Et c’est là en générale où l’on perd notre interlocuteur. Il s’est fait homme pour rappeler l’homme à lui, pour être comme une petite graine dans la nature humaine et lui révéler ce qu’elle a de divin. En devenant homme, Dieu ne s’abaisse pas au niveau de l’homme, il élève l’homme à la dignité de Dieu. Il rend possible un échange directe entre Dieu et nous. Dieu qui est pure transcendance, nous pouvons, chacun d’entre nous, qui ne semblons être que contingence (être sur terre fortuitement), entrer dans une relation directe et « intime » avec lui. Cette insertion de la divinité dans notre humanité conduit à une révolution « copernicienne » de la conception d’un Dieu compris comme « un être absolument infini, c’est-à-dire une substance constituée par une infinité d’attributs dont chacun exprime une essence éternelle et infinie. » Dieu devient accessible, présent.

Cette présence éternellement à nos côtés est possible justement parce que Dieu a vécu notre condition humaine depuis sa naissance jusqu’à sa mort. Il a élevé toute notre vie à une possible relation à Dieu (jusque dans les actes quotidiens qui sont constitutifs de notre condition humaine).

Dans le souci de respecter notre libre choix, de manière à ce que nous puissions choisir de consentir à l’aimer ou de refuser d’accueillir son amour, Dieu a confié cela à quelques disciples. Pas des héros, non. Des braves gens bien de leurs temps. Avec leurs qualités (leurs talents), mais aussi et surtout avec leurs défauts. Et de témoins en témoins on se raconte ces histoires. Comment Dieu s’est adressé à son peuple. Comment il nous aime, comment il nous invite à aimer.

Voilà donc ce qui semble tellement absurde : que Dieu nous laisse libre !

Amour et liberté, deux notions qui, à force d’avoir été tant niée, semblent constituer une absurdité sans nom et semblent constituer un discrédit total sur la possibilité même d’une foi en un Dieu qui ouvre grand les bras pour accueillir l’homme, et le laisser libre.

Cet amour de Dieu, « irradie » tout amour. Il n’est donc pas « fermé sur Dieu », mais ouvert sur le monde selon la logique, « plus j’aime Dieu, plus j’aime mon prochain ». Pour parler en termes mathématiques, j’ai bien envie de conclure que l’amour de Dieu est une mise en facteur pour l’ensemble des relations humaine.

Un autre point de ce qui peut sembler « absurde », c’est la crucifixion. Pourquoi donc Dieu se laisserait-il faire à mourir dans d’atroces souffrances comme un condamné de droit commun lambda ? Ce point renvoie à ce que l’on appelle « l’économie du salut ». Un sujet d’un prochain billet à part entière ! Ce sera pour un prochain billet…


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