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Marmande Francis, Faites les fêtes. Compte-rendu

Publié le 04 octobre 2013 par Antropologia

Paris, Lignes, 2012. 253 p.

       

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    Dans son dernier livre, Francis Marmande met sur l’atelier un thème classique de l’anthropologie d’après 68, la fête, question sur laquelle ont travaillé Gaignebet, Fabre, Velazco et beaucoup d’autres, en particulier des historiens. Ce dernier livre ignore superbement ces travaux – il invoque de loin Mauss ou Malinowski – et reprend le sujet à 0.

   Surtout il utilise une singulière poétique puisque le livre se compose d’une mosaïque de « textes courts », des quasi-dictées, des exemplas, « historiettes présentées comme authentiques, utilisées par les prédicateurs dans leurs sermons pour édifier les fidèles et les conduire dans la voie du salut » (J-C Schmitt). Prenons un exemple : « Souvent j’ai pensé que mon père faisait critique d’enterrements comme j’ai pu faire critique de jazz ou d’autre chose ». Puis Marmande décrit le « critique » en action, ses activités et ses comptes-rendus pour conclure, la chute : « Je ne pense pas qu’il ait lu Kant, nous avons oublié d’en parler. Il est trop tard, ce soir. Il le réinventait ». Cet exempla – et sa conclusion terminent le chapitre et le suivant commence par une autre facette de la fête, complètement différente. Chacun rassemble un nombre inégal de récits d’une vingtaine de lignes mais aucun n’est numéroté, ni muni d’un titre, ce qui interdit toute table des matières.

On peut alors imaginer comment travaille Marmande : un peu comme Barthes, il met sur fiches des « textes courts » (un peu comme les chroniques qu’antropologiabordeaux publie chaque semaine) puis les assemble pour faire un ouvrage mais sans aucun ordre apparent, même pas l’alphabétique.

D’où vient alors que le lecteur est pris par le livre, reste toujours stimulé alors qu’il n’est retenu par aucune « progression dramatique », aucun suspense, aucune problématique explicite ? Pour contourner ces grossières techniques académiques, Marmande multiplie les procédés les plus divers.

En premier lieu, un même sujet – la fête – est traité par une majorité, mais non la totalité, des « textes courts », des exemplas.

Ensuite, il multiplie les liens entre eux, p. 45 « Pour revenir », p. 140 « Je m’expliquerai plus tard. »…

Puis il insiste lourdement sur l’ « effet j’y étais » de Geertz et Clifford pour affirmer la qualité des informations, la véracité des propos et justifier des jeux de langage : « J’y fais moins la fête que les fêtes » p. 22.

Comment alors, dans cette succession hétéroclite, arrêter le chapitre ? Chacun se termine par une sentence énigmatique : « Tout le mystère est là » p.80. « Ce qui permet de boire » p. 65, « Concordance des temps (1932-2012) » p. 199 … qui conduit le lecteur à espérer trouver la solution dans le chapitre suivant, en vain.

Cette singulière poétique provient de Bataille et pour s’en convaincre, il suffit de lire le livre précédent de Marmande, Le pur bonheur qui lui est consacré, à la page 57 : « L’écriture se produit et commence là où le texte s’arrête. Là où le livre déborde. Son activité de correction sur épreuve, de rajout constant, d’instabilité déréglée des manuscrits, de tout ce qui donne à ces œuvres complètes » leur incomplétude, leur inachèvement constitutif, reste le point de focalisation, pas du tout virtuel, bien matériel, matérialiste, de l’opération du désordre, de l’excès, de l’en-plus. »

Si un an après sa publication j’éprouve le besoin de faire le compte-rendu du livre de Marmande, c’est évidemment que je ne le lis que maintenant mais surtout parce qu’il propose des solutions aux questions poétiques que se pose aujourd’hui l’anthropologie. La collection Des mondes ordinaire chez Le Bord de l’eau veut la faire sortir de la monographie et du traité. Les six livres déjà publiés proposent de façon plus ou moins hardie des solutions mais chacun invite à en rechercher d’autres. Marmande  nous y aide. Et puis, il faut à tout prix démentir publiquement son affirmation de la page 70 : « Percés à jour, les ethnologues détestent » L’Afrique fantôme de Michel Leiris. A Bordeaux, nous adorons.

Bernard Traimond



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