Magazine Journal intime

Petite Nature

Publié le 05 mai 2008 par Eric Mccomber









La grosse faille dans mon plan, et je le savais depuis le début, c'était la promenade de deux kilomètres entre la gare et le camping. Finalement, c'était plaisant parce qu'il n'a pas plu. Ma grande sacoche en bandoulière, j'ai marché joyeusement entre les prés, prenant soin de saluer les chvaux qui désormais me connaissent et m'ont agoni de reniflements réprobateurs en constatant l'absence de la petite star à mes côtés. Il en est des chevaux comme du reste de la France, le couple ouvre toutes les portes, et l'homme seul est une monstrueuse anomalie dont se méfient jusqu'aux bestioles aux champs. Y a bien que les moustiques pour m'approcher, depuis que je suis redevenu un rôdeur à l'air louche.
Je suis parvenu au but avant la noirceur, de justesse, et je me suis empressé de monter le campement, évoquant de mémoire l'arc de l'astre du jour de façon à orienter la tente le mieux possible. J'ai la tête vers les pâturages, ce qui me permet de me vautrer à poil sous la toile en lisant mes grosses briques sèches historico-déprimantes. Le matin, la casa est en plein soleil, ce qui me force à sortir, mais surtout, sèche la rosée. Dès quinze heures, les grands pins posent la douceur de leurs ombres sur ma toiture, et l'habitat redevient habitable, jusqu'à la fraîche, qui ne tombe plus que vers les vingt-et-une heures.
Je me lève donc à l'aurore et je chevauche Rosie jusqu'à un quelconque endroit tranquille où je poursuis mes épouvantables lectures. Quand le cœur me lève, je dépose l'ouvrage, je prends la caméra et je me laisse baigner totalement dans la moite quiétude des foisonnements. C'est trop facile, le Sud de la France. Je pointe n'importe où et ça donne un beau cliché. Ensuite je débouche un petit rouge d'ouvrier que je bois doucement en regardant le bassin se vider ou se remplir. Tout en haut, les mystérieux avions blancs épandent leur révoltantes poudres grises à intervalles réguliers, quadrillent et strient et balafrent le ciel de leurs griffes absurdes. Allez savoir, ce qu'ils nous balancent à la gueule…
Le jour décline et Rosie s'impatiente. Elle s'ennuie de ses amis les jouals. Nous rentrons à vitesse minimale, en s'arrêtant partout pour prendre d'autres images. Parfois je note une idée. À la maison Ross retrouve sa vieille clôture envahie de lierre et de créatures agitées, tandis que je sors mon spectaculaire réchaud (gros comme un téléphone) pour démarrer les farfales du jour. Oui, je continue à manger des papillons, à me manger moi, à manger le souvenir de moi dans la bouche de l'étoile filante. Ça finira bien par filer. C'est comme une laine d'argent qui me relie au crépuscule.© Éric McComber

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