Magazine Journal intime

Lucien Jeunesse et le jeu des mille francs

Publié le 05 mai 2008 par Stella

Lucien Jeunesse est mort, il avait 84 ans. Si j’avais l’esprit d’à propos, je dirais qu’avec lui, c’est une partie de ma jeunesse qui s’en va. Mais ce n’est pas exact, c’est plutôt de mon enfance qu’il s’agit. J’apprends aujourd’hui qu’il a été acteur, chanteur de charme et d’opérette. Incroyable. Pour moi, il reste l’inénarrable présentateur du jeu des mille francs, le “jeu des mille” comme disait ma grand-mère.

Tous les midis, elle écoutait France Inter pour les informations et, avant, avec presque autant d’intérêt, sinon davantage, écoutait le jeu des mille francs. Moi, j’étais bien trop petite pour y comprendre quoi que ce soit et n’étais intéressée que par les “ding ding ding” qui s’égrenaient, marquant le temps mais sans le compter, jusqu’à ce que “ding deng dong”, les trois notes fatidiques et finales contraignent le concurrent à donner sa réponse. Tout le monde avait sa chance. Il y avait même la question repêchage, pour les maladroits. Il y avait les “banco ! banco !” que criait la foule, enthousiaste. Je ne vous parle pas des “super ! super !” qui encourageaient le candidat à tenter sa chance pour les mille francs, le prix ultime de ce jeu quotidien. Quand Lucien Jeunesse posait sa question, banco ou super-banco, il avait la voix basse, lente et posée que l’on adopte quand l’heure est grave. Il s’agissait de bien comprendre, de bien réfléchir et de donner la bonne réponse. Quel ton déçu il avait, lorsque le ou la concurrente chutait. Son erreur donnait un lot de consolation… à la personne qui avait posé la question. Je me disais que c’était quand même un drôle de défi. J’aurais bien aimé poser une question. J’aimais la petite angoisse qui étreingnait chaque auditeur au moment des “ding ding ding” et j’imaginais bien qu’elle devait être démultipliée lorsque l’on était l’auteur de la question. Quelle joie éclatait dans la salle lorsque la bonne réponse était donnée. Mille francs, ce n’était pas rien !

Le jeu ne durait qu’un quart d’heure. C’était chaleureux, gentil, modeste et gai. Lucien Jeunesse, qui commençait invariablement par “chers amis, bonjour !” cloturait sa prestation par “à demain, si vous le voulez bien” sauf le samedi où c’était “à lundi, si le coeur vous en dit”, prononcé d’une voix un peu plus attentive.

J’ai toujours rêvé que le jeu des mille francs, qui se déplaçait dans toutes les petites villes de campagne, même les plus inconnues, vienne à Saint Martin. Las, trop petit, trop loin, il fallait prendre le bac… Lucien Jeunesse n’y est jamais venu. Il a pris sa retraite en 1995 et a été remplacé par quelqu’un que je trouve aussi très bien pour ce rôle : Louis Bozon. C’est aujourd’hui le jeu des mille euros, bien entendu. Je ne vois pas comment on aurait pu imaginer de faire le jeu des 152,45 euros. Une question demeure : s’achète-t-on aujourd’hui autant de choses avec mille euros qu’autrefois avec mille francs ? Pas sûr…

Lucien Jeunesse s’en est allé, il ne sera plus là ni demain, ni lundi. Je suis bien triste. Ce qui me console, c’est qu’il va certainement retrouver son micro et ses milliers d’auditrices parmi lesquelles figure, j’en suis sûre, m’a grand-mère, qui l’a précédé de trente ans dans ce mystérieux au-delà…


Retour à La Une de Logo Paperblog