Angela Ahrendts chez Apple: Deux leçons

Gilles Auguste et moi avons publié cette année 'Luxury Talent Management' chez Palgrave Macmillan. Deux des sujets que nous abordons sont les duos Créatif/CEO qui font le succès de certaines marques de luxe (comme Burberry) et les enjeux autour du retail. Il se trouve que ces deux sujets sont au coeur des récents mouvements à la tête de Burberry. Nous vous en proposons ici une analyse.

La presse écrite et internet ont amplement commenté le départ de la Présidente de Burberry pour Apple - pour occuper le poste de VP en charge du réseau de boutiques et du e-commerce. Nous voudrions apporter ici un éclairage complémentaire sur deux sujets qui nous semblent essentiels:

1. Christopher Bailey a été nommé CEO de Burberry - et il cumule cette fonction avec sa fonction actuelle de Directeur de Création (CCO). De nombreux commentateurs s'en sont étonnés et ont émis des doutes sur ce choix 'insolite'. Or ce n'est pas la première fois qu'un tel cumul est mis en place: le plus récent date du début 2013 - lorsque Nicolas Bos, jusqu'alors CCO de Van Cleef & Arpels (et CEO de Van Cleef & Arpels North America), est devenu CEO de la marque de joaillerie en remplacement de Stanislas de Quercize parti diriger Cartier. Il cumule cette fonction avec la direction de création. Nous pensons très intéressant de constater que deux grandes marques parmi les plus créatives ont choisi un nouveau modèle de direction où l'artisan du succès de la marque en prend les rennes. Ceci marque à nos yeux l'importance croissante du design et de la création dans le développement des marques de luxe - avec l'arrivée d'une nouvelle génération de créateurs parfaitement au fait du business et capables de créer des produits qui se vendent très bien. Il importe de noter que l'arrivée de Christopher Bailey à la tête de Burberry a été précédée en mars de la nomination de John Smith comme COO de la marque. Celui-ci n'est pas un étranger: comme membre du Board depuis 2009 il la connait donc parfaitement. Bien plus, venant de la BBC, il connait très bien les medias - rappellons que Christopher Bailey disait récemment: "Burberry is now as much a media-content company as we are a design company because it’s all part of the overall experience".

2. Angela Ahrendts part donc pour Apple pour prendre la responsabilité du réseau de boutiques et du e-commerce. La création des Apple Stores en 2001 a été un des éléments essentiels du nouveau business model d'Apple - trop souvent oublié au profit des produits et de l'innovation design et technologique. Les Apple Stores ont été une véritable révolution dans l'univers du retail en introduisant de larges espaces non-commerciaux, en proposant des produits 'vivants', en faisant du service un élément essentiel du concept. Aujourd'hui plus de 18% des ventes de la marque se font par ce canal et les ventes au mètre carré sont au niveau de celles... des meilleures marques de luxe (46 000 €/m2). Nombre de marques de luxe sont incapables aujourd'hui malgré leurs efforts de proposer une expérience client équivalente à celle d'Apple. Mais ce concept a plus de 10 ans maintenant et il se doit d'évoluer. Dans un entretien récent Tim Kobe, fondateur du studio de design Eight Inc., lequel a développé le concept des Apple Stores avec Steve Jobs, a été très critique sur ceux-ci: "Apple's momentum has slowed down... It's imperative Apple shifts again. They should really refresh [their retail offering] every five years." Il avance à juste titre qu'un concept retail, aussi puissant soit-il, a besoin d'être revisité tous les 5 ans sauf à perdre son avantage. Or le concept des Apple Stores n'a pas changé depuis 10 ans. On peut donc penser qu'une des missions d'Angela Ahrendts sera de le revisiter. Elle a souvent ces derniers temps parlé du futur du retail en expliquant combien les expériences online et offline devaient être "seamless" - Apple a déjà bien avancé sur ce sujet mais bien des progrès restent à faire. On peut raisonnablement penser qu'elle en sera l'artisan.