Magazine Journal intime

Tous les papas ne font pas pipi debout

Publié le 06 mai 2008 par Corcky



Ma fille est décidément formidable.
Voilà quinze mois que je te raconte tout et n'importe quoi, et je viens de me rendre compte que tu ne sais absolument pas comment est née cette petite peste (sauf si tu es déjà venu à la maison, qu'on a pris une bière sur la terrasse et que je t'ai raconté ma vie et mes oeuvres, mais tu n'es pas nombreux sur ce blog à avoir subi cette épreuve).
Ma gosse, j'aurais bien voulu qu'elle arrive en cigogne, mais c'était pas possible, vu qu'en ce temps-là , y'avait un mouvement de grève chez les Ciconia ciconia (famille des Ciconiidés) à cause de l'augmentation du pouvoir des chats (et donc des risques professionnels y afférant) et que donc la CGT (Confédération des Cigognes Travailleuses) bloquait les livraisons tant qu'on ne leur accordait pas une prime de risque substantielle, histoire de travailler plus pour gagner plus et sans risquer d'y laisser des plumes.
Bref.
Moi j'étais bien embêtée, parce qu'avec ma meuf de l'époque, on avait bien envie de se faire livrer.
Je dois te dire que j'étais pas très chaude, au départ, pour le coup de la maternité.
C'est pas que j'avais pas envie de me faire vomir dessus et de passer des nuits blanches à maudire les gosses jusqu'à la centième génération, hein. A la rigueur, ça me posait pas trop de problèmes.
Non, moi ce qui me bloquait un peu, c'est le coup de l'homoparentalité.
Déjà, la parentalité, ça me semblait un peu compliqué, rapport à Freud et tout ça, le Surmoi et le Moi, la construction psycho-affective, la filiation, les gosses qui deviennent des ados et te traitent de grosse nulle avant de s'enfermer dans leur chambre pour jouer à la Wii ou se mater un film de cul.
Tout ça, c'était déjà pas mal flippant.
Mais quand tu rajoutais le fait qu'on était deux gonzesses, eh ben moi, je nageais en pleine incertitude.
En gros, ce que je me demandais, c'était si mon môme allait en chier des ronds de chapeau.
Déjà, avoir une mère Juive et un peu basanée, ça peut poser problème, t'as qu'à voir ce prof qui vient de prendre trois mois de taule pour avoir traité un élève de "bougnoule" et de  "bamboula".
Je me disais, et si en plus il est moche? Et obèse? Et myope comme sa mère?
T'imagines?
- Bouh, Machin il est gros-heu! Et Machin, il est moche-heu! Et Machin, il a des lunettes-heu! Et Machin, IL A PAS DE PAPA-HEU!
Il aurait plus manqué que Machin se retrouve avec un strabisme divergent et un pied-bot, tiens, et pourquoi pas un bec de lièvre.
Donc, ça me faisait un peu flipper, quand même.
Je dois te dire que dans le dedans très profond de mon moi personnel, j'ai jamais considéré qu'avoir un gosse est un droit absolu. Je sais bien qu'on se reproduit à tire-larigot depuis des millions d'années, je sais bien que Dame Nature a prévu les espèces pour qu'elles se perpétuent, mais bon, je me suis toujours dit qu'il y avait un sacré paquet de connards qui auraient mieux fait de s'abstenir (t'as qu'à visiter des foyers DDASS pour t'en convaincre).
Du coup, tu penses bien que moi, j'étais pas sûre du tout de pouvoir décider comme ça que mon marmot débarquerait dans une société déjà pas franchement portée sur la tolérance, avec en plus une petite particularité, un petit truc spécial, oh, trois fois rien: L'absence de père.
Surtout qu'un papa, ben ça peut servir, quand même, c'est pas juste un cliché de beauf qui emmène son fils jouer au foot, un papa. Moi, malgré tous les contentieux que j'ai avec le mien (et qui n'en a pas?), je serai malheureuse comme les pierres le jour où il viendra à casser sa pipe (même s'il ne fume que le cigare).
Alors je peux te dire qu'avant de me lancer, je m'en suis fadé, des études psycho-machin-truc, des bouquins, des témoignages et même des émissions de télé à la con.
Bon, je te passe les détails, parce que ça me prendrait une semaine et que toi, tu finirais par te barrer sur Au Féminin.com ou sur Monjolicul.fr histoire de changer d'air.
En tout cas, on a finalement décidé de se faire aider par les Belges, qui ne sont pas que les inventeurs du chocolat, de la bande dessinée, des moules-frites et de la zizanie régionaliste et linguistique.
Donc, les Belges ont remplacé les cigognes (qui faisaient grève, tu te souviens?) et je me suis très vite retrouvée dans l'état d'un hippopotame ayant un sérieux problème de Thyroïde (j'aurais pu faire la doublure de l'orque dans Sauvez Willy et t'y aurais vu que du feu).
Quatre ans plus tard (je te la fais courte, encore, sinon tu vas bientôt te retrouver sur le blog de Christine Boutin juste par esprit de revanche), me voilà donc avec une gamine sur les bras.
Une gamine toute mignonne, hein.
La crème des mini-pouffes.
Qui me sort, l'autre jour à table:
- Tu sais, des fois, je pense à mon papa.
Je reviens en arrière deux secondes, pour pas que tu te sentes trop largué: ma môme, je lui ai toujours dit qu'elle avait un père, même si ma copine de l'époque, ça lui plaisait pas trop. Elle aurait préféré qu'on lui en parle pas, mais là-dessus j'ai été intraitable, d'abord parce qu'on a tous un père, merde, et ensuite parce que sinon, on risquait de la voir finir catho intégriste, à manifester derrière le professeur Xavier Dor, convaincue de l'existence de l'Immaculée Conception et collectionnant ces horribles boules à neige à l'effigie de la Vierge Marie.
Et ça, c'était pas possible.
Et d'ailleurs, ma copine de l'époque, elle voulait pas qu'on parle de père, mais elle voulait pas non plus s'occuper de la gamine, en fait. Elle m'avait dit qu'elle voulait un môme, sauf qu'elle avait pas précisé qu'elle le voulait silencieux, immobile, le genre qui ne dérange surtout pas, pour lequel on ne se lève pas la nuit, mais qu'on peut quand même exhiber aux potes quand ils viennent à la maison en clamant fièrement qu'on a bravé des tabous terribles pour devenir un parent comme les autres. Le genre de môme qu'on peut poser dans un coin et ressortir quand on en a envie, le genre de môme
en plastique avec "Made in China" gravé sur le pied gauche, quoi.

Donc, l'autre soir, Poupon la Peste me sort ça, qu'elle pense à son papa.
On en a souvent parlé, de son papa, dès qu'elle a été en âge de me poser la question, en fait, et je lui ai toujours dit que même si on savait pas qui c'est (moi je n'ai entrevu qu'un tube à essai décongelé, ça le fait moyen, comme image paternelle), c'était sûrement un mec très gentil, vu qu'il avait donné sa p'tite graine pour qu'on me la mette dans le ventre (et je le pense sincèrement, parce que le don de sperme, c'est comme le don d'ovocytes, un putain d'acte de générosité gratuite).
En plus (mais ça, je lui dis pas encore), figure-toi que la procédure, là-bas, oblige le mec à signer un document dans lequel il reconnaît savoir et accepter que sa "paillette" (j'adore ce mot) puisse servir à un couple de nanas. Donc pour moi, ce type est, en plus, suffisamment ouvert d'esprit pour ne pas être con.
Ma gosse, elle a tout de suite capté que dans la plupart des cas, dans une famille, y'a un papa et une maman. Ses potes d'école, la télé, le cinéma, tout lui renvoie cette vérité-là, et elle l'a complètement intégrée (même ses monstres en plastique à deux balles sont organisés en familles papa-maman-bébé, des familles de monstres, ah, je suis fière de ma fille, plus tard elle sera digne de la Famille Addams et on se fera des soirées d'enfer avec l'Oncle Fétide et le Cousin Machin, et la Chose fera le disc-jockey).
Mon têtard, quand on en vient à parler de familles et de parents, elle nous sort tranquillement:
- Moi, j'ai une maman et une Val. Et j'ai deux papis et deux mamies. Et j'ai Doudou.
(Le coup de Doudou, on s'en passerait bien, remarque, parce qu'il pue, elle a jamais voulu le laver mais elle nous le fourre sous le nez à la moindre occasion)

Tout ça pour te dire que pour finir, quand la gamine m'a sorti ça, je lui ai demandé:
- Et tu le vois comment, ton papa?
Moi je voulais dire: physiquement, tu l'imagines comment?
Mais elle m'a fait un grand sourire et elle m'a répondu, la tronche toute barbouillée de chocolat:
- Ben...Avec mon coeur.
Ah...putain...
C'est ma fille.


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