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INJUSTICE – LIBYE. La fille d’Abdallah al-Senoussi parle : « J’en appelle à la France »

Publié le 24 octobre 2013 par Menye Alain

Anour al-SenoussiCe jeudi 24 octobre, la Chambre d’accusation du tribunal de Tripoli doit statuer sur le sort judiciaire d’une vingtaine de caciques du régime déchu de Mouammar Kadhafi. A commencer par Seïf al-Islam, fils cadet et héritier présomptif du défunt Guide et Abdallah al-Senoussi, patron des services de renseignement et beau-frère par alliance de ce dernier, arrêté à l’aéroport de Nouakchott (Mauritanie) le 17 mars 2012 en possession d’un faux passeport malien, et extradé vers la Libye le 5 septembre de la même année.  

Parmi les autres inculpés, Al-Baghdadi al-Mahmoudi, le dernier Premier ministre de la « Jamahiriya libyenne arabe populaire et socialiste » ou Abdelati al-Obeidi, ex-chef de la diplomatie en titre. La Chambre peut décider d’abandonner les charges -hypothèse hautement improbable- ou de renvoyer les intéressés devant une juridiction de son choix. Scénario théorique dans le cas de Seif al-Islam, détenu à Zenten (ouest) par une influente milice du cru; laquelle refuse pour l’heure d’envoyer sa prise de guerre à Tripoli et a entrepris de le traduire devant un tribunal local.

Si la Cour pénale internationale a émis dès juin 2011 des mandats d’arrêt pour « crimes contre l’humanité » contre le fils et le beau-frère de Kadhafi, acteurs-clés de la répression sanglante du soulèvement déclenché quatre mois plus tôt à Benghazi (est), leur transfert à La Haye (Pays-Bas), siège de la CPI, semble exclu. D’abord parce que les autorités -ou ce qui en tient lieu- de la Libye nouvelle s’y opposent. Ensuite, a-t-on appris le 11 octobre, parce que la juridiction universelle, invoquant le principe de complémentarité inscrit dans le statut de Rome, traité fondateur de la Cour, estime la justice libyenne apte à juger équitablement les ex-barons du régime honni. Une première historique pour le moins déroutante aux yeux de quiconque connaît l’état du système judiciaire local et l’ampleur du chaos dans lequel le pays a sombré. Voilà pourquoi le Britannique Ben Emmerson, l’un des conseils d’Abdallah al-Senoussi -qui n’a d’ailleurs ni accédé au dossier ni rencontré son client- a décidé d’interjeter appel.

Avocate d’Anoud, la fille de l’ancien maître-espion de la Jamahiriya, Me Samia Maktouf dénonce pour sa part une décision « absurde et injuste ». « Voilà qui revient à signer l’arrêt de mort d’un homme censé bénéficier de la présomption d’innocence, s’insurge-t-elle. Et à donner blanc-seing aux dirigeants d’un pays livré à l’anarchie, où la peine capitale est appliquée, et dans lequel on peut enlever impunément le Premier ministre. »

Allusion au bref kidnapping, le 10 octobre, du chef du gouvernement Ali Zeidan, tiré du lit par un commando prétendant agir sur réquisition du Parquet. « Au vu de l’opacité totale qui prévaut à Tripoli, poursuit Me Maktouf, les chances d’un procès équitable sont nulles. La CPI se rend ainsi complice du désordre judiciaire libyen. »

Une opacité et un désordre dont témoigne le parcours d’Anoud al-Senoussi, jointe dans la nuit du 22 au 23 octobre par L’Express au Caire (Egypte), où elle réside avec sa mère, sa soeur et ses frères. Agée de 22 ans à peine, cette étudiante… en droit a été kidnappée le 2 septembre dernier à sa sortie de la prison d’Aïn Zara, dans la banlieue de Tripoli, où elle venait de purger une peine de dix mois de prison pour détention d’un passeport falsifié. Peine prolongée de facto d’environ cinq semaines au nom de sa sécurité.

Si l’on en croit la version la moins fantaisiste de cet enlèvement rocambolesque, la jeune femme aurait été victime d’un rapt « préventif », perpétré par une milice d’ex-rebelles passée -formellement au moins- sous la coupe du ministère de l’Intérieur, afin de la prémunir contre les convoitises vengeresses d’autres phalanges armées… Une certitude néanmoins: si Anoud a été libérée six jours plus tard, elle le doit aux négociations engagées par les dignitaires de la tribu paternelle des al-Maguerha. C’est d’ailleurs via Brak al-Chati, le fief de la famille, et Sebha (sud), bastion kadhafiste, que la fille al-Senoussi ralliera son refuge cairote.

Il ne s’agit évidemment pas ici de dédouaner à bon compte un captif au lourd passé, pièce maitresse de l’appareil répressif de l’ère Kadhafi; et à qui des récits concordants imputent la responsabilité du carnage de la prison d’Abou Salim, fatal en 1996 à plus d’un millier de détenus politiques. Notre propos vise à mettre en évidence, par le biais du témoignage exclusif de sa fille, les failles d’une justice à reconstruire et le caractère aventureux du pari de la Cour de La Haye.

Quand avez-vous vu votre père Abdallah al-Senoussi pour la dernière fois ?

Ma dernière visite date du 9 février dernier. On m’a autorisé à le voir tout au plus dix minutes. Depuis, plus rien. Je n’ai pas pu communiquer avec lui, pas même par téléphone. Il n’a pu recevoir aucune visite, qu’il s’agisse de sa famille, des défenseurs des droits de l’homme ou de la Croix-Rouge. Idem pour ses avocats, tenus à l’écart, et qui n’ont même pas pu l’accompagner à l’intérieur de la salle d’audience lors de sa dernière comparution. A la sortie, l’un d’eux a d’ailleurs été frappé dans l’enceinte du tribunal. Je ne sais plus quoi faire pour l’aider.

Que savez-vous de son état de santé ?

J’ai vu des photos récentes de lui. Son visage et ses yeux portent à l’évidence des traces de coups. A l’époque de notre dernière rencontre, il avait déjà perdu 40 kilos depuis son incarcération.

Pourquoi n’accordez-vous aucune confiance à la justice libyenne ?

J’ai moi-même passé plus de onze mois derrière les barreaux. C’est à ma sortie, le 3 septembre dernier, que j’ai été enlevée, devant le portail de la prison, par un commando d’hommes armés et masqués. Bien sûr, j’ai été libérée six jours plus tard, sans avoir été maltraitée. Mais le gouvernement de Tripoli ne peut rien. Il est impuissant. Ce sont les milices armées et elles seules qui font la loi. Que mon père soit coupable ou pas, pourquoi ne pas diffuser son procès à la télévision ? Pourquoi ne pas lui accorder une chance de livrer en public sa vérité ?

Espérez-vous encore faire entendre votre voix ?

J’en appelle à l’aide de la France, pays de la loi et des droits humains. J’implore le monde de faire en sorte que mon père soit transféré à la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye. S’il est jugé en Libye, où une fois encore la loi n’existe pas, je suis certaine à 100% qu’ils vont le tuer.

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