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A côté de chez nous

Publié le 25 octobre 2013 par Jlk

Bleue.jpgAprès l’arrestation des pervers de la maison bleue c’est encore nous, dans le quartier, qui avons dû nous occuper de la pelouse, mais c’était déjà avant que ça a mal tourné entre quelques-uns des voisins de la zone villa des Oiseaux, ceux d’en haut contre ceux d’en bas.
Dans Le Quotidien, la pelouse, ils avaient relevé le fait qu’il la tondait en costume de ville, mais c’est typique des inventions des journaux.
En fait c’était plutôt rare qu’il le fasse lui-même. Le plus souvent c’était elle dans sa robe de chambre beige. Quand il s’y mettait lui, c’était dans sa veste d’intérieur matelassée. Vous voyez le genre qu’il se donnait: la veste matelassée et la BMW garée n’importe où - mais cela personne ne l’a écrit. Personne n’a dit que ce type à la base n’avait aucune discipline. Personne n’a relevé que lui et elle ne faisaient rien comme les autres.
Bien entendu, nous non plus n’avons jamais imaginé, pendant toutes ces semaines, ce qui se tramait derrière les volets fermés de la maison bleue. La chose ne nous avait pas trop surpris, puisque les volets de la maison étaient restés fermés la plupart du temps durant plus d’une vingtaine d’années, d’abord avec les toxicomanes, puis avec les Dousse après la mort de Dominique et de son ami Danilo, et pourtant nous étions bien quelques-uns à nous poser des questions à propos de ces nouveaux locataires.
Cela a commencé avec les ordures.
C’était la première semaine après leur arrivée dans le quartier. Durant la journée du déménagement, la femme avait fait plutôt bonne impression à Verena Heim, notre voisine la plus proche, elle avait un accent mais semblait normale, elle était assez élégante alors que les meubles faisaient style Interio Conforama, vous voyez le genre. Le lendemain, Verena nous a raconté, au snack du Centre Com, que le couple n’était que de passage, ce qui nous a étonnés. C’est également Verena qui a expliqué à cette fameuse Madame O., ainsi que l’ont appelé les journaux, comment cela se passait avec les ordures, les sacs réglementaires à déposer le long de la route le matin même et pas la veille.
Mais rien n’y a fait, et ça nous a déjà paru mauvais signe: pendant des semaines il y avait des sacs à eux à proximité de l’une ou l’autre de nos places de parc privées le long de la route et souvent la veille ou l’avant-veille sur la route d’en haut, jusqu’au jour où nous leur avons fait une remarque par écrit vu que c’était nous les premiers qui avions l’odeur.
Quant je dis nous, je dois préciser que c’est ma femme et Verena Heim qui ont rédigé la lettre, que j’ai signée avec elles. Et c’est là, peut-être, notre première erreur, que d’agir seuls au lieu de nous mettre tous ensemble, les riverains du chemin d’en bas.
Parce que les premiers à se faire houspiller par ce malappris ont été les Berger, de la maison rose huppée construite après les nôtres à l’angle de le route d’en haut, ces gens qui ne se sont jamais vraiment assimilés aux Oiseaux (lui est avocat d’affaires, elle est tout le temps en ville, ils n’ont pas d’enfants mais font du golf à ce qu’on dit) et que ce Monsieur O. a pris à partie le matin où il a reçu notre lettre en les accusant de le surveiller et que ça ne se passerait pas comme ça.
Ensuite il y a eu le problème des chiens de ces gens, qui étaient absents plus souvent qu’à leur tour et dont nous entendions les bêtes gémir ou même aboyer sauvagement, les premiers temps, quand un voisin se risquait à franchir le portail afin de voir ce qu’il se passait là-dedans.
Après deux ou trois nuits où vraiment nous avons été dérangés, ma femme a téléphoné à la police qui nous a dit qu’une patrouille serait envoyée sur place, mais nous l’attendons toujours. A partir de ce soir-là, pourtant, plus un problème, et plus de chiens non plus dans la maison bleue, ce qui nous a quand même paru anormal jusqu’au jour où le facteur nous a renseignés, comme quoi deux molosses de race Doberman avaient été retrouvés, ligotés et drogués à mort, sous un des ponts de l’A2.
Sur le moment, nous ne sommes pas doutés, bien entendu, que nous avions à faire à des désaxés, mais on comprend maintenant que les O. n’aient pas apprécié que leur voisinage les observe de trop près et se soucie de leurs chiens. Hélas trop tard est trop tard, et dire que des enfants se faisaient maltraiter pendant ce temps à côté de chez nous...
C’est pourquoi aussi je me dis que j’ai eu raison de ne pas admettre que Maître Berger, comme on dit pour faire distingué, se permette de déclarer à Verena que nous nous mêlions de ce qui ne nous regardait pas. Après tout si les O. avaient entreposé leurs ordures sur le parking des Berger (pas de risque avec leur propre chien Iago !), j’aurais été curieux de voir la réaction de Son Altesse. Mais c’est pourtant bien sûr, maintenant que j’y pense: que l’individu qui conduit une Mercedes ne peut que se sentir proche d’un propriétaire de BMW.
Pour notre part, nous estimions juste de défendre notre bon droit, étant donné qu’on ne sait pas où le monde irait si chacun déposait ses ordures n’importe où et ne traitait pas comme il faut son compagnon à quatre pattes. Par ailleurs, je ne vois pas pourquoi, étant donné les circonstances, nous aurions dû subir toutes les nuisances de l’affaire, déjà que les médias commençaient à nous mettre la pression.
Mais là contre on sait ce qu’on sait, et il nous a fallu prendre notre mal en patience tant que cette fièvre d’émissions et de reportages a duré, peut-être bien quinze jours au total.
Des jours de vraie folie, durant lesquels on n’a plus su à quel saint se vouer, s’il fallait parler ou non, s’il était légal d’accepter de l’argent pour témoigner et si se taire avait un sens quand on voyait bien le soir, au journal télévisé, qu’il y en avait qui ne se gênaient pas.
Pour ceux qui, comme nous et nos voisins d’en bas, sauf Rose et Gottlieb, travaillaient la journée, c’était toujours une nouvelle surprise, au soir, d’apprendre ce qui s’était passé dans le quartier, cependant que l’enquête révélait de plus en plus d’horreurs, dont la plupart heureusement s’étaient passées en Hollande.
Mais tout de même: la maison bleue avait abrité ce fameux laboratoire et l’on avait parlé d’expériences sur des bébés suisses, en tout cas la première semaine. Une fois encore on n’arrive pas à réaliser: c’est à côté de chez nous que c’est arrivé et les enfants du quartier auraient très pu servir de cobayes eux aussi quand on y réfléchit.
D’ailleurs c’est justement en pensant à ça que les gens des Oiseaux auraient dû se mettre d’accord et ne pas se tirer dans les jambes au moment de régler les questions liées aux dégats commis par les cars de télévision et les voitures de police, les pivoines écrasées et quand même la réputation du quartier.
En ce qui concerne l’affaire elle-même, ce que nous a dit maman, quand elle est revenue de Habano où nous lui offrons chaque année deux semaines de bains de boue avec son amie Clara, c’est qu’on ne sait vraiment plus dans quel monde on vit, où tout ça va s’arrêter et si ça ne serait pas le moment de refaire les serrures de la maison.
- Des fois je me dis que j’aimerais encore mieux m’en aller maintenant que de voir toutes ces horreurs, nous a-t-elle dit l’autre soir, et nous lui avons répondu: mais voyons, maman, on ne dit pas de ces choses, et pourtant nous non plus, avec Myriam, nous n’avons plus tellement d’illusions avec tous ces basanés dans les rues du centre et l’insécurité partout.
A part ça, quelque chose que je n’ai pas non plus appécié, dans cette histoire des désaxés, c’est l’attitude de Gottlieb et de sa soeur, qui ont refusé de prendre parti pour aucun des deux camps.
Myriam m’a dit qu’elle ne comprenait pas que ça m’étonne, vu que ces deux-là menaient un vie de plus en plus bizarre d’après elle, avec leurs dépenses en voyages et la maison aux rosiers dans laquelle plus personne n’entrait que le docteur Cordier.
Gottlieb lui-même m’a dit que le drame avait bouleversé sa soeur, mais je me demande si elle peut vraiment réaliser, elle qui n’a jamais eu d’enfant. Moi j’ai plutôt l’impression que c’est ce cancer qui la chicanait déjà, et qu’ensuite tout est allé à vau-l’eau, mais quand même j’ai regretté qu’un homme aussi posé que Gottlieb ne nous appuie pas en tant qu’ancien des Oiseaux.
Enfin nous de toute façon maintenant on est couverts, et Verena s’est arrangée pour la pelouse avec son nouvel ami, vu qu’ils sont les voisins immédiats de la maison bleue. On avait d’abord pensé à faire un tournus, parce que l’ex de Verena s’était braqué à l’idée que lui seul aurait cette charge supplémentaire le samedi où en principe il faisait du squash, et durant plusieurs semaines cela s’est fait comme ça, une fois les Morier, la semaine d’après Verena Heim, puis les Borcard, notre tour et on remet ça. Mais ça compliquait quand même si par hasard un samedi tel ou tel n’était pas disponible, et voilà qu’il s’est trouvé que le nouvel ami de Verena était un jeune Monsieur Jardinier avec lequel il fallait vraiment être spécial pour ne pas s’entendre, un gars en or, au moins j’espère pour elle que cette fois ce sera le bon numéro.
On ne sait pas encore, à l’heure qu’il est, ce qui peut bien attendre les O. mais moi je trouve qu’on devrait remettre la peine de mort pour des gens comme ça, une piqûre et bon débarras, même si la piqûre est encore rien à côté de tout ce que ces monstres ont fait aux enfants.
On en a parlé l’autre jour au snack du Centre Com et tous les amis du groupe Scrabble étaient bien d’accord. Seule la Milena, une autre voisine qui n’a pas pris parti entre les deux camps soit dit en passant, une jeune qui se prend pour une intellectuelle (une dont les parents se sont réfugiés dans notre pays en 56, des Kertesz de Budapest) nous a lancé de la table d’à côté que la peine de mort ne changeait rien à rien et que les Américains n’ont pas de leçon à nous donner vu que nous ne sommes plus des sauvages.
Les Kertesz ont beaucoup souffert du communisme, nous le savons, et l’un des oncles de Milena a même été pendu, donc on pouvait la comprendre, mais pour les O. c’était quand même autre chose. Je suis d’accord qu’on n’est plus des sauvages, mais comment appeler un couple qui fait des saloperies avec des moins de dix ans et qui les filme et qui vend les films à des pères de famille aussi tordus ? D’après ce qu’on a lu, les O. ont même sali et blessé des bébés, avec Myriam on en avait les larmes aux yeux (mais ça c’est notre secret vu que le décès de la petite Delphine remonte à bien avant les Oiseaux) et même si c’était en Hollande on est tous concernés.
De toute façon, et là je suis bien d’accord avec Milena Kertesz, peine de mort ou pas, ce n’est pas la punition des O. qui va rendre leur innocence aux enfants, et pendant qu’ils croupiront en prison d’autres désaxés continueront de sévir.
En attendant l’ambiance a bien changé aux Oiseaux, même entre ceux d’en bas qui se sont tenus les coudes. Depuis quelques années il y a aussi moins d’enfants et c’est quand même dommage même si souvent certains faisaient des dégâts.
Finalement nous avons décidé de ne pas changer les serrures mais de raser la haie de thuyas et de mettre une nouvelle barrière un peu plus haute tout autour du terrain.
Ce qu’on se dit quand on voit le monde aux nouvelles, c’est qu’il vaut mieux rester chez soi le soir que risquer de se faire attaquer par un drogué.
Parfois nous nous demandons, avec Maman, comment cela s’est fait que ça puisse avoir tourné si mal en si peu d’années ? Maman dit que c’est surtout la télévision et trop de tentations partout. Pourtant Myriam lui rappelle qu’elle est bien contente de pouvoir regarder ses séries au lieu de s’ennuyer quand nous la laissons.
Verena Heim nous a dit que le seul en lequel on puisse avoir confiance actuellement est ce Christoph Blocher qui voudrait plus d’ordre et moins d’étrangers partout, mais avec Myriam nous ne votons même plus à cause de toute la corruption qui s’est répandue même chez nous.
Maman a toujours dit pour vivre heureux vivons cachés et même si les braves gens ne courent plus les rues on a encore sa fierté.
Quand les ouvriers auront installé la barrière, nous allons revoir tout le plan du jardin, parce que j’aurai bientôt plus de temps avec la retraite et que c’est quand même une satisfaction d’avoir ses légumes et d’apprécier les couleurs.


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