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D’Albert Huet aux All Blacks

Publié le 11 novembre 2013 par Fbaillot

En cette veille de commémoration  du centième anniversaire de la guerre de 1914-1918, la traditionnelle cérémonie au monument aux morts de Templemars était particulièrement recueillie, pour perpétuer le souvenir de ceux qui ont versé leur sang pour la liberté et la patrie. Voici en premier lieu ce qu'a déclaré Michel Carlier au nom de l'association nationale des combattants.

D’Albert Huet aux All Blacks

Avec tous mes remerciements à M. Gérard Huet, de Templemars, qui m’a obligeamment prêté le carnet de son grand père Albert.

Le mérite n’est pas dans le regard que l’on porte sur soi, mais dans le regard que la société porte sur nous. Les récits les plus fournis sont souvent tirés des textes autobiographiques écrits par les acteurs eux-mêmes au moment des faits ou quelques temps après pour fixer leurs souvenirs. Le privilège du temps est de donner aux faits une valeur de symbole.

Un acte banal pour eux à l’époque peut prendre un sens épique quelques dizaines d’années plus tard. L’histoire de l’un devient l’histoire de l’autre quand ils ont souffert les mêmes épreuves.

1916 : l’armée française recrute. On fait appel à la jeunesse.

Chartres, caserne « des Lilas », le 6 janvier 1916. Il vient d’avoir 19 ans, Albert Huet fait son entrée au 102e d’infanterie. Bataillon de marche, formation et d’entraînement.

Deux mois plus tard, Albert Huet est en route avec son régiment pour les tranchées. Sa première mission sera la pose de fils de fer barbelés. Il entend le canon sans grand dommage dit-il dans son carnet de route.

Albert Huet écrit : « Le printemps est de retour. Avec lui les offensives qui nous coûtent des pertes terribles. Je suis affecté au 363e régiment d’infanterie composé des débris de quatre régiments. Gars du nord, du sud, bretons, parisiens et de nouvelles recrues pour cette montée en première ligne. La terre est constamment remuée par les obus, laissant apparaître des ossements humains. Avec les beaux jours, les offensives reprennent de plus en plus belle. On a plutôt envie de faire demi-tour et pourtant, au signal nous allons de l’avant. Toujours avancer. Les avant-postes sont devant nous, le lieu s’appelle « Le caméléon ». Des habitants du village de Tahure, plus de trace. Le village de Tahure est détruit, et ne sera jamais reconstruit.

Des abris profonds nous garantissent assez bien des bombes et des torpilles qui nous dégringolent copieusement sur le dos. Les 88 sont les plus redoutables. Les blessés sont régulièrement évacués – les morts lorsqu’il est possible de le faire.

L’été tire à sa fin, je quitte ce lieu pour une position appelée « les grottes marocaines ». Nous sommes au chemin des dames. Le sol est tellement boueux en ce mois de septembre que je me demande parfois si ce n’est pas l’humidité qui aura raison de nous plus que la ferraille, les gaz ou les poux.

Dans le rapport journalier de l’officier de semaine du 363e, on peut lire pour la période du 4 au 19 septembre : « Occupation du chemin des dames – Nous avons perdu 2 officiers et 64 soldats. Le 363e subit des pertes sérieuses du fait des bombardements. Les pluies continuelles transforment les boyaux et les tranchées en véritables ruisseaux de boue, imposant à nos hommes une fatigue qu’ils supportent avec un courage et une égalité d’humeur jamais démentis. »

Albert Huet poursuit : « Les bombardements durent des heures. Au moindre mouvement, l’artillerie ennemie entre en action.

Nous nous déplaçons pour occuper le secteur de Landrecourt, dans la région de Soissons. Toujours avec le 363e. Il fait froid, l’hiver s’annonce rude. »

Nous sommes au début de 1918. Il écrit : « Le moral est très bas, nous reculons, ça va mal, pas de ravitaillement.

Bombardement d’aviation. Les ordres arrivent : décrocher par nos propres moyens. Je suis désigné pour assurer la liaison avec l’arrière. En fait de liaison, c’est eux que je suis. Je tire plusieurs coups de fusil pour avertir les copains. Chacun pour soi dans la brume, je les aperçois. Ce sont des cavaliers. Il faut rejoindre, il faut prévenir, mais où ?

Après une course assez longue, je tombe au pied du canal de l’Aisne. Il y a 24 heures que je suis absent quand je rejoins le régiment. »

Albert sera cité pour cet épisode. Son initiative a très certainement évité l’affrontement. Quelques jours pour se refaire un peu et en avant.

« Les renforts de la classe 18 nous ont rejoints, ils reçoivent le baptême du feu. Les pauvres, j’ai été comme eux, j’ai eu peur ! Nos pertes sont importantes et de ce fait on nous met au repos. »

Il faut savoir que déjà en 1915, au moment de la bataille de Champagne, une progression de 3 km aux alentours de la butte du Mesnil se solde par 27851 tués et 98305 blessés. Ce fut le prix payé.

25 et 26 septembre 1918 : attaque générale de l’armée Gouraud. Il aligne 15 divisions sur un front de 30 km (232050 hommes). Le 25, tirs d’artillerie jusque tard dans la nuit. Les fantassins ont compris. Le 26 à l’aube, l’infanterie se lance à l’assaut. Elle reprend la Butte du Mesnil. Le 163e, le 215e et le 363e (le régiment d’Albert Huet) conquièrent les hauteurs de la Dormoise. En fin de matinée, ils reprennent la rive droite et l’occupent.

Ça, c’est l’histoire.

Un homme, Albert Huet, décrit son 26 septembre.

« Il est 5h25, ce 26 septembre. C’est notre tour.

Partir des tranchées est le plus dur. On nous sert de l’alcool. Il faut conserver toute sa lucidité. Je suis à côté de mon vieux copain. Il ne faut surtout pas nous quitter, car moi aussi, j’ai peur, oui, bien peur. Et pourtant, nous voilà partis dans un brouillard de fumigène. Tout va bien. On ne voit pas à trois mètres. Voilà le soleil au loin. Devant nous se dresse le mont de la Dormoise. Il faut le prendre. Une voix hurle. Baïonnette au canon, il ne manque plus que cela. J’arme le fusil, je tirerai s’il le faut.

On arrive en haut. Je ne suis pas le premier. Des parties de terre nous tombent dessus. En face ils viennent de faire sauter leurs casemates. Nous serons relevés. Cela ne nous empêchera pas le lendemain de retourner à l’attaque du mont Cuvelier. »

Le 4 octobre 1918, le 363e est en marche pour l’attaque de Challerange. Albert Huet écrit : « Qu’est-ce qu’il descend comme obus, et puis certains n’éclatent pas. C’est le gaz ! Mon masque est inutilisable. Il y a des anciens qui n’en ont plus besoin. Malgré tout, j’en ai pris un coup. On me traîne, je suis évacué. Une ambulance me dépose au tri. Le lendemain je suis dans le train pour Tulle. »

Son régiment sera relevé des zones de combat le 6 octobre, tellement les pertes par les bombardements et les gaz avaient réduit considérablement les effectifs. Par chance, cette fois, ce n’était pas du gaz hypérite.

Avant de refermer ce cahier, il reste une page, deux phrases : « J’ai passé trois ans à la guerre. C’est une chance d’en être revenu. »

Respects monsieur Huet.

La France, pour la seule guerre 14-18, a mobilisé 8 194  500 hommes. Elle en a perdu 1 457 000. La moitié avait entre 18 et 27 ans. 3 458000 ont été blessés. Les fantassins eux seuls ont perdu 335 110 soldats (23%)

Hommage à tous ces hommes de tous les conflits.

Merci à tous ces hommes qui ont donné leur sang, leur vie pour des causes parfois différentes aux yeux de chacun d’entre eux, mais dont la finalité a été le sacrifice.

C’est pourquoi, il me paraît si important de garder vivants les témoignages, aussi ténus soient-ils, de nos grand pères.

Tâchons de ne pas oublier et surtout de ne pas les oublier.

Le temps les a sculptés. La vie les a souvent meurtri. Le grand âge les a éprouvé. Aujourd’hui disparus, pour moi ils sont toujours debout, capables d’évoquer avec pudeur et discrétion au travers de leurs écrits ce qui pour tant d’entre nous est de l’histoire. Pour eux, c’était du domaine du vécu et du souvenir.

Puissent ces hommes aujourd’hui disparus nous transmettre encore cette belle leçon de courage. Parce que ce courage et ces exemples nous permettent d’affronter non plus l’ennemi mais les difficultés du présent et de l’avenir, avec une volonté de victoire égale à la leur.

Ce serait pour eux un magnifique dernier combat.

Voici ce que j'ai déclaré à mon  tour :

D’Albert Huet aux All Blacks

Savez-vous où se sont rendus mercredi dernier les rugbymens de l’équipe des All blacks néo-zélandais qui ont battu 26-19 le XV de France ce week-end ? Sous l’arc de triomphe, pour raviver la flamme du soldat inconnu.

En 1914, la Nouvelle Zélande comptait un million d’habitants. 120 000 hommes de cette nation petite mais valeureuse se sont engagés sur les différents fronts durant la guerre. Les néo-zélandais ont notamment joué un rôle décisif à Sailly, près d’Armentières, à Ypres, durant la bataille de la Somme en 1916 et enfin au Quesnoy à la fin de la guerre.

Interrogez des Canadiens, francophones ou anglophones. Tous connaissent de la France la colline de Vimy, où est érigé le mémorial aux soldats canadiens qui ont défendu la cote 145 en avril 17. Ajoutons à ces pays  les monuments en hommage aux soldats polonais et tchèques à Neuville-Saint-Vaast, le mémorial indien sur la route de Richebourg entre Estaires et la Bassée, celui aux soldats de Terre-Neuve à Monchy-le-Preux, aux Australiens à Bullecourt, aux Chinois à Ayette. Le contingent sud-africain comptait 21000 hommes, les Egyptiens étaient 100 000.

Ne l’oublions pas, cette première guerre mondiale a concerné près de 70 nations, et certaines conservent une mémoire très vivace du sacrifice de leurs aïeux. C’est aussi pour cela que nous nous retrouvons comme chaque année en ce 11 novembre. Ce premier grand conflit mondial dont nous commençons à fêter le centenaire, a réellement amené sur notre territoire des combattants de tous les continents. Leurs descendants conservent sur notre terre et notamment dans notre région une mémoire, qu’ils entretiennent méticuleusement au sein des nombreux mémoriaux que nous pouvons admirer en Flandre, en Artois, en Avesnois, dans la Somme. Vous le savez, notre dernier poilu français, Lazare Ponticelli, est mort il y a 5 ans, à l’âge de 110 ans. Claude Choules, surnommé « Chuckles », est décédé à 110 ans en 2011. Il était Australien, et c’était le dernier survivant toutes nationalités confondues de ce conflit.

Il y a 100 ans, Marcel Proust publie Du côté de chez Swan, Apollinaire Alcools, Alain Fournier Le Grand Meaulnes, Stravinsky crée le Sacre du Printemps. Roland Garros effectue la première traversée de la Méditerranée en avion.

Raymond Poincaré est élu président de la République. Aristide Briand est nommé président du conseil en janvier, et renversé en mars. Louis Barthou lui succède. Il fixe la durée du service militaire à 3 ans, et la réserve à 11 ans, pour répondre à la montée en puissance allemande. Il démissionnera en novembre, remplacé par Gaston Doumergue.

Mais surtout, le monde s’inquiète de la montée des nationalismes, à propos notamment de la guerre des Balkans. En mai 1913, un rassemblement pacifiste réunit 150 000 personnes au pré Saint Gervais, à Paris.

Ils sont nombreux à cette époque à voir dans les événements des Balkans les prémices d’un conflit catastrophique. Le 28 juin 1914, le nationaliste serbe Gavrilo Princip assassine l’archiduc François-Ferdinand et son  épouse, à Sarajevo. Voici ce que dit Jean Jaurès le 25 juillet, à Lyon : « Jamais depuis quarante ans l'Europe n'a été dans une situation plus menaçante et plus tragique que celle où nous sommes à l'heure où j'ai la responsabilité de vous adresser la parole. Ah! citoyens, je ne veux pas forcer les couleurs sombres du tableau, je ne veux pas dire que la rupture diplomatique dont nous avons eu la nouvelle il y a une demie heure, entre l'Autriche et la Serbie, signifie nécessairement qu'une guerre entre l'Autriche et la Serbie va éclater et je ne dis pas que si la guerre éclate entre la Serbie et l'Autriche le conflit s'étendra nécessairement au reste de l'Europe, mais je dis que nous avons contre nous, contre la paix, contre la vie des hommes à l'heure actuelle, des chances terribles et contre lesquelles il faudra que les peuples de l'Europe tentent les efforts de solidarité suprême qu'ils pourront tenter. »

Le 31 juillet, Jaurès est assassiné par l’étudiant nationaliste Raoul Villain, à Paris.

Nous aurons durant l’année 2014 de nombreuses occasions de mettre en exergue la bravoure de nos soldats et notamment les 600 000 héros morts au champ d’honneur dans notre région, ainsi que les souffrances des civils. Mais il me paraissait important d’insister cette année sur les mois qui ont précédé l‘entrée en guerre.  Continuons à expliquer aux plus jeunes l’horreur des guerres du XXe siècle. La sagesse voudrait que nous-mêmes et nos enfants nous évitions qu’elles ne reviennent sur notre sol. Alors, efforçons-nous chacun de comprendre leurs causes, nous contribuerons chacun à ce que nous trouvions d’autres issues pour régler nos égoïsmes.


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