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La course imperturbable du monde

Publié le 29 novembre 2013 par Rolandbosquet

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   Hélène Grimaud au piano égrène une adaptation des "dichterliebe" opus 48 de Robert Schumann où le violoncelle de son complice Jan Vogler remplace la voix humaine chantant les poèmes d’Heinrich Heine. Quoi de plus romantique pour s’engager dans une nouvelle journée partie pour durer ? Dans la cheminée, d’éphémères flammèches bleues courent sur une bûche frêne à-demi consumée. Sur le dossier du canapé, mon chat César semble perdu dans quelque profonde méditation sur le destin du monde. A moins qu’il ne soit subjugué par le ballet des moineaux qui tournent et virent autour des boules de graisse que je dépose à leur intention sur la terrasse. Dehors, le ciel est presque dégagé de ses nuages et de longues traînées orangées s’effilochent  au gré d’une fraîche brise de traverse. Je me décide à affronter la froidure qui a gelé la terre sur le petit matin. Modeste morsure encore mais l’herbe craque sous le pas tandis que je vais donner aux chèvres naines leur quotidienne poignée de foin. Elles accourent vers moi comme si nous ne nous étions pas vus depuis une semaine. Je les soupçonne de se précipiter surtout vers le crouton de pain que j’ajoute toujours en guise de friandise. La campagne est silencieuse. Nul grondement de tracteur, vrombissement de voiture, hululement de tronçonneuse ni gémissement de hêtre s’effondrant dans l’humus. Seuls les appels tonitruants d’un vol de grues en route vers les terres du sud  retentissent au loin. Des idées de voyage s’insinuent  dans ma tête. De voyages au long cours, bien sûr. Vers des pays chauds et ensoleillés où il fait doux de vivre quand ici il fait froid. Comme si je n’avais pas assez à faire au jardin ! Tailler les haies, étêter les bouleaux, brûler les branches et répandre la cendre sur la terre du potager, ramasser les feuilles mortes, couper les dernières fougères roussies par le gel, arracher les poireaux et les mettre en nourrice à l’abri des vents de bise, pailler les pieds des rosiers pour les protéger d’éventuels grands froids et, toujours, ramasser les feuilles mortes. Sans négliger pour autant  la énième relecture en cours du manuscrit de mon prochain roman avant de le confier à mon correcteur préféré qui l’amendera, comme d’habitude, et qu’il me faudra reprendre avant de le soumettre à quelques lecteurs  amis qui l’amenderont à leur tour. La paresse est un luxe que je n’ai jamais su m’offrir. Même si je sais aussi ne rien faire et me contenter de regarder l’herbe pousser et écouter les fleurs s’ouvrir à la lumière. A mon retour à la maison, Hélène Grimaud et Jan Vogler achèvent les variations opus 46 de Robert Schumann en compagnie de l’Ensemble du Festival de Musique de Moritzburg. César s’est enroulé sur la chaise avancée devant la cheminée et lève à peine la tête à mon arrivée. Le téléphone sonne. Mon interlocutrice tient absolument à diminuer ma facture d’électricité grâce à des panneaux solaires qu’elle propose d’installer sur le toit de ma maison. Enfin, pas elle-même bien sûr. Je lui réponds que, dans ce cas, je ne suis pas intéressé. Dehors, le monde continue sa course autour de lui-même. Imperturbable.


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