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Badauderie

Publié le 30 janvier 2014 par Rolandbosquet

badauderies

   Badauderie. Voilà un mot qui respire le doux parfum des autrefois disparus. Ce temps où il vous fallait encore pousser la chaise contre l’armoire pour accéder aux bocaux de confiture sagement alignés derrière les boites à chapeaux. Votre grand-mère pouvait entrer à tout moment et vous surprendre en flagrant délit de transgression. Non seulement vous aviez forcé la porte de sa chambre malgré toutes les interdictions, mais vous vous apprêtiez, en plus, à vous abandonner à l’inavouable péché de gourmandise en plongeant sans vergogne un doigt glouton dans les confitures de pèche. Ce temps où la promenade familiale du dimanche après-midi conduisait inexorablement jusqu’au magasin des Coopérateurs qui offrait aux badauds le spectacle de ses si riches vitrines. Votre mère et ses voisines, montées comme vous des faubourgs, scrutaient d’un œil de couturière les robes qui habillaient les mannequins de plâtre comme aux Galeries Lafayette. Ce temps où il faisait bon, l’été, se baguenauder dans la campagne à la recherche d’un point d’ombre pour y dresser le pique-nique du goûter. Les enfants couraient en tous sens en criant. Les hommes s’allongeaient au pied des châtaigniers pour une bonne sieste réparatrice et les femmes s’asseyaient sur la couverture pour parler de tout et de rien. De la rougeole du petit, du certificat d’études du grand, des premières règles de sa cadette qui boudait dans son coin, de la vieille Mélanie percluse de rhumatismes, du père Henri qui ne supportait pas les chats de ses voisins, de sa nièce qui était bien patiente et qui n’avait toujours pas trouvé à se marier et de son frère, célibataire lui aussi, qui passait ses dimanches à jouer à la coinchée au café du village. Ce temps de votre enfance définitivement révolu depuis que vos grands frères étaient partis faire leur "Service" en Algérie, que le grand Général de Londres s’apprêtait à revenir au pouvoir, qu’Elvis Presley se déhanchait à la radio et que la télévision diffusait des images extraordinaires de la vie merveilleusement moderne des Américains. D’ailleurs, à la rentrée, vous alliez partir en pension parce que le maître d’école avait dit à vos parents, tout fiers, que vous étiez capable de faire des études et peut-être même de devenir fonctionnaire. Même que votre père avait parlé d’aller habiter dans les HLM qui se construisaient à la périphérie de la ville voisine. Vous vous rendez compte ? Il paraît qu’il y a une salle de bain avec une baignoire ! Adieu les courses folles dans les champs et les bois qui entourent le village, les bagarres avec la bande du cimetière et le patronage du jeudi avec le vicaire. Adieu les retrouvailles secrètes avec la fille du cordonnier à qui vous aviez arraché un baiser sur la joue le dernier jour d’école et qui jouait depuis à la coquette sous le prétexte que sa grande sœur lui avait expliqué qu’il ne faut jamais céder la première fois. Adieu les rêveries dans la pénombre des chemins creux tandis que les vaches que vous gardiez gambadaient joyeusement dans le champ du voisin. Adieu les badauderies, les flâneries, les virées sans but. Adieu à ce monde que vous quittiez avec impatience, appréhension et nostalgie à la fois. Un monde qui, tout compte fait, ne tournait pas si mal !

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