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La Commune : de la guerre civile – partie 2, des batailles, partie 1 (Commune 21/24)

Publié le 02 mars 2014 par Deklo

Cindy Sherman - Untitled #259,1992

La Commune : de la guerre civile – partie 2, des batailles, partie 1 (Commune 21/24)
Précédemment, on a vu les préparatifs de la bataille...

[Notes :

Revenir sur l’attaque du 2 avril.

Qui attaque ?

Noter qu’on peut lire dans le carnet d’une parisienne : « les insurgés, commandés par Bergeret lui-même, qui de sa personne s’était rendu à Neuilly, ont tenté une sortie en masse et voulu essayer une trouée, mais l’armée avait pris d’avance l’offensive »… Et de parler d’une « réciproque attaque… »[1]

Vinoy parle du 2 avril comme de la « première sortie des insurgés »[2].

Jules Favre confirme et la date et la responsabilité des Communeux : « Le dimanche 2 avril, les insurgés s’avancèrent par Neuilly »[3]

Au contraire, Cluseret écrit : « Le 2 avril, sans provocation aucune, les Versaillais attaquèrent les fédérés à la demi-lune de Courbevoie. »[4].

Louise Michel écrit : « Le 2 avril, vers six heures du matin, Paris fut éveillé par le canon. On crut d’abord à quelque fête des Prussiens qui entouraient Paris, mais bientôt la vérité fut connue : Versailles attaquait »[5]. Selon elle, « les armées de la Commune se mirent en marche le 3 avril à 4 heures du matin. »[6].

Lissagaray note l’attaque au dimanche, au 2 avril donc : « Ce jour même, un dimanche, à une heure, sans avertissement, sans sommation, les Versaillais ouvrent le feu, jettent des obus dans Paris. »[7].

Arthur Arnould y revient à plusieurs reprises. Il écrit d’abord : « Le 2 avril, lorsque Paris entendit, pour la première fois, le canon versaillais, ce fut un admirable mouvement d’indignation unanime »[8]. Puis, plus loin, il insiste : « Non, la Commune n’a jamais voulu, désiré la guerre civile. – Elle en avait horreur . – Et de même qu’au 18 mars, le peuple attaqué n’avait fait que se défendre, de même, le 2 avril, c’est Versailles qui, pour la seconde fois, commença l’attaque, sans y avoir été provoqué, alors que la Commune, pas plus que le Comité central, n’avait accompli, contre le gouvernement traître et fugitif, un seul acte d’hostilité matérielle. »[9]

Regarder les détails.

D’après Lissagaray, « depuis quelques jours, la cavalerie [des Versaillais] échangeait des coups de feu avec les avant-postes parisiens »[10].

Thiers, dans une circulaire parue au Journal officiel confirme ces échanges qui expliquent, selon lui, l’attaque des Versaillais : « Depuis deux jours, des mouvements s’étant produits du côté de Rueil, Nanterre, Courbevoie, Puteaux, et le pont de Neuilly ayant été barricadé par les insurgés, le Gouvernement n’a pas voulu laisser ces tentatives impunies, et il a ordonné de les réprimer sur le champ »[11]. Pour le Rappel, le chef de l’exécutif, par cette dépêche, « reconnaît implicitement que c’est l’armée de Versailles qui a attaqué »[12].

Dans un autre numéro de ce journal, on peut lire que l’occupation de Courbevoie par les gardes nationaux n’explique pas l’attaque : « il n’y étaient ni fortifiés ni en nombre, ils se trouvaient à peine quelques cartouches contre les canons et les mitrailleuses…Il n’y a pas de doute et pas d’équivoque : ceux de Versailles ont attaqué ! ».[13] Et de préciser : « le signal a été donné par deux coups de canons partant de Versailles ».

On peut lire dans le Temps, en date du 3 avril : « On savait que soixante mille hommes étaient massés près de Puteaux, et qu’un cordon immense de troupes sauvegardait Versailles, s’échelonnant tout le long des grand’gardes des miliciens de la Commune. Des collisions étaient imminentes et paraissaient inévitables ». Et d’ajouter : Comment a débuté l’affaire, et qui a commencé l’attaque ? C’est difficile à préciser ; mais depuis plusieurs jours les deux partis étaient en présence et se menaçaient. »[14]. Puis l’article partage les torts : « Du côté de Paris, un coup de fusil a été tiré, paraît-il, sur un des gendarmes qui étaient en avant sur la première ligne avec les sergents de ville. L’homme et le cheval ont été tués. On était en présence et le signal avait été donné, dit-on, du côté de Versailles par deux coups de canon. Il y a eu mêlée »[15].

Le docteur Pasquier.

S’arrêter sur cet homme et ce cheval qui ont été tués.

Selon Vinoy, le docteur Pasquier, qui « remplissait les fonctions de médecin en chef de l’armée de Versailles », « était parti le matin de cette ville pour organiser le service des secours »[16]. Il est « seul, à cheval et sans armes » et se perd, « trompé par une fausse indication », « lorsqu’il se trouva à portée d’un avant-poste de fédérés, qui firent feu sur lui ». Noter que dans cette version, on s’empare du cheval[17]. Vinoy conclut : « Les premiers coups de feu avaient donc été tirés par les soldats du Comité central » et parle de « meurtre » et d’« assassinat »[18]. Remarquer qu’il conteste la version des fédérés qui disent avoir « pris le docteur Pasquier pour un colonel de gendarmerie ». Noter pourtant que même le journal le Temps, on vient de le voir, parle d’un gendarme. Il ne fait pas mention des deux coups de canon des Versailleux. Enfin, il n’écarte pas l’hypothèse que ce médecin ait été tué pour voler son cheval[19]

Dans le récit de Favre, ce docteur ne cherche plus à s’occuper des secours, mais « cédant à un mouvement généreux », sort des rangs « pour essayer de faire entendre quelques paroles de raison et d’humanité »[20] aux fédérés. Et de conclure : « Il fut lâchement assassiné ». Noter que, selon lui, « à la vue de ce meurtre, la gendarmerie s’élança au pas de course »… Est-il donc seul ou entouré de gendarmes ou seul de son bataillon mais entouré de gendarmes ou autre ? Il n’est pas non plus fait mention dans cette version de coups de canon.

Lissagaray relate que ce médecin était « venu à cheval en reconnaissance »[21], avant de moquer les exagérations du gouvernement. On n’imagine mal un médecin partir en reconnaissance pour autant…

Noter que ces trois versions s’accordent sur un point : c’est le lendemain que les troupes parisiennes s’organisent et avancent[22] sous les ordres d’un général, Flourens. Comment s’expliquer cette contradiction qui date la première sortie des parisiens au 2 puis observe un vrai mouvement le lendemain ? Le général Flourens n’aurait-il pas été présent dès la première sortie ? Pour Vinoy et Favre, suite à la « première sortie des insurgés », les « chefs insurgés sentaient la nécessité de frapper un grand coup »[23]

Pour information, remarquer que Lissagaray cite la proclamation de la Commune : « Malgré la modération de notre attitude, ils ont attaqué ! Notre devoir est de défendre la grande cité contre ces coupables agressions »[24]… ]

Ce ne sont pas des souvenirs, mais des sensations qui revenaient tout à coup assaillir le corps en entendant le canon. Ces sensations, les mêmes que celles avec lesquelles on avait appris à vivre pendant le bombardement prussien cet hiver, la peur, la faim, le froid, intactes, qui retrouvaient la familiarité des chairs qu’on pouvait croire qu’elles n’avaient jamais tout à fait soulagées. On entend quelqu’un dans la rue dire que c’est une fête des Prussiens[25]. La rumeur s’élève, le bruit des corps qui vont sans savoir, les voix qui se choquent et les cris. Une voix se rassure : « C’est une salve d’anniversaire » [26]. Quelqu’un d’autre s’effraie : « C’est le siège qui recommence ! »[27]. On ne peut toujours pas bouger. On s’est redressé à un moment, on ne saurait pas dire quand, et on est là, immobile, à écouter ces bruits. On sait très bien ce que c’est ces canons. On ne peut pas se résoudre à se le dire, c’est tout. Le son des mots qui désignent paraît plus brutal encore que la violence des obus : c’est Versailles qui attaque. On se regarde : on sait. On sait qu’on sait.

A un moment, on est parmi la foule. On ne sait pas comment on a fait, comment le corps s’est mis en mouvement pour se déplacer jusqu’à la Bastille. On est là, il y a deux cent milles hommes de cette place jusqu’à la Concorde[28]. On regarde. Les gens chantent la Marseillaise[29]. On regarde encore. On voit la joie, l’espoir, la fierté[30] des républicains. On les voit vraiment. On pourrait les toucher. Ils sont les membres, les organes, les muscles, les chairs et le souffle, surtout le souffle, d’une idée sublime et monstrueuse : la République. Et devant l’étendue et la densité de ce corps, tous ces gens réunis et décidés, on est certain qu’elle ne se laissera pas réduire.

Quelqu’un, à côté, pense que Thiers a voulu éprouver Paris[31], compter les Communeux prêts à se battre, vérifier la profondeur des racines de la Commune dans le Peuple [réécrire cette phrase, l’image est vilaine]. On écoute. Il demande : « en voyant que, pour réduire Paris, il faudrait des mois de lutte fratricide et des flots de sang versé, est-ce que tout homme ayant une conscience, un sens moral, un cœur, [ne sentirait pas] faiblir sa résolution criminelle ? »[32]. Et puis on ne veut plus écouter. Sa naïveté, c’est un déchirement dans le corps. On pose le regard sur ces milliers d’hommes autour. On voit la violence qu’il va falloir convoquer pour les faire taire. On frissonne. On se demande comment c’est possible, un gouvernement qui refuse d’entendre. On ne sait pas répondre. On ne sait pas répondre, parce que les raisons qu’on trouve tiennent, toutes, de l’épouvante.

[Notes :

La réponse parisienne.

« Eudes, Bergeret, Duval, Flourens, nos jeunes généraux populaires, entraînés par l’ardeur de leur âge, gagnés par l’enthousiasme qui se dégageait, comme l’électricité, de cette foule généreuse, décidèrent de tenter une vaste sortie, de repousser l’assaillant, de marcher sur Versailles » écrit Arthur Arnould[33]

Lissagaray leur prête ces propos : « L’élan est irrésistible, unique. Que peut Versailles contre cent mille homme. Il faut sortir. »[34].

Arnould continue : « Cette sortie s’accomplit donc sans que la Commune en ait été prévenue, sans que la Commission exécutive l’eût autorisée. Elle s’accomplit comme une coup de tête, avec le désordre inséparable en pareille circonstance, alors que rien n’était organisé, avant que le service de l’artillerie, des munitions et des vivres eût été assuré d’une façon suffisante »[35]

Pour Lissagaray, la Commission exécutive décide que « les généraux présenteront un état détaillé de leurs forces en hommes, artillerie, munitions et transports »[36]. Les généraux partent quand même. Il remarque : « Ils n’avaient pas reçu de défense formelle »…

Les batailles.

Bergeret, Flourens et Ranvier marchent du côté du Mont-Valérien, tandis que Duval et Eudes passent vers Clamart et Meudon[37].

Le commandant du Mont-Valérien avait promis la neutralité du fort au Communeux[38]. Louise Michel raconte que Thiers, « afin qu’un officier de l’armée française ne manquât pas à sa parole, l’avait tout simplement remplacé par un autre qui n’avait rien promis »[39]

Arnould considère la faute du Comité central de ne pas s’être emparé de ce fort, de l’avoir laissé à un commandement « neutre » comme capitale[40]

Les Communeux sont pris par surprise lorsque s’ouvre sur eux, depuis le fort du Mont-Valérien donc, « un feu bien dirigé »[41] selon les termes de Vinoy.

Flourens finit par accepter de se replier, prêt à reprendre le combat le lendemain. Il est retrouvé par des gendarmes dans la maisonnette[42] où il avait trouvé refuge, un « cabaret » pour Favre[43]. Louise Michel reprend le témoignage d’un proche sur l’arrestation de Flourens[44], d’après lequel il fut assassiné à peine arrêté, la tête fendue en deux par le sabre d’un capitaine de gendarme, achevé par le coup d’un fusil dans l’oreille.

Dans la version du témoignage que recueille Louise Michel, Flourens « se tenait debout fier », « les bras croisés sur sa poitrine »[45].

La version de Vinoy[46] diffère, qui raconte que ce capitaine se servit de son sabre au moment où Flourens « se mettait en défense le revolver à la main ».

Favre, lui, écrit : « Un capitaine de gendarmerie le somma de se rendre ; Flourens lui répondit par un coup de revolver et le manqua »[47]

Du côté de Chatillon, la bataille se conclut par la mort de Duval qui commandait ces troupes et la reddition de quelques 1500 gardes nationaux.

Vinoy note : « leur chef, le nommé Duval, est tué pendant l’affaire »[48], sans autre précision…

Louise Michel raconte la scène[49] : Voici les soldats Communeux prisonniers, à qui on a promis de laisser la vie sauve s’ils se rendaient, qu’on fait marcher vers Versailles. Vinoy les rencontre en chemin. Il demande s’il y a des chefs. Duval sort des rangs. Deux autres commandants également. Vinoy leur lance « vous êtes d’affreuses canailles » et ordonne de les fusiller. Elle décrit : « Ils s’adossent d’eux-mêmes contre un mur, se serrent la main et tombent en criant : Vive la Commune ! ».

Noter que Lissagaray décrit la scène dans les mêmes termes[50]

Inutile de souligner la cruauté qui veut que ces hommes, Flourens et Duval, animés par la ferveur qu’on a décrite, tombent si rapidement.

Relever qu’à côté de ces défaites, les forts d’Issy et de Vanves aux mains des Communeux, mènent ce que Vinoy qualifie « d’habile combat »[51], et les soldats parisiens, ceux qui ne sont pas arrêtés ou tués, sont refoulés à Paris.]

Dimanche prochain, on poursuivra l'étude des batailles...

[1] Augustine M. Blanchecotte, Tablettes d’une femme pendant la Commune, Paris, 1872, p. 30.

[2] Joseph Vinoy, Campagne de 1870-1871, Paris, 1872, p. 247.

[3] Jules Favre, le gouvernement de la Défense nationale, Tome III, Paris, 1875, p. 303.

[4] Gustave-Paul Cluseret, Mémoires, Tome I, Paris, 1887, p. 40.

[5] Louise Michel, la Commune, coll. Classiques des sciences sociales, p. 226.

[6] Ibid., p. 227.

[7] Lissagaray, Histoire de la Commune de 1871, Paris, 1929, p. 171.

[8] Arthur Arnould, Histoire populaire et parlementaire de la Commune de Paris, éd. J.-M. Laffont, 1981, p. 177.

[9] Ibid., p. 259.

[10] Lissagaray, op. cit.

[11] Journal officiel de la République française, en date du 3 avril 1871.

[12] Le Rappel, en date du 5 avril 1871.

[13] Le Rappel, en date du 3 avril 1871.

[14] Le Temps, en date du 3 avril 1871.

[15] Ibid.

[16] J. Vinoy, op. cit., p. 258.

[17] Cf p. 259.

[18] Ibid.

[19] Ibid.

[20] J. Favre, op. cit., p. 303.

[21] Lissagaray, op. cit.

[22] Cf J. Vinoy, op. cit., p. 265, Lissagaray, op. cit, p. 173 et J. Favre, op. cit, p. 304.

[23] J. Favre, op. cit., p. 304.

[24] Lissagaray, op. cit., p. 172.

[25] L. Michel, op. cit., p. 226.

[26] Lissagaray, op. cit., p. 172.

[27] Ibid.

[28] A. Arnould, op. cit., p. 178.

[29] Ibid.

[30] Ibid.

[31] Ibid.

[32] Ibid.

[33] Ibid., p. 179.

[34] Lissagaray, op. cit., p. 172.

[35] A. Arnould, op. cit.

[36] Lissagaray, op. cit.

[37] L. Michel, op. cit., p. 227.

[38] Ibid.

[39] Ibid.

[40] A. Arnould, op. cit., p. 179.

[41] J. Vinoy, op. cit., p. 266.

[42] L. Michel, op. cit., p. 239.

[43] J. Favre, op. cit., p. 305.

[44] Cf L. Michel, pp. 242-243.

[45] Ibid., p. 242.

[46] J. Vinoy, op. cit., p. 273.

[47] J. Favre, op. cit.

[48] J. Vinoy, op. cit., p. 274.

[49] L. Michel, op. cit., p. 230

[50] Cf Lissagaray, op. cit., p. 178.

[51] J. Vinoy, op. cit., p. 276.

Cindy Sherman, Untitled #259, 1992

Cindy Sherman, Untitled #259, 1992


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