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De Kiev à Caen

Publié le 05 mars 2014 par Rolandbosquet

Varegues

   Dans la presse et à la télévision, les commentateurs commentent, supputent, imaginent et commentent à nouveau. Les chancelleries du monde occidental se téléphonent, se rencontrent, se parlent, discutent, échangent et se parlent encore. À Kiev, les anciens manifestants sont inquiets et ceux qui ne manifestaient pas aussi, les députés se réunissent sous l’égide de leur nouveau président de parlement, le nouveau gouvernement tente de gouverner. À Sébastopol, les soldats inconnus de Vladimir Poutine font les cent pas devant les casernes ukrainiennes. La Crimée à la Crimée ! dit-il en substance aux journalistes invités à l’interroger. Il sait très bien que nul n’ira lui contester sur place la possession de cette presqu’ile surarmée par ses soins. En 1856, le siège de Sébastopol par les armées françaises, britanniques et turques s’était achevé par un nombre incalculable de morts et la défaite de l’empire russe. Le maître de Moscou ne risque guère aujourd’hui de voir débarquer les nouvelles brigades de l’Occident. Les seules divisions de l’Europe ne sont que celles qui déchirent ses États incapables de s’entendre. Mais qui voudrait revenir à la situation de 1856 ? Le monde a bien changé depuis. Imaginons malgré tout que quelque diplomate à l’esprit échevelé en suggère l’idée. Les Normands ne manqueraient pas de faire valoir leurs droits. Car ils en ont. Et non seulement sur la Crimée mais sur les terres que l’on appelle aujourd’hui l’Ukraine et Kiev sa capitale. Dès le cinquième siècle, des Danois et des Suédois quittèrent leurs contrées dans la direction du soleil levant pour s’adonner à ce qu’ils appelaient pudiquement le commerce mais surtout à la piraterie en particulier et à la guerre en général. Ils jalonnèrent leur route  de places fortes pour défendre leurs biens et leurs personnes des attaques sauvages des peuplades slaves avoisinantes. Ces Varègues ou Rus, comme les appelaient ces dernières, descendirent ainsi jusqu’à Byzance et furent, notamment, à l’origine non seulement de Kiev mais aussi de Novgorod et de ce qui deviendra plus tard la Russie qui leur empruntera son nom. On sait les Normands de Normandie plutôt procéduriers. Il est cependant peu probable qu’ils en appellent en ce moment à la loi. Ils ont déjà fort à faire avec les héritiers des soldats de Guillaume le Conquérant sis de l’autre côté du Channel. Il est peu probable également que les Normands de Sicile ni même ceux de Jérusalem aient l’intention d’interpeler le nouveau Tsar des Russies à ce sujet. Leurs préoccupations sont manifestement ailleurs. Il est encore plus improbable que les Vikings qui colonisèrent le Groenland et les côtes est de l’Amérique du nord pensent même envisager interroger leur notaire à ce propos, si tant est que des minutes furent un jour enregistrées quelque part. Seuls, peut-être, des descendants des cousins de ces aventuriers demeurés dans leur province suédoise de Roslagen pour s’assurer du bon état de leur base arrière pourraient-ils être en mesure de porter devant les tribunaux une réclamation en bonne et due forme. Mais le plus grand doute est permis quant à la recevabilité d’une telle démarche au regard des législations russes actuelles. Et aucun doute n’est permis, en tout état de cause, quant à la réponse de Vladimir Poutine. On voit par là que, comme le rappelait Monsieur de la Fontaine en son temps, la loi du plus fort est toujours la meilleure et qu’un monde qui vit sous sa férule ne peut que tourner de guingois.

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