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Multiplier les Joseph

Publié le 19 mars 2014 par Rolandbosquet

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   Apporté mon aide, la semaine dernière, à notre ami Joseph, l’homme de main, comme elle dit, de Marthe Dumas du Mas du Goth. Il réfléchissait à son projet depuis un an. Mais il craignait encore que l’appel des grands chemins ne chatouille de nouveau ses mollets et ne parvenait pas à se décider. Alors que je venais lui apporter sa ration de magazines, Marthe m’a longuement raconté par quels tourments il est passé. Leurs longues soirées silencieuses. Ses matins guère éclairés que par la visite de l’infirmière et de l’auxiliaire de vie tandis qu’il battait les bois et la campagne à la recherche d’une décision. Il lui a enfin avoué, il y a quelques jours, son ambition : élever des pintades et les vendre sur les marchés de la région. Nous avons donc vidé une vieille grange légèrement écartée de la maison de tout un fatras de machines agricoles rouillées, d’outils tordus ou brisés, de bidons divers que le défunt mari de Marthe avait accumulés là avec le temps. Nous avons taillé dans les ronces et les fougères qui avaient envahi les lieux, remplacé quelques tuiles et rafistolé une fenêtre et une porte. Après le départ du camion pour la déchetterie, nous avons élagué une haie de noisetiers qui avait pris ses aises et mis en place un grillage à poule de bonne hauteur pour clôturer une large volière. Armée de sa canne, Marthe nous rejoignait de temps à autre pour nous prodiguer ses recommandations. Tu as pensé au renard ? Tu as prévu un coin abrité de la pluie ? C’est vrai que notre travail était régulièrement interrompu par une averse, une ondée et autres giboulées. Et leur mangeoire ? Tu sais que ces bêtes là boivent beaucoup ! Il me regardait d’un air las et répondait d’une voix calme et patiente. Oui, je le mettrai ici. Et toi, tu le mettrais où ? Ah, je n’y avais pas songé! Elle souriait des yeux, bien consciente qu’il avait réfléchi à tout cela depuis longtemps, et elle repartait en bougonnant. Arrivée à la porte de sa cuisine, elle criait : à table les garçons ! Mes voisins Hélène et Sébastien nous ont rejoints, il y a deux jours, pour célébrer dignement la fin des travaux. Elle s’est munie de son cabas avec de l’épaule de mouton de la ferme rôtie, des cèpes des bois environnants, des oignons et des carottes du jardin et du Pont-l’Évêque de Normandie. Lui a déposé sa participation au capital nécessaire à l’achat des  jeunes volailles. Tu me rembourseras après ! Outre les formalités administratives à venir, je suis chargé de fournir un modeste Santenay du domaine d’Antoine et Rachel Olivier, un pinot noir et chardonnay des Côtes de Beaune souple et charpenté à la fois, et du dernier opus des Tinariwen, Emmaar, que nous avons écouté toute la soirée. Marthe a sorti sa traditionnelle tarte aux pommes en guise de dessert. À la crème normande, précise-t-elle en riant !  Nous quittons nos hôtes alors que la lune, bien installée sur sa trajectoire descendante, illumine le ciel. À peine discerne-t-on, derrière elle, l’étoile Regulus qui marque le cœur du lion de la constellation du même nom. C’est du moins ce que m’explique Sébastien instruit par son fils Kevin, passionné d’astronomie. Voilà qui reflète bien l’ardeur de Joseph, ajoute-t-il ! Ses démons le chahutent encore, dis-je. Mais je crois qu’il est vraiment résolu, cette fois, à s’enraciner. À mon retour chez moi, César profite de la porte ouverte pour rejoindre la nuit et ses chasses nocturnes. Je songe à Joseph qui assoit enfin sa vie et essaie d’en faire quelque chose. À sa manière solitaire, secrète et silencieuse. Engoncé dans mon fauteuil, je lance les dernières nouvelles à la télévision. On y voit encore et toujours ceux-là qui nous gouvernent ou aspirent à y revenir. Ils semblent bien éloignés de nous autres d’en bas. De ceux qui peinent, imaginent et tentent de vivre. On nous montre même leur marigot  où les pythons avalent les crocodiles et les loups dévorent les loups. En un mot, où  les ambitions ambitionnent. On voit par là qu’il vaut bien mieux compter sur les Joseph pour aider le monde à tourner un peu moins de guingois. (Lire les chroniques du 25 mars 2011, "L’étranger sur le bord de la route" et du 6 octobre, "Le routard")

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