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Revenir

Publié le 16 avril 2014 par Thywanek

Revenir C’était un jour plutôt quelconque pour revenir. Il revenait. L’air devait être sans âme pour, à ce point, n’avoir rien de froid ni de doux. A ce point qu’aucun mouvement de quoi que ce soit n’en troublait l’inertie ni pesante, ni légère. Le ciel blanc, d’un blanc de lait figé, qu’on sentait sans réelle consistance, figurait une absence de ciel. Dans la lumière d’un gris sans charme les passants, les allants et venants, glissaient, gribouillis de fusain sur une page déroulante. Un jour particulièrement ordinaire. Il revenait. Aussi bien d’en face. De l’autre côté de la rue. Où se dressait, étroit et morne, presque chétif, malodorant, un immeuble dont les fenêtres étaient toutes rondes comme des yeux aux contours de pierre et aux fines croisées blanches, des regards derrière de malveillantes lunettes, au travers desquelles on ne pouvait rien capter que de noir. De là où de l’Île de Pâques. Où d’un havre sec de sel et de sable où les jours et les nuits ne sont que de tristes marées qui se retirent. Où d’une forêt affolée de cris. D’une ville de cinquante millions d’habitants. D’un trou d’eau sale au fond d’une campagne pauvre et fumante. D’un troquet quincaillant où le choc des verres atténue la douleur de l’entaille que fait au milieu du dos le passage de la roue. Le ciseau de ses dents.Il revenait avec son sac, ses vieilles chaussures montantes maintenant usées, trouées, ce vieux manteau dont il avait hérité sans jamais avoir su après la mort de qui, après la perte de quoi. Quelles terres en avaient autrefois longuement mordillé les pans ténébreux tandis que d’un pas rituel on parcourait ce monde sans raison. Toujours un pied dans l’or et l’autre dans la fange. Et il faudra raconter. Raconter. Tout ça.De cette saloperie de jour, ou d’heure – comment savoir – ce moment plus ridicule que tous les autres, où tout a cru devoir commencer. Dans le trou d’une date contingente par une sympathique indifférence de vermine grouillant un soir d’hivers asphyxié de béton et de carnivore hydrocarbure. Mais voilà. Comme disait déjà un écho dans ce théâtre de véhicules larmoyants, tragiques et gesticulants, il allait bien falloir faire en sorte. Puisqu’il en était jeté de ce début de cri dont il serait peut-être un jour possible de faire un chant. Une chanson… Une chansonnette ? Sauf comment faire. Et pour combien de temps. D’heures, de jours, de minutes fuyant comme des gouttes de pluie poussiéreuse dans un caniveau de gamin miraculeux faiseur de vaisseaux. Oui, comment. Sans arme. Sans vraiment encore d’amour. Et sans cruauté. Quelques remises de peines : au début dans des squares. Puis dans des jardins. Dans des parcs. Dans des forêts. Pour finir dans des infinis fermés quand la solitude suinte depuis l’origine du soleil sur les murs des chambres où la corrosion peut alors servir de sublime douleur. Roman. Ô précieux roman des allées et venues, clair, clair, ombre, clair, ombre, ombre, qui s’inverse, qui s’inversent, se croisent, diagonales, se trament, tissage d’étoupe, si seulement le monde des ferrailles explosives cessait de cracher des chairs dégoutantes et leurs corolaires excuses criminelles aux atermoiements plus honteux que tout.Quelques vecteurs aux grisailles pulvérulentes et lumineuses qui servirent de chevaux aux élans du corps tendu comme une voile atlantique vers un continent nouveau dit-on trouvé jamais atteint. Et sans répit à la recherche de cette pierre, de ce regard, de ce flanc où planter une dent assez savamment profitable pour que la cicatrice en dise quelque chose qui remplisse ces crépuscules où entre les arbres rôdent des penchements aux tendresses définitives. Défigurées.      N’avoir eu mal pour rien. Tachant pourtant d’avoir alors mal pour quelque chose. Pour ceci à quoi tienne de n’être pas venu insensé. Ô vanité des vanités, oui : et heureusement. Il ne sera pas de ce monde lâche où la bête accroc d’argent peut mordre dans tout ce qu’elle veut et pourrir tout ce qu’elle peut. C’était la guerre, toujours et encore, celle des ventres sans fond et celles des cœurs sans fin. Il avait pu se déshabiller de toutes les protections standards qui servent à ne pas voir, à ne plus sentir, les tentacules, bras humains, mains crasseuses, pauvres mains calleuses, qui se tendent au-dessus de la satiété morose d’antiques contemporains aux yeux blanchis de mort artificielle. C’était tellement trop peu dire : cette mécanique, ces mécaniques, aux charmes calibrés, pour placer le marché du paradis et celui de l’enfer. Minables cotations de la vie comme fruit hors sol au bénéfice de cénacles obèses effrayés par la mort comme des mômes par un clown. Il faudrait bien se résoudre à leur couper les jarrets. Tant pis pour eux. A ces peinturlurés d’écrans monnayeurs. On les a prévenus. A ces colosses aux jambes confites. Eux aussi connaissent l’histoire. Ces grotesques automates. S’ils n’ont pas voulu la connaître, l’apprendre, tant pis pour eux. Ces vilains agités sans jamais aucune grâce et sans jamais aucun poème. Il revenait. La nuque encore fraîche de la lame amoureuse qui tenta sa défaite au détour d’une paix aux chœurs majestueux. Lorsqu’il fut à la fenêtre de chez lui, tout du moins de cet appartement qu’il avait habité longtemps avant de partir pour un nombre de mois ou d’années ou de jours qu’il n’avait pas comptés, il constata comme la façade en face était demeurée. Comme tout. Avec les yeux noirs cernés de pierres. Les croisées blanches qui faisaient d’étranges cibles. Et le crime qui traînait sa victime danaïde comme le perpétuel trophée de sa souveraine perversité. Quoiqu’il lui fût impossible de penser, pour tant de motifs où l’éloignement faisait figure de coquetterie, qu’un retour n’eut pas un sens. Un sens aiguë semblable à la pointe que nécessitait l’urgence de percer la puante nuée d’horreur qui enflait, imposante et dorée, atmosphère de substitution, parmi tout le vivant qu’il avait traversé par des routes insensibles, qu’il avait côtoyé lors de villégiatures distantes d’où il avait su disséquer les fébrilités humaines qui s’entraînaient entre elles à travailler quelque accord qui leur permît de tenir contre la chaîne et la dictée des chiffres.La nuit rampa très lentement ce jour-là avant d’atteindre la rue. Ainsi qu’elle filait quelquefois sa résille effilochée dans l’étendue d’un désert. Qu’elle s’insinuait parmi les racines des arbres ou des êtres. Qu’elle montait des marais, terreuse et ondoyante. Revenu à lui. Revenir à soi. Comme revenir à ce manège moiré de gueules amphibies dont les colliers et les jougs hochaient sur les trottoirs. Sans plus jamais même ne fusse qu’un vieux bout déchiré de drapeau pour se moucher le nez. Ca couinait à peine. Ca gémissait tout juste avec la discrétion d’un rail de métal poli dans sa glissière escamotable.Il pouvait dire pourquoi les écrans, de plus en plus beaux, esthétiques, grands, si larges, si sage dans leurs design épurés, cossus, pourquoi les écrans ne pouvait rien montrer qu’on put apprendre comme lu et parlé. Au-dessus de tout ne remontait rien d’autre que, si affreux que ce fut, ce qu’il y avait, finalement, de plus aisé à supporter ou à s’entraîner à supporter. Cela formait une couche assez épaisse, compacte, peu perméable au divergent. La vraie matière, le vrai charbon de l’abîme, le mercure fatal, les mines de failles enfermées dans des mégatonnes de roches serrées, n’avaient pas la moindre chance d’apparaître. Et qu’on soit un nombre grandissant à se demander ce que c’est. Et peut-être bien, avant même de se demander quoique ce soit ; à s’arrêter, progressivement, par ralentissement successifs, par halètements d’une onde sidérante, médusé par l’apparition du corps le plus nu de la plus sombre virginité. Qui y survivrait.Et dans quel état… Suffirait-il d’être revenu. De longues méditations, perché avec un manuel d’ascétisme sur un sommet que ne peuvent atteindre les humeurs fumeuses expirées des villes en apnée. Des jardins écartés où s’égaillent, indifférents au cours des monnaies des peuples sans presque de vêtements et qui comptent en coquillages. De retraites instruites en des lieux de sagesse dont la matière s’évalue à l’usure de la belle pierre à elle seule déjà dévotion. Sortir simplement d’un tunnel percé par un savant monteur d’images qui en un jour comme en une nuit ramasse toutes les défaites, aussi bien toutes les victoires, autant que tous les forfaits d’un seul ou toutes les œuvres d’un temps et ne laisse, de dépit souvent, car il n’est qu’un montreur, qu’une chambre noire ouverte à tous les vents et cernées de portes closes.Sortir simplement d’un bouillon opaque de pensées. Enumérer ses pattes de batraciens. Amputer celles qui ne servent qu’à entraver les autres. Enumérer les yeux qui, trouées sous le crâne, n’ont servi qu’à composer des kaléidoscopes aveuglants. Enumérer ses langues qui sous le palais n’ont servi  qu’à diffracter la parole et la gonfler de sens dévalués, engorgeant, serpentins étêtés, des forums creux.Revenir d’où il se serait appris quelque chose.Avant l’écrasement du futur ou du moins de l’avenir sous la disparition du temps humain.  Il se mit à imaginer un instant un tir de roquette, de missile, à vrai dire il pourrait disposer de l’une comme de l’autre, pile perforant exactement un des yeux de verre qui le matait de l’autre côté de la rue. Un bon trou fumant dans un de ces orbites gosiers, qu’il aurait dit remplis de tombes, d’une glaise tamisée mutée en sucs mortifères pour en exciter les frères les uns contre les autres, les sœurs les unes contre les autres, les exclus contre plus exclus qu’eux, les affamés contre plus affamés qu’eux, les mourants contre plus mourant qu’eux. Et ultime malentendu, les vivants contre moins vivants qu’eux.A cette pensée quelque chose en lui, dans sa tête, bourdonnait encore beaucoup trop fort pour que ce projet prît forme. Mais les délais peuvent se distordre. Il n’était probablement pas revenu pour rien.Il n’était pas question d’une énième routine. Qu’il n’était à ce jour pas en mesure d’enrayer. A moins que. A moins que cette petite fissure… Oui cette petite fissure, là, au-dessus de cet œil de pierre… Il n’y avait rien nulle part de cette sorte sur cette façade lorsqu’il était parti. Absolument rien. Tout était lisse. Net. Livide. Froid. Et là, oui, au-dessus de cet œil, une fissure était apparue. Peu de chose à vrai dire. Tout juste de quoi glisser le bout d’un petit doigt. Assez peut-être pour y insinuer enfin une arme. L’arme qu’il restait à forger.

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