Magazine Humeur

Ce qui nous guette, c’est l’oubli

Publié le 27 avril 2014 par Fbaillot

La Complainte du partisan

Cette chanson chantée ici par Léonard Cohen a été écrite à Londres en 1943 par Emmanuel d'Astier de La Vigerie et Anna Marly pour la musique.

L'ennemi était chez moi

On m'a dit "Résigne-toi"

Mais je n'ai pas pu

Et j'ai repris mon arme

Personne ne m'a demandé

D'où je viens et où je vais

Vous qui le savez

Effacez mon passage

J'ai changé cent fois de nom

J'ai perdu femme et enfants

M'ai j'ai tant d'amis

Et j'ai la France entière

Un vieil homme dans un grenier

Pour la nuit nous a cachés

Les Allemands l'ont pris

Il est mort sans surprise

Hier encore, nous étions trois

Il ne reste plus que moi

Et je tourne en rond

Dans la prison des frontières

Le vent souffle sur les tombes

La liberté reviendra

On nous oubliera

Nous rentrerons dans l'ombre

Voici le message rédigé diffusé ce jour par les associations qui représentent les déportés français.

"En ce jour de recueillement et de souvenir qui marque le 69e anniversaire de la libération des camps de concentration et d'extermination, c'est d'abord à celles et ceux d'entre nous qui ne sont pas rentrés de la terrible épreuve de la déportation que nous voulons penser. Persécutés, chassés, arrêtés ou raflés dont des milliers d'enfants, tous ont connu les conditions inhumaines des camps, la dégradation de l'être humain et la mort.

Si l'année 1944 fut en France celle de la libération du territoire, elle fut aussi celle d'un renforcement et d'une aggravation de la déportation marquée par la poursuite des activités meurtrières dans les camps.

L'espoir suscité par le Débarquement de Normandie puis de la Libération de Paris fut estompé par le durcissement et la radicalisation du régime nazi qui ne renonçait à aucun de ses objectifs criminels.

La condition de vie des détenus s'aggrava en 1944 et les chances de survie diminuèrent.

Dans nos sociétés où réapparaissent des actes et propos xénophobes, racistes, antisémites et discriminatoires, les rescapés des camps de la mort rappellent toute l'importance des valeurs de solidarité, de fraternité et de tolérance qu'ils n'ont eu de cesse de promouvoir et de défendre depuis leur retour.

Il appartient aux générations suivantes de préserver ces valeurs qui sont celles la République."

Ce qui nous guette c’est l’oubli.

Chaque année, nous commémorons, nous transmettons à nos enfants ce souvenir. Mais comment faire pour que les mots continuent de traduire la vérité de ce qu’ont vécu nos parents, nos grands parents, pour qu’aujourd’hui nous soyons ici, en paix.

Avec Michel Carlier, et avec l’Association nationale des combattants, nous avons voulu redonner du sens à ces mots, pour leur redonner de la vie.

Comme c’était le cas l’année dernière, nous avons accueilli à cette cérémonie, Thérèse Sailly, fille de Albert Prévost, déporté templemarois qui donné son nom à une place de la commune, où une plaque rappelle son sacrifice. Citons aussi Marcel Vanhems , Georges Cambier, Adophe Wallez, eux aussi déportés.

Merci aux trois jeunes qui ont accepté de lire la Complainte du partisan.

Voici le texte issu d'un patient travail réalisé par Michel Carlier, qu'il convient de remercier et de féliciter chaleureusement

C'est dans une brasserie désaffectée qu'ils installent le camp. Ce camp de concentration, situé à 30 km de Berlin, est aujourd'hui un musée mémorial. "Arbeit macht frei", cette citation titre d'un roman de Lorenz Diefenbach, écrivain autrichien, publié à Vienne en 1873, est inscrite sur le fronton du camp sur ordre de Theodor Eicke, général allemand. Quand on traduit cet aphorisme, "le travail rend libre", on en saisit toute l'ironie. Construit à Sachsenhausen dans les faubourgs d'Oranienbourg, il s'étend sur 18 hectares, et il est divisé en 44 sous-camps, satellites ou annexes sans oublier les commandos extérieurs. On en dénombre plus de 60.

C'est dans ce camp de Sachsenhausen qu'aux premiers jours de septembre 1944 le lieutenant Picard est déporté. Ancien combattant du conflit 14-18, résistant, il est un des membres du réseau "Voix du Nord". A sa création en 1941, le journal la Voix du Nord est un journal clandestin qui donne son nom au mouvement de résistance du même nom. 355 personnes sont mortes pendant la période 1941-1945, dont 78 en déportation pour que vive ce mouvement.

Ce jour de septembre, la vie de cet homme marié, père de famille, bascule.

En entrant à pied dans ce camp, il lit certainement ces mots du fronton. "Le travail rend libre" pourrait être un idéal humain. Perverti, il engendrera l'anéantissement de milliers de femmes et d'hommes ; nombre d'entre eux sont condamnés à mort par épuisement. Le travail dans ce camp, loin de rendre libre, est une réelle entreprise de déshumanisation des déportés. Ce camp, composé de 68 blocs, constitue un véritable réservoir de main d'œuvre pour l'industrie.

Toutes les nationalités des pays envahis sont représentées. La France ne fait pas exception : 12200 prisonniers en 1939, 28000 en 1943. A la fin de 1943, les résidents y sont entassés et notre lieutenant les rejoint en 1944. On compte alors 47700 prisonniers. Mi-janvier 1945, ce chiffre passe à 65000 détenus dont plus de 10000 femmes. On trouve même dans les archives le chiffre de 13000.

Le premier convoi provenant de France part du Nord. 270 mineurs de fond des puits du Nord Pas-de-Calais ont été arrêtés à la suite de la grève du 1er mai 41 ; 244 arrivent à Sachsenhausen, 26 sont morts pendant le transport. On estime à près de 9000 Français, essentiellement des résistants et politiques, déportés en direction de ce camp. Ce sont les chiffres de la Croix-Rouge, ceux des archives du procès de Nuremberg ainsi que l'utilisation des relevés du matériel saisi qui, consultés après guerre, permettront après recoupement une meilleure évaluation.

Une grande partie des archives a été détruite avant l'arrivée des Russes en avril 1945. On sait que 100 000 montres bracelets, 30 000 montres de poche et 7500 réveils ou pendulettes ont été entreposés. C'est dans ce camp qu'entre autres activités est fabriquée la fausse monnaie, dollars et livres sterling.

Les commandos de prisonniers ont également servi de cobayes en testant par exemple les nouvelles chaussures destinées à la Wehrmacht à l'occasion de marches forcées jusqu'à l'épuisement.

En été, une journée ordinaire commence à 3h30. Sur la place illuminée, au centre de l'immense triangle presque équilatéral que forme la camp principal 20 000 prisonniers sont rassemblés, alignés dans un ordre parfait et dans un silence absolu. C'est probablement à ce moment-là que chaque détenu prend pleinement conscience de la réalité brutale qui est la sienne.

Une longue et douloureuse journée s'annonce alors, chargée de menaces dès le réveil. Les dirigeants du camp ont le sens du grandiose, de la mise en scène. Dans son uniforme impeccable, entouré des officiers en ordre, le commandant préside l'appel qui commence, bloc après bloc ; la liste des noms est scandée par des kapos zélés ; c'est pour les détenus qui ont le ventre vide l'interminable passage obligatoire.

On leur distribue la ration du matin : du pain trempé d'eau (ça tient au corps), un morceau de margarine, de la confiture rouge et un ersatz de café.

Puis commence le travail. Chacun à sa tâche : à l'usine, on fabrique des masques à gaz, on trie les métaux, on met au point le matériel pour l'armée. Dans l'atelier du bois, travaux de sciage puis de fabrication, toujours pour les besoins de la guerre. Certains sont affectés à la revalorisation des vêtements pris aux détenus. En direction de ce camp convergent des camions complets de vêtements venant d'autres camps à des fins de reconditionnement. Tout est récupéré afin d'être recyclés (le cuir, le cuivre, les câbles électriques...) La liste des tâches est longue, la main d'œuvre est bon marché.

Les commandos extérieurs sont chargés du transport ou réalisent des travaux de terrassement, d'abattage forestier, de tranchées, etc. Le repas du midi consiste en un demi-litre de soupe dans laquelle baignent quelques morceaux de pommes de terre, de choux ou de rutabagas et un morceau de pain. Le travail reprend ensuite jusqu'au soir.

Avant l'enfermement, les détenus ont droit comme repas à de l'ersatz de café, un morceau de pain, un carré de margarine et une tranche de pâté gélatineux. C'est seulement à ce moment-là que le détenu peut, enfin, laisser son esprit s'évader, s'il en a encore la force.

Un seul temps de repos lui est accordé, une demi-journée le dimanche ; la soupe ce soir-là, est plus épaisse et contient quelques morceaux de viande.

A l'automne 44, les rations sont progressivement diminuées ; les alliés ayant débarqué, l'approvisionnement ne suit plus. La ration quotidienne minimum est réduite à 3 kilos de pain pour un commando de 17 personnes. A ces privations, il faut ajouter la souffrance physique et morale. Les organismes affaiblis peinent, douloureux, fatigués par des mois de captivité.

Malheureusement, le pire est encore à venir. Pour répondre aux besoins croissants de main d'œuvre en usine d'armement, les femmes sont déplacées de Ravensbrück vers Sachsenhausen. Est-il possible d'imaginer aujourd'hui la situation de promiscuité permanente dans laquelle vivent ces femmes détenues ? Des commandos de femmes seront formées au travail sur machine outil. Plus de 10 000 d'entre elles passent par ce camp jusqu'en avril 1945. Elles sont une main d'œuvre bon marché pour l'industrie. En cas de sabotage, de faut dans l'exécution de leur tâche, la punition tombe : la mort par balle ou la pendaison ; leur seul espoir est qu'un kapo, fatigué ce jour-là, détourne le regard et consente à fermer les yeux.

Les derniers mois sont terribles pour les prisonniers ; ils vivent des journées sanglantes sous les bombardements dont l'objectif est de conduire à la capitulation en détruisant cette énorme machine de guerre. 1000 bombes tombent sur l'usine Henkel : 320 morts. Les usines Auer subissent le même sort : 600 forteresses volantes lâchent 1506 tonnes de bombes explosives et 178 tonnes de bombes incendiaires.

Il y a alors plus de 2000 détenus sur les lieux. A peine la moitié regagnera le camp.

Un survivant qui travaille ce jour-là dans l'usine Kluber, écrit : "Nous sommes bombardés, ils visent l'usine. Pendant des heures, par vagues successives. Il y avait des blessés à mort. Des types à moitié écrasés hurlaient comme des chiens. On n'est jamais allé les chercher, c'était impossible. Sans doute le mot "maman" devait être prononcé dans toutes les langues."

Au début de 1945, les malades et les inaptes au travail sont exécutés sur ordre du commandant. Le 22 avril, un détachement de la 47e armée russe libère le camp qui ne compte plus que 3000 prisonniers, dont 1400 femmes, malades, faibles laissés sans soins, abandonnés à leur sort.

Les jours précédents, on a commencé à vider le camp ; les détenus, par groupe de 400, partent à pied. On estime que pendant cette marche, 7000 personnes sont mortes d'épuisement. Le bilan est lourd : 200 537 hommes et femmes de 20 nationalités différentes sont entrées à Sachsenhausen, 100 167 ne sont jamais repartis de ce camp ou de ses satellites. 86 827 sont rentrés en 1945 ; si l'on ajoute les 7000 personnes estimées disparues durant la longue marche, il manque à l'appel 6543.

Albert Prévost, dont le nom de code dans la Résistance est lieutenant Picard, n'est pas revenu de ce camp de Sachsenhausen où il a été incarcéré. Il y décède le 20 décembre 1944, quatre mois avant la libération. Il avait été arrêté le 11 février 1944, à 1h du matin, à Templemars, pour acte de résistance en même temps que son épouse et en présence de leur fille. Ils sont tous deux emmenés à la prison de Loos ; madame Prévost sera libérée quatre mois plus tard. Quant à son mari, après sept mois de détention, il sera conduit en gare le vendredi 1er septembre. Ils sont 871 dans ce cas, victimes de ce dernier drame de la déportation.

Alors que l'occupant commence les préparatifs en vue d'évacuer Lille, le dernier train de Loos quitte le Nord à partir de Tourcoing à destination de Cologne. A son bord sont entassés dans des wagons à bestiaux les 871 derniers détenus de Loos. Il y a 768 Français, 589 appartiennent à la Résistance. 402 sont des gars du Nord.

Parmi ces Nordistes, deux d'entre eux ont un rapport privilégié avec notre commune : Albert Prévost résidait à Templemars et Georges Cambier, s'il n'y habitait pas, y avait vu le jour, le 14 février 1905.

Je souhaite avoir également une pensée pour André Agarand, né en 1928 et qui est le plus jeune déporté de ce train, il n'a alors que 16 ans.

Le dimanche 3 septembre, il est 9h, le train s'arrête en gare de Cologne. Les prisonniers viennent de passer quarante heures enfermés dans des wagons. A Cologne, on procède au premier tri, puis le train repart. C'est le jeudi 7 septembre qu'Albert Prévost et ses camarades descendent du train. Ils son en gare d'Oranienbourg. Ils finissent à pied le trajet qui les mène à Sachsenhausen. Ce que l'on sait, c'est qu'en entrant dans le camp, on leur attribue un numéro d'immatriculation entre 97 et 98000, qu'ils occupent le bloc 51 destiné aux entrants. Que 587 d'entre eux décèdent dans ce camp. Seuls 284 survivent. Il s'agit bien en effet de survie, voire de sursis car, si le deuxième prisonnier né à Templemars est rentré le 21 mai 1945, il est décédé peu après son retour. Le petit jeune de 16 ans a été libéré par les Russes le 22 avril et a survécu. Quant à Albert Prévost, ancien combattant, gazé pendant les combats de 14-18, résistant durant la deuxième guerre mondiale, il est chargé de la transmission de renseignements, de la diffusion de la presse clandestine. En novembre 43, il est responsable de secteur avec le grade de lieutenant. En collaboration avec la résistance du secteur de Loos, ils ont la garde d'un dépôt clandestin de 5 tonnes d'armes parachutées. Il a payé le prix fort pour que vive la France.

C'était il y a 70 ans. Respects monsieur Prévost. Quand le passé n'éclaire plus l'avenir, le présent marche dans les ténèbres. Merci monsieur Prévost. Une place de Templemars porte votre nom afin que nul ne vous oublie. Vous oublier, oublier tous ceux qui ont partagé votre sort, oublier votre sacrifice, c'est vous condamner à mourir une deuxième fois.

Monsieur, nous ferons en sorte de ne pas vous oublier, vous et tous vos compagnons.

Français, Templemarois, souviens-toi !


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