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Valère-Marie Marchand | Le Grand Bleu

Publié le 07 mai 2014 par Angèle Paoli

LE GRAND BLEU

La galaxie du bleu se détecte à la flamme d’une bougie, dans les reflets du contre-jour ou en périphérie de quelques astéroïdes en chute libre… On situe la galaxie du bleu à des années lumières de toute pensée raisonnable, de préférence dans l’inconscient des enfants de tous âges et parmi les adultes qui cherchent encore une issue à la nuit. De sa nature et de son origine, on ne sait rien de plus si ce n’est qu’elle est peuplée de vestiges endormis. Ses rayonnements exerceraient une action positive sur les vases grecs, les poissons égyptiens, les paysages de Patinir et les pierres subaquatiques. Aux dernières nouvelles, la galaxie du bleu serait voisine de la nébuleuse d’Andromède, de la petite et de la grande Ourse, de la Croix du Sud et de quelques météores en vue. On la dit proche des substances solubles dans l’eau, des hydrocarbures aromatiques et responsable des phénomènes les plus divers comme la combustion des hydrates de carbone.

À trop côtoyer les humains, la galaxie du bleu a fini par se confondre avec ce qu’elle est censée représenter. Aussi dit-on à son sujet tout et n’importe quoi. On lui prête des émanations soudaines, des silences et des liturgies d’un soir. On lui accorde des sentiments de joie ou de tristesse, des symboles et des propriétés à vocation lexicographique. On lui attribue une neutralité qui, toutes silhouettes confondues, uniformiserait, sur terre, les codes vestimentaires. Que restera-t-il de cette galaxie quand nous aurons rejoint la nuit noire ? Le souvenir d’un ciel sans nuage selon Émile Littré. Une larme d’espoir d’après Paul Éluard. Un idéal au-dessus de la moyenne si l’on en croit les hypothèses de Verlaine… Transparente et sereine, la galaxie du bleu convient bien aux aveugles que nous sommes. Incertaine et liquide, futile et souveraine, elle teinte notre ordinaire d’un peu d’outremer, de manganèse, de cobalt, de lait de chaux et de céruléum. Elle se révèle d’un éclat insondable pour peu qu’on s’intéresse à elle. Du bleu boréal au bleu chauffé à blanc, après tout, peu importe… Car c’est dans le creuset des mots, dans le secret de l’encrier que trébuchent nos ombres. Et c’est dans une chorégraphie d’abeille, entre consonnes et voyelles, que l’on se révèle parfois à soi-même.

Valère-Marie Marchand, « II, Le Grand Bleu », Les Rives de l’éveil in La Clef des rives, Mythologies au fil de l’eau, La Part Commune, Rennes, 2014, pp. 12-13-14. Illustrations réalisées par l’auteur.
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VALÈRE-MARIE MARCHAND

■ Voir aussi ▼

→ (sur Salon littéraire) une recension de La Clef des rives par Dominique Vergnon
→ (sur le site des éditions La Part Commune) une page sur La Clef des rives



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